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Le Telegraph vient de faire des révélations sur le Parti communiste chinois qui organiserait l’installation de commissariats officieux sur le sol britannique pour traquer les ressortissants chinois dans le viseur des autorités.
Le Telegraph vient de faire des révélations sur le Parti communiste chinois qui organiserait l’installation de commissariats officieux sur le sol britannique pour traquer les ressortissants chinois dans le viseur des autorités.
©Anthony WALLACE / AFP

Espionnage

Selon le Telegraph, Pékin aurait ouvert des commissariats officieux dissimulés derrière des enseignes commerciales pour recadrer voire contraindre ses ressortissants au retour forcé.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Le Telegraph vient de faire des révélations sur le Parti communiste chinois (PCC) qui organiserait l’installation de commissariats officieux sur le sol britannique, en particulier à Londres, pour traquer les ressortissants chinois qui sont dans le viseur des autorités du PCC. Est-il crédible de penser que c’est effectivement le cas ? 

Emmanuel Lincot : Rappelons un certain nombre de faits : le Telegraph est un quotidien conservateur plutôt atlantiste et l’on retrouve ces mêmes informations dans The Epoch Times, un organe de presse foncièrement anti-communiste et pro-Taïwanais. Que ces « révélations » soient idéologiquement orientées et participent à leur manière de ce « China bashing » ambiant n’a, à mes yeux, rien de surprenant. Maintenant, je pense en effet que ces commissariats officieux existent et dans les faits ils existent depuis très longtemps. Ils renseignent sur les activités des ressortissants chinois non seulement en Grande Bretagne mais partout en Europe. Ils sont autant de relais travaillant au service des ambassades chinoises basées dans nos pays. 

Quelles sont les missions de ces officines ? Peut-on penser qu’il y a une stratégie d’espionnage derrière ça ? 

Emmanuel Lincot : Pouvoir d’influence, renseignement, intimidation... Il s’agit de briser toute velléité de contestation en faisant craindre des représailles auprès des ressortissants dont les familles sont restées en Chine, par exemple. Tibétains, Ouïgours et Hans subissent des pressions importantes pour empêcher toute forme de protestation depuis l’étranger. Pékin a réussi à anesthésier ses ressortissants basés en dehors de la Chine. Chantage exercé sur les uns, adhésion nationaliste sincère pour d’autres conduit parfois ces personnes à des opérations d’espionnage « soft »: établir des rapports sur les activités des enseignants spécialistes en relations internationales, sinologues en particulier, dans les universités, rapporter les dires ou le comportement d’un compatriote. Tout cela est répertorié et peut à tout moment se retourner contre des personnes soupçonnées de mener des activités contraires aux intérêts du Parti Communiste. 

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Imagine-t-on qu’il existe ce même genre d’officines dans d’autres pays européens, dont la France ? 

Emmanuel Lincot : Oui, c’est évident et comme l’a rappelé le rapport de l’Irsem, les relais de la propagande chinoise au sein même de certains cenacles français dirigés par d’anciens premiers ministres notamment ont longtemps permis d’endormir les activités d’influence menées par le Parti Communiste Chinois via le Front Uni. En réalité, nous le savons depuis longtemps mais l’indifférence générale et le manque de patriotisme (songeons au déficit de nos entreprises en matière d’intelligence économique…) nous ont conduit à bien des démissions. La Chine reste exotique pour quantité de gens et nos compatriotes ne sont pas armés psychologiquement pour comprendre l’intérêt à défendre des intérêts nationaux et souverains. Cette sino-béatitude a largement profité à la pénétration des intérêts stratégiques chinois dans nos pays. 

Si ces révélations sont avérées, peut-on considérer qu’elles s’inscrivent dans une stratégie plus large de la part de la Chine ? 

Emmanuel Lincot : Elles le seront d’une manière ou d’une autre. Ce qui est intéressant c’est que le Telegraph en fasse aujourd’hui grand cas. Avant la pandémie, la Chine restait un partenaire d’avenir. Ce n’est plus le cas. Et pour la Chine - comme je l’écrivais déjà dans « Chine, une nouvelle puissance culturelle ? » (éditions MkF) - l’interêt à contrôler ses ressortissants de l’étranger est primordial. Nombre de ses activités en matière d’influence s’adressent avant tout à ses ressortissants; lesquels peuvent être instrumentalisés par Pékin comme nous l’avons constaté en 2016 après l’assassinat de l’un de ses ressortissants précisément. Ce meurtre avait déclenché des manifestations importantes tant à Aubervilliers qu’à Paris, et pour partie encadrées par l’ambassade de Chine à Paris. Il s’agit donc pour les pouvoirs publics d’être vigilants et d’assurer la protection aux personnes originaires de Chine qui pourraient se sentir menacées.

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