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Quand les héritiers Peugeot s’adaptent sans vendre leur âme au diable
©Reuters

Feuilleton de l‘été

L’histoire de la famille Peugeot est intimement attachée à celle du groupe Peugeot. Ce groupe automobile a fait sa gloire et sa fortune. Mais ce groupe aurait pu aussi la ruiner plus d’une fois, au gré des successions, des crises et des guerres....

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Peugeot a plus de 200 ans. 200 ans d’histoire et quelle histoire. Quelle épopée. Passionnant parce qu’encore récemment en 2012, le groupe a failli sombrer dans la crise qui a décimé l’industrie mondiale. Le groupe s’effondrait. Et l’homme qui a redressé l’empire avec l’aide de l’Etat et du même coup sauvé la famille de la ruine, c’est Carlos Tavares, un manager forgé à l’école de Carlos Ghosn chez Renault. C’est un pur manager, étranger à la famille.

Ce groupe PSA Citroën, aujourd’hui, c’est plus de 3 millions de véhicules vendus par an, mais c’est aussi 170 000 salariés dans le monde dont 70 000 en France. Alors l’entreprise a frôlé la ruine bien des fois mais elle s’est redressée, toujours, grâce au personnel, aux banquiers, aux concessionnaires, grâce à l’Etat aussi.

Avec derrière, une famille qu’on connaît mal parce qu’elle est restée tellement discrète, provinciale dans sa culture qu’elle a réussi à traverser deux siècles de l’histoire de France. Sans vendre son âme au diable.

La dernière crise aurait pu être fatale à tout le monde, aux salariés comme aux actionnaires. Pour en sortir, il a fallu pactiser avec l’Etat, quelle humiliation. Il a fallu accepter une alliance avec des chinois. Quel choc. Louis Gallois, président du Conseil de surveillance est aujourd’hui le gardien de cet équilibre entre les héritiers, les actionnaires chinois et l’Etat Français qui reste partie prenante dans l’affaire via BPI France, la Banque Publique d’Investissement.
Cette mutation a connu des échecs, mais elle dessine aussi de belles perspectives. Notamment avec l’acquisition récente de la marque OPEL qui place le groupe dans la compétition internationale. Pas facile, le lion a certes retrouvé ses dents, mais il reste vulnérable, dans cette jungle mondiale où les grands fauves produisent, eux, plus de 10 millions de véhicules par an.

L’histoire des Peugeot remonte au XIXe siècle.

Il faut remonter au XVème siècle pour retrouver la trace des premiers Peugeot. A la fin de la guerre de cent ans, à l’époque où Jeanne d‘Arc entend des voix divines, mais dans l’est de la France à Vondoncourt près de Sochaux en Franche Comté, on commence à entendre parler des Peugeot. Certains les appelle les « péquenot » d’où le nom de Peugeot.

Ils sont fermiers, d’autres vont devenir meuniers. Et les meuniers sont des gens aisés à l’époque. Ils ont la main sur le blé, donc le pain. Alain Frerejean, historien, explique que la fortune de cette famille est venue d’une femme qui, par un mariage heureux a apporté à un des Peugeot un moulin.

Dans cette principauté de Montbéliard, les habitants ont une particularité : ils sont protestants. L’église fondée par Luther se bat contre l’obscurantisme, l’aliénation. Elle se bat pour défendre la liberté de penser, de travailler, de créer et de s’enrichir aussi. Alors, au fil des années et des guerres de religion, au XVIe puis au XVIIe siècle, cet ADN religieux va souder cette famille. 

Mais c’est au XIXe siècle que les Peugeot vont véritablement rentrer dans les annales de l’industrie naissante. L’industrie et l’entreprise sont dans leurs gènes. En 1848, celui qui va devenir Napoléon III n’a d’attention, c’est très connu, que pour les femmes élégantes. Du coup, ces protestants qui commencent à travailler l’acier vont investir ce marché de la coquinerie. Le marché est porteur. Il faut des arceaux en fer forgé pour soutenir les robes et des baleines pour tenir les bustes féminins. Napoléon III a désinhibé la mode.

Napoléon III adore les femmes, mais le Second Empire a surtout soif de développement économique. La construction, l’urbanisme, les chemins de fer sont en plein boom. Avec Morny, Haussmann, avec les Rothschild et les Wendel, et Gustave Eiffel, plus tard, cette fin du XIXe va transformer la France.

Chez les Peugeot, à Sochaux, il y a des cousins qui ont cette rage d’entreprendre, Armand et Eugène notamment. L’un est ingénieur, l‘autre HEC, ou l’équivalent. A partir des barres d’acier qui sortent de la fonderie familiale, les deux cousins  fabriquent des outils agricoles ou de mécanique, des scies à bois, des fourches et même des vélos. Les vélos vont connaître un énorme succès.

A la fin de ce XIXe siècle effervescent, ce qui excite Armand Peugeot, c’est de pouvoir construire des véhicules à moteur. Il sait qu’à Paris, il y a un certain Louis Renault, à Boulogne. Il y a aussi André Citroën. En fait, il y a partout des centaines de mécaniciens qui tournent autour de cette idée.

Armand Peugeot connaît deux ingénieurs du nom de Panhard et Levassor. Illustres inconnus à l’époque mais sorciers de la mécanique. Ils vont installer sur un quadricycle d’Armand, un moteur. Avec un moteur et un volant à la place du guidon, Armand invente l’automobile. C’est la première Peugeot.

Armand veut lancer des fabrications en série. Son cousin Eugène n’y croit pas. Il préfère lui, continuer à vendre ses fourches de bicyclette, des outils, des articles ménagers, des moulins à café. Les deux cousins se fâchent et se séparent. C’est brutal. Violent. Cette brouille va durer 15 ans.

Armand gagne son pari. En 1897, il réussit à vendre 54 voitures. 3 ans plus tard, en 1900, il en écoule 500.

Les deux cousins ne se parlent plus depuis dix ans, mais le plus cocasse, c’est que les fils d’Eugène sont eux aussi passionnés de voiture. Ils y croient. Alors contre l'avis de leur père, ils conçoivent une voiturette qu’ils baptiseront la « lion-Peugeot ». Pourquoi Lion ? Parce que leur père vend des scies aux dents acérées comme celle d’un lion. Et ce lion va forcément mordre les chevilles d’Armand.

Eugène disparu, ses fils vont se rapprocher d’Armand. Les retrouvailles sont scellées à la porte du site industriel de Sochaux. Mais c’est aussi à ce moment-là qu’on conforte la marque autour du lion. Le lion qui sert encore aujourd’hui d’emblème aux voitures et à la famille.

Les années de guerre, années de plomb : le règne de Robert Premier

Des produits, une marque, un logo, une usine et une famille ressoudée, Peugeot entre dans le XXe siècle, armé jusqu’aux dents pour conquérir un marché fou.

A la veille de la 1e guerre mondiale, les usines Peugeot sont devenues très importantes. Armand n’a pas de descendant. C’est donc le fils cadet d’Eugène, celui qui avait conçu cette voiturette en cachette de son père qui devient le chef de famille.

Il se prénomme Robert. Plus tard, la famille le baptisera Robert Premier pour s'y retrouver dans l'arbre généalogique. Il règnera sans partage jusqu‘en 1945... un règne incroyable ! Traversé par des crises et des guerres. 

En 1914, les usines sont mobilisées pour l’effort de guerre. Sochaux fabrique des vélos, des camions, des chars, des moteurs d’avions et des bombes. A la fin de la guerre, il faut tout réinventer.

En 1930, le redressement a couté très cher, les Peugeot ont vendu l’affaire de bicyclettes qui était encore rentable, mais ça ne suffit pas. Ils ont besoin d’argent. Alors ils vont faire ce qu’ils n’ont jamais fait. Ils vont emprunter mais ils vont tomber sur un escroc.

En 1940, c’est à nouveau la guerre. Les usines Peugeot sont occupées et sabotées. La famille tient. Elle résiste et protège l’outil et les personnels sans se compromettre avec l'ennemi. Pas facile. Douloureux.

Peugeot sort de la guerre complètement ruiné. Cet empire industriel ne devra son salut, comme beaucoup d’autres, qu’au financement du plan Marshall qui va permettre la reconstruction de cette Europe qui a basculé dans l'horreur.

Les Trente glorieuses

Du coup, après guerre, les français libérés se découvrent assoiffés de bien être, de croissance, assoiffés de bagnoles comme disait Pompidou. Pendant trente ans, le marché automobile va se partager entre trois grandes marques.   

Citroën qui surfe sur le succès populaire de la 2 chevaux, la deu-deuche, puis plus tard sur le nec plus ultra de la technologie haut de gammes avec l’ID puis la DS. Les people parisiens et le personnel politique vont rouler en Citroën jusqu‘en 1981.

Et puis, il y a Renault mais Renault est à part, c’est encore une entreprise d’Etat. Le positionnement commercial est plus flou. 

Les voitures Peugeot, elles, portent l‘Adn de la famille. Du sérieux, du solide et un peu d’austérité. Ça plait aux commerçants, aux professions libérales, aux provinciaux. Cette clientèle est fidèle.

Les voitures Peugeot ont une autre particularité. Elles ne sont pas baptisées, elles sont numérotées. Les 201, 202, 203, puis la 204. Pas surs de comprendre exactement la signification de tous ces chiffres, mais les « peugeotistes » s’y retrouvent et restent fidèles.

C’est aussi l’époque où Peugeot découvre la course automobile. Alors Peugeot gagnera à Indianapolis et aux 24 heures du Mans. Un exploit technique, mais Peugeot va surtout triompher plus tard dans les grands rallyes. Et notamment dominer le Paris Dakar

Pendant ces Trente glorieuses, la marque au lion rafle tous les podiums, les membres de la famille Peugeot sont partout, dans les conseils d’administration, les filiales, les usines. A la direction générale, des Peugeot succèdent aux Peugeot. Jamais une entreprise n’aura été aussi familiale et ça marche. La famille possède tout et dirige tout, ou presque.

Le problème, c’est qu’en 1968, le monde commence à changer. La plupart des Peugeot ne voient pas forcement ce changement arriver. 

Jean-Pierre Peugeot qui a pris les rênes après la guerre, l’a pressenti très vite. Il a envoyé son fils Roland à Harvard, pour faire un MBA. À l’époque, les élites françaises sortent de Polytechnique ou de l’ENA. C’est ça ou rien. Alors Harvard c’est bien, mais ça relève plus de la science fiction que de l’éducation.

Roland Peugeot a 33 ans quand il est propulsé à la tête des établissements Peugeot en 1959. Il en devient président du Conseil en 1973, la veille du premier choc pétrolier. Il sait alors que le bouleversement est inéluctable. Roland Peugeot est comme tous les Peugeot, il fuie les mondanités sauf ce jour-là, la France entière le découvre et retient son souffle. Lui, l’héritier et sa famille. Car le 12 avril 1960, son fils Eric, quatre ans est kidnappé dans le parc de Saint Cloud où il jouait avec sa nurse, et les auteurs réclament 50 millions de francs. La rançon sera payée et l’enfant libéré 48 heures plus tard. C’est la première fois qu’un tel drame se déroule en Europe.

Les héritiers Peugeot suivent, de crise en crise. Du choc pétrolier à la mondialisation. De Citroën à l’arrivée des chinois.

A partir de 1974, la France n’a pas de pétrole, ou alors il est cher, très cher. Il lui faut des idées. Pour Roland Peugeot cette gouvernance impactée par les Peugeot est trop fragile. Les temps nouveaux seront difficiles et pour lui, il faut du sang neuf et des talents extérieurs. Son père est d’accord. La majorité de la famille ne dit mot, mais surveille. Il recrute et promeut François Gauthier. C’est un évènement pour la famille parce que c’est le premier « agent extérieur ».  Il va d’ailleurs se retrouver devant une opération ultra délicate et sensible. Le mariage avec Citroën. Alors ne racontons pas d’histoire, le rapprochement entre  Peugeot et Citroën est un mariage forcé.

On est en 1976, deux ans après le choc pétrolier, Citroën étouffe. Citroën appartient à Michelin. Or Michelin, c’est Clermont Ferrand, et Clermont Ferrand c’est Valery Giscard d’Estaing. Et Giscard est président de la République. Pour que Citroën reste français et que Michelin reste debout, la seule solution est de marier Citroën à Peugeot. Vu de l’Elysée, c’est très simple.

Les concessionnaires regardent ce rapprochement avec méfiance. Parce que financièrement, c’est intenable. Le choc pétrolier a plongé l’industrie automobile dans une crise qui la ronge jusqu’au sang. Citroën a été racheté au plus mauvais moment.

François Gauthier va rendre son tablier et laisse le job à Jean-Paul Parayre, un X-Pont, ancien du groupe de travaux publics Dumez. Il trouve une situation financière dégradée. En plus, il doit lui aussi racheter les usines Talbot, l’ex Simca, qui s’effondre. Des marques prestigieuses certes, mais sans avenir.

Chez les Peugeot, on commence à paniquer. Parce que de l’argent, on n’en a pas et on tient à garder la maison. L‘urgence est de trouver de l’argent.

Pour toute cette famille, Jacques Calvet est l’homme providentiel. Le sorcier de la finance, c’est lui. Ce haut fonctionnaire, passé par la Cour des comptes, ancien directeur de cabinet de Valery Giscard d’Estaing, ancien directeur de la B.N.P., mais limogé par François Mitterrand au moment des nationalisations. Avec un tel parcours, il ne pouvait pas déplaire aux Peugeot.

A 84 ans aujourd’hui, il pense avoir séduit les Peugeot, parce qu’il jouait au tennis beaucoup mieux que ses prédécesseurs. Jacques Calvet a toujours eu un sens de l’humour et du cynisme qui n’était pas toujours bien reçus. Mais son autorité et sa compétence lui permettront de délivrer des résultats.
Sur le fond, la situation qu’il trouve est désastreuse. Jacques Calvet se donne comme priorité de redresser financièrement le groupe, il faut donc réduire les coûts, et commencer par fermer ce qui lui semble irrécupérable.

Première opération, il ferme Talbot, ex-Simca qui avait été acheté 5 ans avant. C’est dur, humainement, socialement, les syndicats se déchainent.

Il réduit donc la toile pour gagner de la marge. Par chance, Jacques Calvet a trouvé « la 205 », projet dessiné par son prédécesseur. Le succès est colossal.

Du coup, Jacques Calvet va prendre conscience que la clef du succès, c’est évidemment la qualité du produit. Il va donc veiller personnellement aux lignes des voitures, choisir avec soin les designers, ouvrir des marchés étrangers et gonfler les moteurs. Ca le passionne. Ca le change de Bercy et de la BNP où il a passé la première partie de sa vie. D’autant que si la France n’a pas de pétrole, Peugeot a le secret pour que les voitures en consomment moins. Le secret, c’est le diesel. Bien aidé par la fiscalité d’Etat, Peugeot va devenir un champion du diesel.

Avec sa détermination, Jacques Calvet n’a pas seulement sauvé le groupe, et protégé la famille, Jacques Calvet est devenu une vedette du monde patronal. Par son franc parler, ses postures, il décoiffe. La presse adore ou déteste mais parle de lui. Il le sait. Il en joue. Le personnage est tellement atypique qu’il va entrer aux Guignols de l’info, du coup la France entière le connaît. Le problème, c’est que quand, un soir sur deux, la marionnette de Calvet raconte « désolé d’être en retard, ma 605 est encore tombée en panne... » Les commerciaux de Peugeot n‘aiment guère. La famille non plus.

Jacques Calvet s’en souvient très bien. Le coup de la panne, il n aime pas. Pour lui, c’est clair, net et précis : « Les pannes n’existaient pas. »

Jacques Calvet va quitter l’entreprise à 65 ans révolus, pas un jour de plus, après 13 ans de service. Il aurait sans doute voulu prolonger un peu le débat, mais la famille qui contrôle le conseil d’administration ne fera pas d’exception. Peut-être que Jacques Calvet les agaçait un peu trop, les Peugeot. Qui sait ?

En fait, il fallait tourner la page, Jacques Calvet avait redressé et assaini financièrement le groupe PSA Peugeot-Citroën. Rétabli les marges de rentabilité mais il fallait sans doute tourner la page.

Mais une fois de plus, tout change. Avec l’euro, l’Europe, l’internet, la Chine. Tout est bouleversé. L‘an 2000, c’est demain et l’an 2000 va ouvrir grand les portes de l’international. Et là, PSA Peugeot Citroën est gêné, faible, fragile, mal préparé.

Le groupe fait appel à Jean Martin Folz. Après le sorcier de la finance, les Peugeot recrutent un globe-trotter qui va passer le plus clair de son temps à ouvrir des usines hors d’Europe, au Brésil, en Argentine et même en Chine. La stratégie est de s’installer au plus près des futurs clients. On ne délocalise pas, on investit. La rupture avec Calvet est brutale, y compris dans les stratégies de coopération, Calvet s’en méfiait, Folz va les multiplier avec Ford,  BMW, Toyota et Mitsubishi. Les ventes mondiales du groupe qui étaient tombées à 2 millions, repassent à 3,6 millions de voitures. 

Sauf qu’au début des années 2000, l’horizon des marchés mondiaux se brouille à nouveau. Les attentats du 11 septembre vont secouer les compteurs. Les profits baissent, les marges s’érodent.

Chez PSA comme ailleurs, les nuages s’amoncèlent. Les actionnaires approuvent l’expansion internationale mais s’inquiètent de la baisse des résultats. Une fois de plus ça grogne.  Jean-Martin Folz quitte le groupe en 2007. Personne n’est dupe.

Christian Streiff lui succède mais sa gouvernance sera brève. La crise des subprimes, qui submerge le monde en 2008, paralyse le marché automobile. Les deux constructeurs français, PSA et Renault, sont au bord de l’asphyxie. Alors que Renault s’est préparé à affronter la tempête en s’alliant à Nissan, PSA est très retard. Coté cour, Christian Streiff passe son temps à faire des économies et à licencier du monde. Coté jardin, il passe ses nerfs pour calmer la famille qui a la fièvre et qui comprend mal ce qui se passe. Victime d’un accident cérébral qui l’avait affaibli, Christian Streiff aura tenu deux ans.

Philippe Varin reprend la barre mais garde le même cap. Réduire les couts, supprimer des emplois encore. Les besoins sont énormes, Peugeot n’est pas assez international. Il faudrait investir pour gagner en compétitivité. Le lion est à genoux.

Les dirigeants syndicaux ne comprennent pas que la famille ne puisse pas remettre de l’argent. Le monde des affaires ne comprend pas que Peugeot ne cherche pas des alliances plus fortes. La raison en est simple, les actionnaires de référence, emmenés par Thierry Peugeot, sont encore très réticents à l’idée de perdre les commandes de l’empire familial. 

Philippe Varin ne tient pas.  En 2014, le groupe est en ruines. Qui pour le diriger? L’Elysée, Matignon et Bercy sont sur les dents, il faut à tout prix éviter une catastrophe industrielle et sociale, et trouver de l’argent. Beaucoup d’argent.

La famille n’a plus le choix. Sans argent à remettre au capital, les Peugeot sont contraints d’accepter l’arrivée de l’Etat avec, dans son sillage, un investisseur chinois, Dongfeng qui a de grosses ambitions sur le marché chinois. Chez les Peugeot, l’argent de l‘Etat est déjà difficile à digérer, mais l’argent des chinois, c’est la fin d’un monde. 

L’Etat et Dongfeng finissent par prendre 14% du capital chacun, la famille se retrouve donc avec 14% mais perd surtout sa majorité des droits de vote, celle qui lui donnait le pouvoir. On va donc constituer un noyau dur avec trois actionnaires d’égale importance, l’Etat, Dongfeng et la famille. Trois actionnaires liés par un pacte dans lequel les héritiers sauvent une partie de leur patrimoine mais abandonnent les leviers de commande.

Le président du Conseil de surveillance Thierry Peugeot quitte son fauteuil, il est remplacé par Louis Gallois. C’est vraiment la fin d’une époque. Pour la première fois dans l’histoire, le groupe ne sera plus présidé par un Peugeot. Louis Gallois fait consensus comme on dit. N’a-t-il pas dirigé avant, la SNCF puis Airbus? Le groupe d’actionnaires d’un côté et les syndicats de l’autre lui font plutôt confiance.  

Celui qui va véritablement tenir le volant et mettre en œuvre la stratégie du groupe, c’est Carlos Tavares. Il arrive de chez Renault où il a œuvré aux côtés de Carlos Ghosn au redressement du groupe Renault-Nissan.

La stratégie est simple, il fallait relancer les gammes de produits, mettre le paquet à l’international et restaurer la compétitivité.

Alors, comme chez Renault, Carlos Tavares va réussir à négocier des accords de compétitivité qui préservent les emplois en France. Ces accords sont la clef de tout. C’est lui qui structure le capital confiance de l’ensemble des partenaires de l’entreprise. Du coup, son plan de développement est clair.   

Les trois actionnaires, l’Etat, les chinois et la famille Peugeot, qui sont pourtant tellement différents, assument totalement cette mutation. Il faut dire qu’ils n’ont guère le choix. D’abord avec l’Etat, ça passe. Gallois sait faire et il s’en occupe. Ensuite avec les chinois, pas de surprise. Les chinois veulent de la rentabilité. PSA s’engage à délivrer de la rentabilité et des projets à long terme sur le marché chinois. Reste la famille, restent les héritiers. Là encore, Louis Gallois va jouer de son talent de négociateur pour calmer les aigreurs, les déceptions et parfois les jalousies.

La chance, parce qu’il faut de la chance pour accompagner le talent, c’est que la conjoncture mondiale va se redresser très vite et très forte. Le secteur automobile va être le premier à en profiter. Peugeot est en ordre de marche pour rebondir. Alors les héritiers Peugeot vont regarder les cours de bourse et s’apercevoir que l’affaire n‘est pas aussi mauvaise que cela.

Cette même famille, qui se déchirait entre ceux qui tenaient à garder la main sur l’entreprise et ceux qui souhaitaient accompagner sa modernité, quitte à en perdre le contrôle, a mis du temps à se ressouder. Mais elle s’est réorganisée pour gérer le patrimoine familial. Les trois branches de la famille se sont rapprochées.

Robert Peugeot, c’est le financier. Il préside la société d’investissement FFP, qui est cotée en bourse, et qui gère 3 milliards d’actif dont 41% sont investis dans PSA et le solde 59 %, dans des sociétés industrielles. FFP a restauré sa fortune et ses moyens.

Jean Philippe Peugeot, c’est un peu le gardien du temple. Il préside lui, un holding de tête, EPF, détenu par la famille et qui surveille FFP.  

Marie-Hélène Roncoroni-Peugeot appartient à la troisième branche, elle siège au Conseil de surveillance de PSA. Elle gère la fondation Peugeot consacrée à l’aide à la mobilité.

Ces trois branches représentent aujourd’hui environ 300 héritiers, dont une nouvelle génération qui a été formée avec les principes protestants de leurs parents mais qui travaille un peu partout dans le monde. Cette nouvelle génération regorge d’idées et d’ambition que le fonds familial pourrait financer. Un peu comme au XIXe siècle, quand les Peugeot se serraient les coudes, au pays de Montbéliard et fondaient chacun leur entreprise dans la meunerie, le coton ou l’acier. La famille regonflée songe à s’organiser, un peu comme la famille Mulliez qui permet aux héritiers de développer des projets. Le point fort, c’est leur attachement au groupe et à la marque. Affaire de famille, affaire de culture

Pour Carlos Tavares, les bases du redressement sont posées. Grâce aux accords de compétitivité signés et aussi grâce à la force incroyable des marchés ces deux dernières années, il a obtenu des résultats plus rapidement qu’il ne le pensait et il a aussi protégé les emplois dans l’hexagone.

D’où le projet de racheter les actifs d’OPEL en Europe et de relancer cette marque qui n’est pas très différente dans son ADN, de la marque Peugeot. Push to Pass, c’est le nom de code choisi pour nommer son plan stratégique. Revenir dans la course mondiale, lui qui se passionne tellement pour la course automobile. Et son ambition est d’arriver le premier. Eviter les obstacles et rouler, rouler… Sans pour autant perdre ni son âme, ni sa cullture, ni celle des Peugeot.

Sauf qu’il lui faut encore et toujours anticiper l’avenir. Et cet avenir n’est pas écrit. Les pressions environnementales l’obligent à modifier ses moteurs, lui le champion du diesel, la révolution digitale le contraignent à innover encore. La voiture connectée et autonome est prête comme chez la plupart des grands constructeurs. Mais pas seulement chez les constructeurs. Google, Apple, Microsoft s’y préparent aussi.  Les grands marchés émergent s‘ouvrent à nouveau.

Dans cette jungle où les grands fauves pèsent plus de 10 millions de véhicules par an, tout le monde sait que le Lion, même après avoir avalé OPEL, reste très vulnérable.

Voilà l’histoire très particulière qu’on voulait vous raconter. L’histoire d’une entreprise d’abord, qui a réussi à plonger dans la compétition mondiale. L’histoire d’une famille qui, après 200 ans d’histoire, a réussi à préserver l’héritage, tout en ouvrant la porte au changement. Les Peugeot savaient tous que le changement les obligerait à perdre le contrôle du groupe, mais ils savaient aussi que pour préserver l’essentiel, ils devaient s’y adapter et l’accepter.

Peu de familles en France ont réussi ce type de mutation. Ce qui explique la faiblesse du capitalisme familial en France. La faiblesse de toute une industrie qui fut pourtant à la fin du XIXème siècle avec l’industrie anglaise, l’une des deux plus puissantes du monde. Cette histoire est forte d’autant qu’elle n’est pas terminée. Les dirigeants le savent. Les héritiers Peugeot aussi. 

Cette histoire a fait l’objet d’un film vidéo diffusé sur BFM, écrit et animé par Jean-Marc Sylvestre avec la participation des principaux témoins et dirigeants et que l’on peut retrouver sur le lien suivant :

http://www.redtime.fr/portfolio_page/peugeot-une-histoire-de-famille

Tout droits réserves , Jmsprod/redtime


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