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Quand l’Etat islamique tord le Coran pour voir les Chrétiens comme une abomination polythéiste
©Reuters

Distorsion de la réalité

Les persécutions faites aux Chrétiens récemment, dont 21 coptes égyptiens assassinés, ont choqué la communauté internationale. Dans une vidéo de l'Etat islamique, ces derniers ont justifié leurs atrocités en qualifiant les Chrétiens de Mushrikun, c'est à dire de polythéistes.

Atlantico : Comment la lecture du Coran a-t-elle pu amener à envisager les Chrétiens sous cette "accusation" de polythéisme ?

Ghaleb Bencheikh :En réalité, leur attitude pourrait à l'extrême rigueur trouver une justification dans les polémiques qui eurent lieu entre le prophète de l'islam et certaines sectes chrétiennes qui évoluaient dans la péninsule Arabique. Sans prendre le mot avec la charge émotionnelle et suspicieuse de nos jours, il y avait en Arabie au VIIème siècle quelques sectes chrétiennes dont les docètes, les jacobites, les collyridiens, les mariamites, les monophysites, les nestoriens et les arianistes pour ne citer que celles-là. Prendre aujourd'hui comme "directive" atemporelle et anhistorique telle réponse faite par le Prophète et ses compagnons à leurs interlocuteurs chrétiens - à supposer que les ignares du prétendu Etat islamique en aient pris connaissance est de l'imbécilité incarnée.

Les persécutions qui frappent les chrétiens d'Orient nous révulsent et heurtent nos consciences. C'est que le cauchemar se poursuit et l'abjection continue à sévir. Nos condamnations se succèdent et la communauté internationale, au-delà du choc, paraît tétanisée. L'ennui réside dans les fait que les avanies que subissent les chrétiens d'Orient ne datent pas depuis l'apparition de cette monstruosité idéologique dénommée Daesh. C'est qu'un discours anti-chrétien s'est développé avec virulence dans la mouvance islamiste fondamentaliste, un peu partout de par le monde islamique, depuis notamment l'invasion de l'Irak par Georges Bush junior suite à un mensonge éhonté.

Aussi, toutes les accusations d'impiété, de polythéisme et d'associationnisme portées par les criminels de Daesh contre les chrétiens ne sont-elles qu'une exagération des allégations contenues déjà dans l'antienne fondamentaliste islamiste ressassée depuis plus d'une décennie. Et de ce point de vue, tout est versé dans le dossier du terrible réquisitoire contre le pseudo-polythéisme des chrétiens à cause du dogme trinitaire. Certes, il y a une christologie coranique. Elle n'autorise en aucun cas et d'aucune manière les exactions auxquelles se livrent les terroristes de ce "califat de la terreur". 

Non, c'est tout simplement de la haine personnifiée dédoublée d'une volonté de spolier les chrétiens de leurs biens avec cette idée qu'il vaut mieux régner par la terreur et occire tout ce qui est autre....

Dans quelle mesure s'agit-il davantage d'une vision très déformée du texte plutôt que d'une simple interprétation ?

Rappelons, cette évidence: tout discours peut être manipulé et tout texte peut être réorienté dans des sens autres. En l'occurrence, c'est malheureusement une distorsion du texte à laquelle nous assistons. C'est un texte plié à leurs dessein mortifère. On ne peut pas parler, en l'espèce de simple interprétation. A titre d'exemple, je pourrais lire dans le coran: "Malheur aux priants, ceux qui sont distraits quant à l'accomplissement de leur prière..." et je m'en irais me mettre à persécuter tous ceux qui accomplissent la prière. Parce qu'il me plairait de mettre un point là où il y a une virgule. Nous voyons bien que ce n'est pas une affaire d'interprétation. C'est une volonté délibérée de tronquer le passage et de ne garder que ce qui sert mon projet, par fanatisme ou par manipulation froide idéologique.

A supposer, là aussi, que nous nous livrions à ce qu'on appelle désormais l'exégèse sauvage. En ce sens qu'on exhibe un verset coranique hors contexte, alors qu'il est toujours en tension linguistique avec celui qui le précède et avec celui qui le suit, je pourrais vous lire une pléthore de passages qui sont très bienveillants à l'égard des Gens du Livre. Cette expression, désigne dans la phraséologie coranique, essentiellement les juifs et les chrétiens. Je le ferai à visée pédagogique en reconnaissant l'abus méthodologique.

Un passage comme: "... Et, tu trouveras certes les plus proches des croyants par l'amitié sont ceux qui disent: "nous sommes chrétiens". C'est qu'il y a parmi eux des prêtres et des moines dont le cœur ne s'enfle pas d'orgueil...", (sourate 5, verset 82), ou bien ce verset:" Certes, ceux qui ont cru, ceux qui se sont judaïsés, les Nazaréens, les Sabéens et quiconque d'entre eux a cru en Dieu, au jour dernier et accompli de bonnes œuvres, sera récompensé par son Seigneur; Ils n'éprouveront nulle crainte ni tristesse." Sourate II, verset 62. Ou bien cet autre verset:" Dis:" Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre vous et nous: que nous n'adorions que Dieu sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns et les autres pour seigneurs en dehors de Dieu". Puis, s'ils tournent le dos, dites: "soyez témoins que nous, nous nous remettons [à Dieu]."  sourate 3, verset 64. Il n'est pas dit qu'il faut les tuer ou leur livrer bataille, il y a lieu simplement de témoigner de cette remise de soi à Dieu. Nous ne comprenons donc jamais la cécité de ces criminels qui refusent de lire par exemple toute la sourate de Marie ou méditer l'épisode des chrétiens de Najran qui sont venus célébrer l'eucharistie dans la mosquée du Prophète. S'il y avait une volonté exprimée dans le coran de se débarrasser de tous les chrétiens, ils ne seraient pas restés quatorze siècles chez eux dans leurs contrées en présence des musulmans y compris en Arabie jusqu'à l'avènement de la monarchie des Al Saoud et le wahhabisme qui sous-tend leurs tentatives de pallier le manque de légitimité démocratique. 

Une dévitalisation de certains mots, ou des précisions de contexte pourraient-ils trouver une pertinence pour éviter les confusion comme celle-ci ? Que faudrait-il changer ?

Non, malheureusement pas pour les criminels de Daesh. Face à une telle barbarie et devant un tel fanatisme, je crains fort que rien n'y fasse. Il faut tout faire pour que cette tragédie cesse. Ces criminels se sont mis au ban, de l'humanité par leur comportement ignominieux. Leurs exactions ont fait beaucoup de dégâts. A quoi pourrions-nous nous attendre de la part de ceux qui cassent  et démolissent tout sur le passage. Après les crimes contre l'humanité ce sont les crimes contre la culture et l'histoire qui sont perpétrés.

En revanche le travail de la refondation de la pensée théologique islamique que j'appelle de mes vœux notamment en France passe par la dévitalisation et la "déminéralisation" des passages belligènes du Coran au delà de leur mise en suspension temporelle. Il doit être mené sérieusement. Il ne suffit pas de souligner que leurs incidences éthiques sont frappées d'obsolescence et devenues caduques. C'est à dire qu'il faut dépasser le discours qui consiste à dire qu'il faut savoir relativiser le texte à son contexte sans jamais le prendre comme un prétexte pour un nouveau contexte. Non, il faut aller encore plus loin en affirmant que la charge mortifère de ces passages coraniques n'est absolument pas une norme. Mais tout simplement expliquer qu'ils constituent un récit dénué de toute injonction. C'est ainsi que nous parviendrons à la dé-dogmatisation de l'histoire.

Quel dessein idéologique cette déformation sert-elle ?

Rien, si ce n'est la folie meurtrière et l'ivresse de la puissance du moment, adjointes à une logorrhée dégénérée pour asseoir une "légitimité" aux exactions fondées sur des artefacts fallacieux. Il faut bien, trouver des mots d'ordre mobilisateurs pour donner du sens à une entreprise meurtrière. Malheureusement, les fous furieux de ce prétendu Etat islamique accomplissent en actes ce que d'aucuns parmi ceux qui les bombardent théorisent depuis longtemps. C'est le wahhabisme et le fondamentalisme islamiste entre autres qui sont à l'origine de la catastrophe que nous connaissons.

Les criminels de Daesh n'ont jamais, de leur vie, entendu la parole de  Saladin lorsqu'il reprit Jérusalem le 2 octobre 1187  trois mois après la bataille de Hattin près de Tibériade, il dit:" Pardonnez. Parce que pardonner cela fait convertir les cœurs...". Tout comme , ils n'ont jamais entendu parler de l'émir Abdelkader qui avait dû intercéder en juillet 1860 pour que les chrétiens, Grecs et maronites, de Damas fussent sauvés d'un véritable pogrom. Et, à l'étonnement de monseigneur Pavy, successeur de monseigneur Dupuch évêque d'Alger, il répondit dans l'échange épistolaire qu'il n' a rien fait de particulier. Il s'est conformé, comme homme de foi, à l'aphorisme prophétique qui enseigne que :" les hommes sont enfants de Dieu et le plus proche parmi eux de Dieu est le plus utile à ses enfants." 

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