Quand l'Europe se shoote à l'Islam<!-- --> | Atlantico.fr
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Détail de la grande mosquée de Paris
Détail de la grande mosquée de Paris
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Crise d'identité

Nicolas Sarkozy qui lance un débat sur la laïcité et la place de l'Islam en France, David Cameron et Angela Merkel qui dénoncent l'échec du multiculturalisme au Royaume-Uni et en Allemagne : l'Europe semble décidément obsédée par les musulmans. Et si la crise européenne était plus symbolique qu'économique ?

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier est sociologue et philosophe. Il est professeur des universités à l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence et dirige l'Observatoire du religieux. Il a notamment publié : Le Mythe de l'islamisation, essai sur une obsession collective (Le Seuil, 2012) ; Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? (Armand Colin, 2012) ; Une laïcité « légitime » : la France et ses religions d'État (Entrelacs, 2006).

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Comment se fait-il que le phénomène du voile intégral numériquement négligeable, socialement volatile, et qualitativement inoffensif ait pu provoquer un débat étendu à l’ensemble des États de l’Union européenne, cristallisant l’attention des gens de la rue, des décideurs et des intellectuels, et ayant abouti, dans un pays comme la France, à son interdiction dans les espaces publics ? Parce que, depuis les années 2000, l’Europe glisse d’une crise économique et sociale vers une crise symbolique.

Le déclin européen

Les Européens réalisent qu’ils ne sont plus les partenaires privilégiés des États-Unis, que leur influence s’effrite (par exemple à l’occasion du conflit irakien), alors que montent les puissances chinoise et indienne. Ils sont incapables de s’entendre sur une constitution avec des principes communs. Les nations européennes peinent à définir leur identité, refusent d’abandonner leur souveraineté au profit d’une instance européenne supérieure, et en même temps se rendent compte de leur insignifiance dans le monde global.

La France en particulier, jadis centre intellectuel, ressent de plein fouet le fait d’être devenue une périphérie du monde anglo-saxon et bientôt de l’Asie. Les Européens ont le sentiment d’être cernés, ils cherchent leurs racines : chrétiennes, protestantes, catholiques, rationalistes, et ne réussissent même pas à s’entendre sur ce sujet.

Partout en Europe des débats sur l’identité nationale sont lancés, orchestrés souvent par les gouvernements, On ne sait plus ce que c’est que d’être français, anglais, hollandais, allemand, italien, mais l’on s’évertue à croire, par compensation, que l’on sait ce que ce n’est pas ! L’Islam devient dès lors le seul élément fédérateur en négatif des identités européennes. Les commerces halal, le voile intégral en France, les minarets qui « détériorent » le paysage en Suisse, tous les signes visibles d’islamité, permettent de désigner les ennemis « évidents » de l’Europe contre lesquels il faut lutter ensemble.

Quand le discours antimusulman devient normalisé

Contrairement aux années 1980, les discours antimusulmans ne sont plus seulement tolérés mais normalisés. Ce n’est pas seulement une crise du modèle de laïcité, de la république jacobine - centralisée institutionnellement et uniforme culturellement - mais bien une crise plus radicale qui touche aussi les Britanniques, les Hollandais, les Allemands réputés pluralistes. Les ligues anti-musulmanes défendant les nations européennes se multiplient. L’English Defense League, issue de supporters de football fanatiques, puis la Dutch Defense League, la French Defense League, le Bloc Identitaire, l’European Defense League, Riposte Laïque et Résistance Républicaine, autant d’associations vouées à la lutte contre l’Islam dans l’espace européen.

Une conférence Anti-Jihad s’est tenue à Zurich en 2010 sous l’égide de l’International Civil Liberties Alliance, qui, contrairement à ce que son nom indique s’occupe peu de liberté civile mais beaucoup de « désislamisation ». Des Assises Internationales sur l’islamisation de nos pays réunissant la plupart des associations précitées s’est tenue en décembre 2010 en France. Ces groupes ne sont plus des groupuscules d’extrême droite mais sont écoutés dans les médias normaux, et des hommes politiques théoriquement démocrates louent leur action. Riposte Laïque, association déclarant ouvertement que l’Islam est une religion néfaste par nature, a été très sérieusement entendue et appréciée devant la Commission parlementaire française d’information sur le voile intégral en 2009.

Le musulman : bouc émissaire idéal

Le musulman occupe désormais la figure de l’ennemi, donnant l’illusion aux Européens de lutter contre la dissolution de leurs identités nationales. A travers les musulmans, les identités européennes peuvent continuer à exister, à se faire croire qu’elles résistent. Situation comparable à l’affaire Dreyfus au XIXè siècle, ou pire à l’Allemagne des années 1930 où la figure du juif traître à la nation devient le bouc émissaire d’une crise majeure, qui comme aujourd’hui n’était pas seulement économique mais symbolique, et qui autorise toutes les transgressions des libertés publiques, jusqu’au vote en toute bonne conscience de lois de plus en plus discriminatoires.

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