Quels sont les ressorts de l'explosion de la violence gratuite ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un garçon de 14 ans a été passé à tabac mercredi 30 octobre dans l'Isère par trois autres adolescents.
Un garçon de 14 ans a été passé à tabac mercredi 30 octobre dans l'Isère par trois autres adolescents.
©Reuters

Sans prévenir

Cambriolages qui dégénèrent en homicides ou simples agressions gratuites sur le premier passant venu, l'actualité est riche de faits divers qui en disent long sur le sentiment d'impunité des adolescents qui s'y livrent et sur leur perte de repères.

Atlantico : Une femme de 89 ans a échappé de justesse à la noyade vendredi 25 octobre, alors que des cambrioleurs tentaient de se débarrasser d’elle en la faisant couler avec son propre véhicule. Les raisons pour lesquelles les cambrioleurs ont essayé d'attenter à sa vie restent inexplicables. On se souvient également du drame d’Échirolles survenu en 2012. Ce type de violence extrême et gratuite est-il en progression en France ? Comment l'expliquez-vous ?

Alexandre Baratta : La tentative d’assassinat survenue sur une dame âgée le 25 octobre est hélas emblématique d’un phénomène criminel en plein essor. Il s’agit des home-jacking, pouvant connaître des fins encore plus funestes que celui réalisé à Bar-le-Duc. Rien que sur l’année 2012, et sur un territoire géographique restreint (l’Alsace et la Moselle), j’ai été confronté directement dans ma pratique d’expert judiciaire à 5 cas similaires dont la fin a été moins heureuse. Dans tous les cas le mode opératoire est stéréotypé : victime vulnérable identifiée à l’avance, et introduction au domicile de cette dernière la nuit. Les criminels impliqués agissent en groupe (entre 2 et 5 individus selon les cas). Quatre des victimes ont été tuées : le crâne étant fracassé par des outils de jardinage dans 3 cas, et à l’extincteur dans le quatrième. La cinquième victime (encore une dame âgée) n’a été "que" rouée de coups sans aucun mobile apparent, occasionnant une fracture du massif facial. Les cinq exemples que je cite (ayant conduit à la mort des victimes dans 4 cas) n’ont pas bénéficié de la même couverture médiatique. Dans tous les cas les auteurs ont été identifiés. Il s’agit d’adolescents aux antécédents judiciaires bien fournis dans la totalité des cas : trafics de stupéfiants ; vols de scooter et voitures ; actes incendiaires gratuits. Le plus jeune des sujets impliqués dans les faits énumérés était un adolescent de 13 ans à peine et n’en était pas à son coup d’essai. Les autres étaient âgés entre 16 et 19 ans.

Comment expliquer une telle progression ? La banalisation accrue de la violence, omniprésente dans les médias (jeux vidéo, clips faisant l’apologie des grosses voitures cylindrées et des armes à feu…). Ce qui alimente les distorsions cognitives chez les jeunes exempts de cadre éducatif. La recherche de bénéfices immédiats, sans recours au travail fastidieux, dans le but d’assurer un plaisir immédiat est à la base de tous ces actes de violence gratuite.C’est ce que l’on dénomme l’intolérance à la frustration, mécanisme dictant les conduites psychopathiques.

François Dubet : Les causes de ces violence sont sans doute multiples et difficiles à cerner car cette cruauté et cette méchanceté sont souvent irrationnelles, à l'exception du plaisir que peut donner la cruauté. On peut imaginer qu'il y ait des dimensions psychopathologiques lourdes, mais aussi le fait que ces conduites collectives libèrent de toute culpabilité, parce que collectives, justement, et que c'est le groupe qui est cruel. des "hommes ordinaires" sont devenus des tueurs sadiques nazis, de bons pères de famille peuvent participer à un lynchage... Mais au fond, les réponses sont assez mystérieuses et dépendent sans doute des individus, comme le montre le roman de Capote, De sang froid . Mais c'est une très vieille question, et les progrès de l'éducation et de la civilisation qui ont pu faire reculer les violences, ne les ont pas éradiquées.

Un garçon de 14 ans a été passé à tabac mercredi 30 octobre dans l'Isère par trois autres adolescents de 12, 14 et 15 ans. L'agression, qui s'est soldée par 52 points de suture, était préméditée (un couteau de cuisine a été utilisé), et le projet, connu de plusieurs de leurs amis. La victime, elle, n'a été choisie qu'au dernier moment. Comment expliquer que des personnes aussi jeunes, de manière concertée et en ayant communiqué la chose auprès de leur entourage, aient pu commettre un tel acte ?

Alexandre Baratta : Le phénomène de violence chez les adolescents, voire pré-adolescents, connaît un développement exponentiel, tant dans sa fréquence que dans la gravité des actes commis. L'exemple que vous citez est criant à plusieurs égards :

- gravité des actes commis (la finalité aurait pu être un homicide en bande organisée)... D'ailleurs il est curieux de constater que le crime poursuivi n'ait pas été qualifié de tentative d'homicide, mais vraisemblablement de violences volontaires avec arme, expliquant ainsi l'absence d'incarcération de ces jeunes.

- faiblesse de la réponse pénale : un jeune de 14 ans aurait pu mourir ce soir-là... et pourtant ses agresseurs sont libres, un seul étant place en centre éducatif ferme, d'où les fugues sont très faciles du fait de l'absence totale de sécurité.

- connaissance par ces même jeunes de l'absence de répression adaptée, du fait de l'excuse de minorité. Mineurs, la réponse sera d'abord éducative avant de prendre la forme d'une vraie sanction lorsqu'ils seront majeurs dans plusieurs  années et après la répétition d'autres actes de violence. Il semble en effet peu probable qu'il s'agisse ici d'une banale crise d'adolescence sans lendemain. Adhérer a une telle théorie relèverait d'une terrible méprise lourde de conséquence...

En conséquence, ne nous y trompons pas : les auteurs d'actes criminels seront de plus en plus jeunes dans notre pays. Les actes de violence gratuite devenant une sorte de sport national. Pour illustrer mes propos, un seul rappel : un quart des violeurs de femme adulte en France sont des adolescents...

Quelles sont les causes traditionnelles de ce type de violence ?

Alexandre Baratta : D’une façon générale, le profil du sujet psychopathique répond à un stéréotype. Défaut de cadre éducatif, absence paternelle, modèle familial dysfonctionnel. Ce qui génère très tôt des carences éducatives. L’étape suivante est la déscolarisation dès le collège, l’individu ne s’inscrivant dans aucune formation professionnelle. L’adolescent, désœuvré, fréquente des bandes aux valeurs pro-criminelles (apologie de la force physique et de la virilité, recherche de sensations fortes…). Les occupations et distractions de ces jeunes s’orientent alors vers la sphère délictuelle, dans une banalité horrifiante. Afin d’illustrer mes propos, je reprends de façon fidèle les paroles recueillies lors de certaines expertises : "je faisais des conneries vite fait…genre vols de scooter, des bagarres avec les copains…" (dixit le co-auteur d’une "tournante", viol en bande organisé) ; "on voulait aller en boite de nuit alors on a piqué une caisse sur un parking  pour y aller vite fait…" (dixit le co-auteur d’un home-jacking ayant entrainé la mort) ; "pour passer le temps on picolait et on allait chercher la bagarre à la sortie des bars…" (dixit l'auteur d’un viol suivi de meurtre). Il s’agit donc toujours de profil poly-délinquentiels : consommation de stupéfiants et d’alcool, vols pour assurer un moyen de subsistance, trafics de stupéfiants…. La recherche de bénéfices de plus en plus juteux va pousser les plus téméraires (et les plus impulsifs) vers les home-jacking et/ou les braquages de commerces tels les bijouteries. Ainsi, à leur majorité, la plupart ont déjà d’importants antécédents judiciaires sans pour autant avoir été incarcérés.

La progression de ces violences peut-elle être aussi interprétée comme l'expression d'un malaise dans une société en crise ?

Alexandre Baratta : Oui, de toute évidence. La banalisation des stupéfiants est un premier pas. Un ministre de l’éducation nationale demandant à dépénaliser le cannabis en est l’exemple parfait. Lorsque l’on sait que le cannabis est la porte d’entrée vers l’héroïne et la cocaïne, un tel message est inquiétant. Or, comment financer rapidement l’achat de tels toxiques ? Pas en se levant tous les matins à 5 heure pour aller travailler. Le financement de tels produits est souvent le mobile de braquages à main armée. Notre société est en crise : perte de repères éthiques et moraux, perte des valeurs de mérite par le travail, recherche de satisfaction et de plaisir immédiat, quelle qu’en soit la conséquence pour les victimes.

François Dubet : Rien n'autorise à dire que ces violences progressent : les crimes atroces, les infanticides, les enfants et les femmes battus à mort, les viols et autres abominations ne sont pas des nouveautés. Ceci ne peut pas nous consoler, mais il faut arrêter de croire que toute est pire. La France reste un pays où on se tue relativement peu et rien ne démontre qu'il y a un effet direct de la crise sociale sur les violences cruelles, voire sur la criminalité. En revanche, il est probable que notre tolérance à la violence ait sensiblement baissé.

L’absence de mobile dans ce type de violence démontre-t-elle le franchissement d’une nouvelle limite au-delà de laquelle la mort ne nécessite plus la moindre justification ? Peut-on parler de banalisation de la violence dans la société française ?

Alexandre Baratta : Dans les cas de home- jacking, le mobile initial était le bénéfice pécuniaire. Bénéfice dérisoire dans tous les cas : liquidités de quelques dizaines d’euros ; ou encore appareils électro-ménagers divers (ordinateur portable, appareil photo). La mutilation ou la mort de la victime est appréhendée comme un simple dégât collatéral, un "incident" un "imprévu". Pourtant dans tous les cas qu’il m’a été donné de voir (une dizaine sur les quatre dernières années, uniquement en Alsace- Lorraine) sont étrangement ressemblants. La victime est torturée inutilement (attachée, bâillonnée, et frappée), et lorsqu’elle est mise à mort il s’agit d’actes de barbarie dignes de films d’horreurs. Les termes juridiques de "coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner" ; ou encore de "tortures et actes de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner" ne peuvent refléter toute la violence explosant de ces adolescents aux visages enfantins.

François Dubet : Un fait divers atroce est un fait divers atroce et nous en trouverons autant que nous le souhaitons, hier, aujourd'hui et probablement demain. La violence est plutôt moins banalisée aujourd'hui qu'hier. Il faut admettre qu'il peut y avoir une part de cruauté gratuite et de sauvagerie contre laquelle on doit lutter, mais dont la cause n'est peut être pas seulement dans le contexte social immédiat. Par exemple les enfants maltraités le sont dans toutes les catégories sociales. 

Alors que la réforme de la politique pénale de Christiane Taubira est particulièrement controversée, l'absence de réponse pénale adaptée peut-elle être aussi un facteur d'explication ?

Alexandre Baratta : Cette réforme pénale est contestée par certains psychiatres confrontés à la problématique de la violence, mais également par certains juristes et magistrats souhaitant garder le silence afin de ne pas s’exposer. Elle est donc loin de faire l’unanimité. En effet, elle repose sur une conférence de consensus largement biaisée : toutes ses conclusions étaient déjà connues à l’avance, les personnes auditionnées partageant l’opinion de la ministre. Les avis divergents n’ont jamais été consultés : nous ne pouvons donc parler de consensus démocratique dans ce cas.

Cette réforme représente un danger. L’une des mesures aberrantes à souligner est l’absence d’individualisation de l’aménagement de peine. En effet, cette réforme prévoit (entre autres) des procédures de libérations conditionnelles automatiques, quel que soit le profil de dangerosité du condamné. Un individu, sans antécédents judiciaires, inséré socialement, commettant une agression à l’âge de 32 ans n’aura pas le même potentiel de dangerosité qu’un jeune de 19 ans désinséré socialement qui en est à son sixième délit.

L’octroi d’une libération conditionnelle doit répondre à un principe d’évaluation de la dangerosité. Le suivi des délinquants et criminels (dans ou hors les murs de la prison) doit tenir compte du profil de dangerosité. Ainsi, l’octroi de la libération conditionnelle doit dépendre d‘une logique criminologique : seuls les sujets présentant les meilleurs garanties de réinsertion devraient en bénéficier.

Le projet de réforme pénale ne répond pas à cette logique criminologique. Poursuivant un but de gestion de la surpopulation carcérale, elle répond d’avantage à une logique de gestion hôtelière.

François Dubet : La dureté de la sanction pénale pourrait peut-être dissuader le criminel rationnel calculant ce que peut rapporter le crime et ce qu'il peut lui coûter s'il est pris. Mais il est clair que ce type de calcul ne concerne pas celui qui commet des actes irrationnels et passionnels. Dans ce cas, la peur du châtiment ne joue pas. En revanche, l'opinion publique peut avoir envie de vengeance et devenir aussi cruelle que le criminel. Ce fut la logique des exécutions publiques associées à des tortures abominables. Pour ce qu'on en sait, ces spectacles, comme ceux des chaînes de bagnards, n'ont pas fait baisser le crime, et moins encore les crimes atroces. 

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