Quand l'Occident se mobilise contre Ebola, certains en Afrique de l'Ouest sont toujours dans le déni<!-- --> | Atlantico.fr
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Un enfant malade du Ebola.
Un enfant malade du Ebola.
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Tribune

En Guinée Conakry par exemple, les pouvoirs publics nient la réalité de la menace liée au virus Ebola. Cellou Dalein Diallo, homme politique guinéen, s'exprime dans une tribune sur le sujet.

En Guinée Conakry, les pouvoirs publics ont longtemps (et continuent) à nier la menace liée au virus Ebola, notamment du fait que la maladie a davantage touché les populations rurales que celles des grandes villes ou de la capitale. Cellou Dalein Diallo, homme politique guinéen, premier ministre de 2004 à 2006 et candidat aux élections présidentielles de 2010 souhaite exprimer sa vision du contexte locale ainsi que ses enjeux

La crise Ebola s'étend en Afrique de l'Ouest depuis la fin de l'année dernière, sans signe de fin prochaine. Cette semaine, le Centre américain pour le Contrôle des maladies estimait que 21000 personnes seraient infectées avant la fin du mois. Tandis que l'Organisation Mondiale de la Santé indiquait que dans le pire des scénarios, 1,4 million de personnes seraient touchées à la fin du mois de janvier, si le virus n'est pas arrêté maintenant. Quand le monde observe, avec horreur, la rapide propagation de la maladie, certains en Afrique de l'Ouest sont dans le déni face à l'ampleur de l’épidémie.

L'aide internationale est désespérément attendue : les Chinois, les Cubains et les Ougandais sont là depuis des semaines et l'Occident arrive. En Guinée, là où l'épidémie a démarré, la France a pris l'initiative d’envoyer des médecins militaires et son personnel de protection civile soutenu par des moyens aéroportés, afin de mettre en place un hôpital militaire dans les zones les plus affectées.

Au Liberia voisin, le gouvernement a déclaré l'état d'urgence et a fermé ses frontières. En Sierra Leone, l’Etat a décrété un couvre-feu de trois jours. Mais en Guinée, les autorités ont été étrangement passives face à la menace. Tandis qu'elles hésitaient, la peur a saisi le pays. Le drame de Womey, où neuf personnes venues animer une séance de sensibilisation ont été froidement assassinées par les habitants de cette sous-préfecture, montre clairement les effets néfastes de la rumeur et de la désinformation. Celles-ci ont pris la place face au laxisme et la gestion catastrophique de la maladie par le gouvernement qui, dès le départ a raté le coche de la sensibilisation des populations sur la maladie.

L'épidémie s'est déclenchée dans la lointaine région forestière, au Sud-Est du pays, dès décembre de l'année dernière. Au début, nul ne savait grand-chose de cette maladie. Cependant, même lorsque le diagnostic Ebola est tombé, le gouvernement l'a négligé et ne l'a pas véritablement pris au sérieux. Pendant des mois, il a refusé d'admettre l'ampleur du problème, mettant la priorité sur l'image de la Guinée au profit des investisseurs et au détriment de la vie des citoyens guinéens. Des organisations telles que Médecins Sans Frontières ont vaillamment combattu le virus quasiment toutes seules, pendant que des mois vitaux étaient perdus avant que le gouvernement n’en appelle à l'aide étrangère. Est-il besoin de rappeler que les autorités guinéennes ne consacrent que 2,4% du budget national au secteur de la santé, alors que l'OMS recommande au moins 15% ? Au lieu de faire face à l’épidémie, en impliquant tous les leaders d’opinion dans la lutte contre la propagation de la maladie, le gouvernement aura préféré passer le plus clair de son temps à accuser l'opposition de diffuser la peur. Pire, il aura attendu que nos fragiles structures de santé soient complètement submergées et dépassées par le mal.

Rappelons qu’en août dernier, lorsque les Présidents du Liberia et de la Sierra Leone annulaient leur participation à l’US-Africa Summit, préférant rester dans leurs pays pour gérer la crise, le Président guinéen lui,  Alpha Condé, s'empressait de s’envoler pour Washington. Il rentrera plus tard à Conakry  avec plus de photos de lui et le Président Obama qu'un réel programme d'aide pour combattre Ebola.

Aujourd’hui Ebola s'est étendu à 17 des 33 préfectures de la Guinée. C’est maintenant qu’Alpha Condé et don gouvernement commence à se réveiller. N’est- il pas trop tard pour regagner la confiance du peuple face auquel on a déjà nié l’évidence, minimisé l’ampleur et la dangerosité de la maladie ? Nous avons essayé de maintenir un consensus politique. Désormais, l'incompétence du gouvernement constitue un plus grand danger pour le peuple guinéen que le risque de politiser la maladie. La crise a montré une méfiance, voire une défiance des populations vis-à-vis du gouvernement, notamment en Guinée forestière. Cette région traditionnellement privée des ressources gouvernementales et où l'année dernière encore plus de 100 personnes ont été tuées dans des affrontements ethniques. La peur et la stigmatisation rendent difficiles toute opération d'aide humanitaire dans les zones touchées. Le peu de soutien en direction des malades dans ces localités est frappé du sceau de la suspicion. En l'absence d'un programme cohérent d'information publique, les rumeurs vont bon train ; elles continueront à répandre le bruit selon lequel des travailleurs humanitaires étrangers seraient à l’origine de la maladie dans le but de faire du trafic d'organe en Occident.

La mort tragique des neuf personnes la semaine dernière met à nu les échecs des autorités guinéennes dans la gestion de la crise. Cette équipe à Womey n’était là que pour une séance de sensibilisation dans une région où les premiers cas d'Ebola avaient été signalés. Les membres de cette équipe ont été attaqués par des villageois persuadés qu'on leur apportait la maladie. Depuis, cette mauvaise publicité à l’échelle internationale a poussé le gouvernement à l'action, arrêtant 27 personnes cette semaine. Quel dommage qu'il n'ait pas été aussi rapide et déterminé à combattre l'épidémie elle-même!

L'effort international en cours pour lutter contre Ebola empêchera l'épidémie d’entrer dans la spirale d'un scénario catastrophe en dépassant les frontières des pays actuellement touchés. Toutefois, la triste vérité est qu'on ne peut pas faire confiance à un pays dirigé par un gouvernement aussi incompétent et corrompu que celui de la Guinée, pour dépenser judicieusement l'argent de l'aide humanitaire, ni pour mettre en place les mesures à long terme nécessaires pouvant empêcher la résurgence d'une telle crise dans le futur.

Cellou Dalein Diallo

Ancien Premier Ministre de Guinée

Président de l’UFDG

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