Que peut faire l'école face à des débats de société qui divisent profondément ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Est-il réaliste de considérer que l'école puisse rester en dehors des débats de société ?
Est-il réaliste de considérer que l'école puisse rester en dehors des débats de société ?
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Dilemne

La perméabilité de l'école aux débats de société, ramenés dans les cartables depuis les discussions familiales, est évidente. Entre enseigner les principes fondamentaux de la République et débattre de l'écume des jours, il n'est pas aisé de trouver la voie idéale.

Eric  Deschavanne et François Dubet

Eric Deschavanne et François Dubet

Eric Deschavanne est professeur de philosophie. A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

François Dubet est sociologue spécialiste de l'éducation, professeur à l'Université Bordeaux II et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
 

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Atlantico : Est-il réaliste de considérer que l'école puisse rester en dehors des débats de société ? En quoi la neutralité de l'école est-elle une illusion ?

François Dubet : L’école ne peut clairement pas rester totalement en dehors des débats de société mais si sa neutralité est quelque peu illusoire, elle doit rester un idéal. L’école doit essayer de maintenir le plus possible son étanchéité aux débats de société sans quoi elle ne sera plus capable de défendre les enfants qu’elle éduque et c’est là son rôle le plus essentiel. Il est tout à fait possible de trouver des accords sur ce qui peut et doit être dit pour protéger nos enfants. Lorsque Nicolas Sarkozy avait proposé que chaque enfant se lie à un enfant victime de la Shoah, tout le monde était tombé d’accord pour dire que c’était trop lourd pour un enfant et le projet a été abandonné. Cela tombe sous le sens et nous montre bien qu’il y a une logique dans ce que l’on peut dire ou faire à l’école. De plus, je crois que dans l’exemple du mariage pour tous, il y a une claire hypocrisie de l’enseignement catholique qui n’organise pas de débats sur la pauvreté ou le chômage alors que socialement se sont des choses qui méritent tout autant d’être évoqué.

Pierre Duriot : Il est impossible d’empêcher le débat politique d’entrer à l’école pour la simple et bonne raison que les élèves le ramènent dans leurs cartables. Ils vivent avec des parents qui parlent, ils assistent à des repas de famille où les adultes débattent et en toute logique ils finissent par se tourner vers leur professeur pour poser des questions. Un professeur est tout à fait capable de répondre à ces questions en restant neutre et il existe aujourd’hui des modalités précises pour organiser des débats comme c’est déjà le cas en cours de philosophie au lycée comme je le fais moi-même dans les « ateliers philo » qui se déroule avec des maitres spécialisés dès la grande section de maternelle. La neutralité n’est donc pas une illusion mais elle n’est pas incompatible avec le débat, c’est là que se trouve l’erreur d’analyse sur la question.

Confrontée malgré elle à des sujets qui divisent, quelle attitude l'école peut-elle alors adopter ?

François Dubet : L’attitude que doit avoir l’école, c’est de n’aborder que des débats qui relèvent de principes moraux totalement consensuels dans le sens non péjoratif du terme. L’école ne doit enseigner que des concepts comme la liberté, les droits de l’homme, sur lesquels tout le monde en France s’accorde pour que ne puisse pas être stigmatisés les enfants qui vivent dans une quelconque communauté religieuse, ethnique ou une configuration familiale moins classique que ce dont nous avons l’habitude. Si l’école se met à organise des débats de société qui sont en cours et qui divisent actuellement le pays, elle sort complètement de son rôle et les professeurs risquent d’en perdre le contrôle car s’opposeront des visions issues des familles ayant des avis différents et ainsi de risquer d’entrer en opposition avec la sphère privée et l’éducation parentale. Il est possible d’enseigner à nos enfants qu’il faut respecter les homosexuels et que l’homophobie est un crime puni par la loi mais on ne peut pas les faire débattre du mariage pour tous.

Pierre Duriot : L’école forme d’ores et déjà de nombreux professeurs à l’encadrement du débat à l’école et, comme je le disais plus tôt, dès la grande section de maternelle. J’ai moi-même organisé certains de ces débats avec des enfants de cet âge sur le thème de l’amour et je peux vous dire que l’on a entendu des choses parfois surprenantes et parfois très belles. L’école ne doit pas se fermer au débat de société et surtout elle ne le peut plus donc plutôt que de répercuter ceux-ci, elle doit les encadrer. Les enfants ont très souvent des choses sur le cœur dont ils ont besoin de parler et parfois cela ne peut avoir lieu qu’à l’école. Encore une fois, ce n’est pas incompatible et il ne faut pas orienter les enfants, simplement les donner la possibilité d’être écoutés.

N’est-il pas dangereux de laisser les élèves débattre hors de tout cadre ? Est-ce à l'école de fournir ce cadre ?

François Dubet : Dans les écoles laïques, il n’est de toute façon pas question d’en parler, tout comme il n’a jamais été question d’aborder le taux d’imposition à 75%. L’école doit prendre de la distance avec tout cela, les conversations d’élèves ont toujours existé. Il faut vraiment que nous arrivions à revenir à l’école de Jules Ferry dans laquelle on enseigne des contenus clairs et qui ne pourraient choquer aucun parent d’élève qui y entrerait.

Pierre Duriot :C’est clairement dangereux car un débat d’enfants est forcément anarchique. Si on les laisse se dérouler sans la médiation d’un adulte, ce sera la plus violent, le plus virulent d’entre eux qui prendra le dessus. L’adulte peut permettre aux différentes paroles mais surtout de fixer les règles et ainsi d’éviter les insultes et les préjugés. L’adulte peut apporter un cadre dont la famille n’est pas capable à cause de la subjectivité de ses opinions. Il me semble que c’est l’un des rôles de l’école d’apprendre à nos enfants que tout le monde n’est pas d’accord et que tous les avis sont respectables, c’est ce que l’on appelle l’éducation à la discussion argumentée.

Après l'interdiction des signes religieux ostentatoires, l'école doit-elle aller vers l'interdiction généralisée de l'expression des opinions politiques "ostentatoires" ? 

François Dubet : D’une certaine manière c’est le même problème car lorsque on veut évoquer un débat une partie des arguments d’un débat, comme dans le cas du mariage pour tous, sont issus de la pensée religieuse on n’est dans le cas d’une importation du religieux dans le scolaire laïque. Au delà des problèmes d'actualité, il y a de très nombreux sujets sur lesquels il est intéressant et dont nous avons le devoir de discuter et de faire débattre avec nos enfants sans pour autant sortir de ce qui est déjà admis par nos lois et qui existe dans notre histoire.

Pierre Duriot : Il est vrai que l’école n’est pas très claire sur la question des débats, certains y ont droit de cité et d’autres pas. Par exemple, lorsqu’une minute de silence est respectée en hommage aux enfants juifs tués par Mohamed Merah, on fait entrer à l’école la problématique de société de l’antisémitisme. Il existe donc parfois une disparité entre ce que l’on autorise à entrer dans le cadre de l’école et celle-ci doit clairement prendre des positions plus claires à ce sujet. Pour autant, le débat doit intégrer l’école  et doit être géré sans passions afin d’en tirer un bénéfice pédagogique. Plus que jamais au moment de la construction intellectuelle et sexuelle, il est important de comprendre les différentes opinions et les arguments qui existent afin de se faire sa propre idée. Il est impossible de passer à côté et c’est pour cela qu’il faut l’encadrer.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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