A quel niveau de taux d’intérêt sur la dette française, notre modèle socio-économique exploserait-il ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des dettes qui grossissent, un déficit dit structurel qui inquiète les marchés...
Des dettes qui grossissent, un déficit dit structurel qui inquiète les marchés...
©Reuters

Point de non-retour

La France a émis mercredi près de huit milliards d'euros de dette à moyen terme à un coût inférieur à celui du mois d'avril. Reste que plus notre dette grossit, plus les prêteurs vont demander cher à la France et plus les budgets seront déficitaires. Jusqu'où pouvons-nous aller ? 6% de taux d’intérêt sur les émissions obligataires à 10 ans, si on prend la Grèce en exemple.

Simone Wapler

Simone Wapler

Simone Wapler est rédactrice en Chef des Publications Agora (analyses et conseils financiers).

Elle est l'auteur de "Comment l'Etat va faire main basse sur votre argent: ... et ce que vous devez faire pour vous en sortir !", paru chez Ixelles Editions en mars 2013.

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Trop de dettes, pas de croissance, un déficit chronique : la France est bien sur la route de la faillite. Les derniers chiffres montrent que l’Allemagne reste le seul pays en croissance d’Europe. C’est le seul pays dont les taux d’emprunt ne montent pas. Une faillite désordonnée de la Grèce précipitera la nôtre.

Notre nouveau président et certains autres partisans européens du keynésianisme veulent un pacte de croissance. Bien. Sauf que la croissance ne se décrète pas et ne s’achète pas à crédit. C’est ce que prouvent toutes les expériences récentes, y compris celle des États-Unis, qui, rappelez-vous, ont injecté des milliards de dollars dans leur économie sans résultat substantiel. Après quatre années avec un déficit d’environ 8 % de leur PIB, les États-Unis se retrouvent avec 1,5 % de croissance par an.

Restent donc des dettes qui grossissent et un déficit dit structurel qui inquiète les marchés. La règle de la finance sans visage est somme toute assez simple. Plus l’emprunteur semble risqué, plus on lui fait payer cher. C’est ce que votre conseiller financier appelle le rapport « risque / rendement » d’un placement.

Donc plus la dette va grossir, plus les prêteurs vont demander cher à la France et plus les budgets seront déficitaires.

L’actualité récente de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Irlande ou de l’Italie, montre qu’à 6% de taux d’intérêt sur les emprunts d’État à dix ans se situe la limite où tout bascule. A ce niveau, ces pays ont appelé au secours la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international. A ce niveau, « quelqu’un » rachète la dette pour faire baisser les taux. C’est ce qui est arrivé il y a quelques jours à l’Espagne : les taux s’envolaient vers les 7%, et « quelqu’un » a racheté sa dette, ramenant alors les taux sur les 5,75% environ.

Il n’y a pas d’exception française ; il est donc logique de penser que c’est à ce taux que nous serons nous aussi à genoux. L’incertitude réside désormais dans le quand. .

Pour tenter de prévoir, nous devons regarder trois paramètres :

  • Le déficit structurel ;
  • Avec qui l’État français est en concurrence pour caser ses emprunts ;
  • Qui possède la dette française.

Déficit structurel : jargon technocratique pour dire « vivre au dessus de ses moyens »

Un État jouit du privilège de rembourser le capital à la fin de son emprunt. Pendant toute la durée de son emprunt, il ne verse que les intérêts. C’est l’équivalent d’un prêt lombard ou crédit in fine pour les particuliers.

La France emprunte pour deux raisons : rembourser de la vieille dette qui arrive à échéance et financer ses dépenses courantes (paiement des fonctionnaires, entretien du patrimoine public). C’est ce deuxième besoin qu’on nomme « déficit structurel ». Pour vous ou moi, cela s’appelle « vivre au dessus de ses moyens ».

Les prêteurs haïssent les déficits structurels. Imaginez que vous prêtiez à quelqu’un de nécessiteux (car nous ne sommes pas dans le cadre d’un prêt d’investissement). Vous n’aimeriez pas qu’il augmente ses heures de femme de ménage, refuse de supprimer son budget décoration florale et continue à aller au restaurant.

Actuellement, 35% de ce que la France est obligée d’emprunter sert à couvrir un train de vie inadapté. Tout dérapage du déficit structurel sera sanctionné par les marchés, donc par une montée plus rapide de nos taux d’emprunt.

Avec qui la France est-elle en concurrence pour caser sa dette ?

En 2012, le montant des émissions obligataires en euros atteindra 1 900 milliards d'euros. Dans ce vaste fourre-tout vous trouvez :

  • Les obligations d’État ;
  • Les obligations des banques et assureurs obligés de recapitaliser en raison de leurs pertes ou de la réglementation ;
  • Les obligations d’entreprises devant faire face à des échéances de LBO (Leverage Buy Out ou rachat par l’endettement).

Nos besoins d’emprunt représentent donc 10% de ce marché. Dans un sens c’est bien, mais n’oubliez pas qu’il s’agit d’un système d’enchères : tout le monde est en concurrence avec tout le monde.

Les acheteurs sont des institutionnels et bien souvent des fonds de pension qui gèrent l’argent de retraités ou futurs retraités de pays pratiquant le système par capitalisation. Imaginez la « finance sans visage » de François Hollande comme une grande cohorte de salariés anglo-saxons, norvégiens, allemands et même de pays émergents. Les gérants de ces fonds de retraite doivent des comptes à leurs affiliés.

Les hedge funds (ou fonds spéculatifs)  règnent essentiellement sur le marché secondaire, celui de l’occasion si vous préférez. Quand un gérant commence à avoir des doutes sur un émetteur, il peut choisir de revendre son titre sur ce marché où un spéculateur le ramassera dans l’espoir que les craintes du premier détenteur soient infondées.

Les besoins d’emprunt de tout le monde augmentent puisque la croissance n’est pas au rendez-vous. En outre, les entreprises qui le peuvent lève des fonds sur le marché obligataire puisque les banques ne leur prêtent plus. Nous sommes dans un environnement défavorable par rapport au début de la crise : plus d’offre et moins de demande.


Qui possède la dette française ?

Deux tiers – un tiers. Deux tiers de la dette sont en des mains étrangères, soit environ 1 300 milliards d'euros. Le tiers restant (400 milliards), ce sont vos contrats d’assurance-vie en euro, vos livrets, etc.

Le détail précis des débiteurs étrangers est tenu confidentiel par l’Agence France Trésor qui est notre grossiste en dette fraîche. Sur le marché secondaire - celui de l’occasion -  la dette peut très bien changer de main après son émission.

La botte secrète de François Hollande

À ce stade vous avez compris que 6% de taux d’intérêt sur les émissions obligataires à 10 ans était le seuil limite.

Nous payons actuellement environ 3%. Nous n’avons pas les faveurs de la finance sans visage en raison de :

  • Notre déficit structurel persistant –la campagne présidentielle n’a jamais abordé les réductions de dépenses publiques de fonctionnement mais seulement la réduction des déficits par la taxation,
  • Notre inaptitude à faire des prévisions crédibles et à atteindre nos objectifs,
  • Notre déficit commercial qui prouve que nous avons un « problème de compétitivité ». En clair, nous vendons trop cher pour exporter suffisamment.

Il est logique de penser que les taux vont monter rapidement, dès que les déficits commerciaux et publics vont s’aggraver. Le passage à 4% sera crucial (probablement début 2013). Les choses s’emballeront très vite ensuite si l’on se base sur les autres exemples européens.

Cependant, notre nouveau président possède une botte secrète.

Notre État est insolvable mais les Français ne le sont pas. De ce point de vue, il existe bien une « exception française », si nous nous comparons aux Espagnols, aux Portugais (dans ce pays, il paraît même que les tournées au bistrot se payent à crédit avec une carte !), aux Irlandais, aux Grecs ou aux Américains.

La décision de relever le plafond du Livret A est magistrale. Elle va permettre de renationaliser la dette et de la diriger vers les OATi, les obligations d’État indexées sur l’inflation française. Or ces obligations coûtent de plus en plus cher à l’État puisque les chiffres d’inflation officielle progressent.

On vous propose de placer non plus 15 300 € mais 30 600 € en franchise d’impôt sur votre livret A. La rémunération dudit livret est fixée par le gouvernement et elle est – en principe – fonction de l’inflation.

  • Premier problème : « en principe », car cette indexation n’est pas mécanique ;
  • Deuxième problème : c’est le gouvernement qui contrôle la méthode de mesure pratiquée par l’INSEE ;
  • Troisième problème : les dépôts sur livrets sont immédiatement recyclés dans les émissions obligataires françaises.

9 % des 60 millions de livrets sont déjà au plafond des 15 300 d'euros  ; ils représentent 40% des dépôts. À fin mars, l’encours des livrets A atteignait 224 milliards d'euros.

Par ce moyen, le nouveau gouvernement peut potentiellement mettre la main sur 90 Mds€ à recycler en emprunts obligataires. Il financerait ainsi presque la moitié de ses besoins d’emprunt de l’année !

Bien entendu, c’est un piège qui ne nous fera que gagner du temps. La renationalisation de la dette permettra de vous faire payer la casse, à vous, plutôt qu’au paisible retraité norvégien.

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Notes

Les temps vont devenir très difficiles et plus la crise va s’aggraver, plus il deviendra difficile de prendre lucidement les bonnes décisions. Pour vous y aider, nous vous donnons rendez-vous le 22 juin prochain lors d'une grande journée Protection & Rendements. N'attendez pas pour vous inscrire : plus que jamais, votre argent et votre patrimoine ont besoin de votre attention.

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