Procès de la tempête Xynthia : révélations sur une instruction accablante<!-- --> | Atlantico.fr
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Le procès de "l'affaire de la tempête Xynthia" qui a fait 29 morts à La Faute-sur-Mer (Vendée), dans la nuit du 27 au 28 février 2010, débute lundi.
Le procès de "l'affaire de la tempête Xynthia" qui a fait 29 morts à La Faute-sur-Mer (Vendée), dans la nuit du 27 au 28 février 2010, débute lundi.
©Reuters

Exclusif

En exclusivité, Atlantico a pu lire, dans le détail, l’acte de renvoi du juge d’instruction en charge du procès sur la catastrophe qui a endeuillé la commune de La Faute-sur-Mer dans la nuit du 27 au 28 février 2010. Un document accablant.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Le procès des cinq prévenus qui commence aux Sables d’Olonne ce lundi 15 septembre devrait durer cinq semaines
  • Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, ce fut l’apocalypse à La Faute-sur-Mer. Bilan : 29 morts
  • Selon plusieurs survivants, les maisons se sont transformées en " aquariums " en quelques minutes à peine
  • Selon le juge, le maire de La Faute-sur-Mer et son adjointe chargée de l’Urbanisme ne pouvaient ignorer les risques énormes d’inondation de la commune
  • Egalement dans la ligne de mire du Tribunal, la frénésie immobilière des promoteurs

La tempête Xynthia : oui, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, ce fut ( vraiment) la fin du monde…

A partir de ce lundi 15 septembre s’ouvre le procès de 5 prévenus, dont le maire de La Faute-sur-Mer pour homicide involontaire. La justice leur reproche d’ avoir manqué de vigilance avant et pendant la tempête, et d’être responsables de la mort de 29 personnes.

L’apocalypse. Des centaines de personnes qui appellent au secours. Des pompiers qui éprouvent toutes les peines du monde à intervenir. Un torrent de boue avec de monstrueuses vagues de 4 à 5 mètres. Oui, une nuit d’enfer qui a vu passer la tempête Xynthia dans la petite station balnéaire de La Faute-sur-Mer en Vendée. Une nuit terrible que celle du samedi 27 au dimanche 28 février 2010. Un spectacle de désolation avec toutes ces maisons inondées jusqu’au plafond et ces corps happés par l’eau. Bilan : 29 morts (47 dans toute la France) et des dizaines de personnes encore traumatisées parce ce qu’elles ont enduré. Qui pourrait l’oublier ? Mais ce lundi 15 septembre, devant le Tribunal correctionnel des Sables d’Olonne installé, pour l’occasion, dans une salle du Casino, les 120 parties civiles survivantes revivront ce cauchemar. Pendant les cinq semaines que devrait durer ce procès, elles se reposeront les questions qui les tenaillent depuis plus de quatre ans. 

Une telle catastrophe était-elle prévisible ? Les élus de La Faute-sur-Mer, le maire en tête, ont-ils tout fait pour éviter ce drame ? Les services de la Météo ont-ils bien prévenu les autorités, en particulier le Préfet ? Les maisons dévastées n’ont-elles pas été construites dans une zone à risque ? N’a-t-on pas essayé de berner les acheteurs de terrains sans les prévenir qu’ils courraient de graves dangers dans une commune plusieurs fois secouée par des inondations de grande ampleur ? La recherche du profit serait-elle l’une des causes de ce désastre ? Etc…En face des parties civiles se trouveront l’ex-maire de La Faute-sur Mer, René Marratier, son ex-première adjointe, Françoise Babin en charge de l’urbanisme, son fils, Philippe Babin, agent immobilier, Patrick Maslin, conseiller municipal et Alain Jacobsoone, ex-directeur départemental adjoint des Territoires et de la Mer au conseil général de Vendée. Tout au long de l’instruction conduite de main de maître par le juge Yannick Le Goater, les cinq prévenus ont été dans le déni.

Nous sommes le samedi 27 février 2010. Il est six heures du matin. Le bulletin régional de Météo-France annonce que dans la soirée, à partir de minuit, devrait débuter " un phénomène de type vent violent de force et d’ampleur peu fréquentes. " La Préfecture, via le sous-préfet de permanence en est informée. Dans la foulée, Béatrice Lagarde, directrice du cabinet du Préfet, relaie l’information par fax et mail à tous les maires du département. René Marratier, l’édile de La Faute-sur-Mer, en prend connaissance à 10 heures 34 très exactement. Dans l’après-midi, l’alerte météo confirme que d’importantes inondations sont à craindre. Aussi, est-il demandé aux riverains habitants de La Faute-sur-Mer de prendre toutes précautions utiles. A 17heures 13, le maire reçoit un nouveau message d’alerte rouge. A 22 heures, une réunion de crise de la cellule de vigilance est organisée à la Préfecture. Gendarmerie, policiers de la sécurité publique, personnels des centres de secours et fonctionnaires de la direction des infrastructures routières et maritimes sont sur le pied de guerre…Rien à dire. Sauf qu’il est décidé que les pompiers ne devraient pas intervenir pendant la tempête… Hormis pour le secours aux personnes et les incendies. Quant au Samu, il ne se manifestera que pour les sorties primaires. ERDF, pour sa part, ne réalisera ses interventions qu’à distance…Aucun personnel ne devra être engagé. Voilà pour le contexte d’avant Xynthia. Se dégage, certes après coup, le sentiment que personne ne semble avoir vraiment pris la mesure de l’ampleur des évènements (plus que préoccupants) annoncés…

Un peu avant minuit, ce 27 février, dans la noirceur d’une nuit violente comme dans un film d’épouvante, Xynthia, en provenance de l’île de Madère commence à traverser le territoire français selon un axe Sud-Ouest-Nord-Est. Les rafales de vent les plus violentes suivent une bande qui chemine par la Vendée, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres, la Vienne pour monter jusqu’aux Ardennes. A une heure, elle atteint La Faute-sur-Mer, presqu’ile sablonneuse de 8 kilomètres de long sur 0,5 à 2 kilomètres de large, située dans le sud de la Vendée. En face de cette station balnéaire de 1 200 habitants séparée par la rivière du Lay, se trouve la commune de L’Aiguillon-sur-Mer. Au sud de la presqu’ile, la Pointe d’Arçay qui donne sur l’océan Atlantique. Le long de la côté Est, a été édifiée depuis des années une digue destinée à protéger les habitants de la commune des tempêtes et autres inondations. C’est en effet de ce côté-ci que les risques d’inondation sont les plus grands. A l’Ouest, aucun risque, une forêt sert de protection. Détail (capital) : La Faute-sur-Mer ne comporte pratiquement que des lotissements sur lesquels ont été construits des pavillons. Pratiquement tous de plain-pied. Pour le grand malheur (futur) de ses habitants…

A 2 heures 20 du matin, le niveau de l’eau, qui contourne la Pointe d’Arçay, dépasse un mètre. 40 minutes plus tard, 3 mètres 80. A 4 heures, 4 mètres 60. A 4 heures 20, plus de 5 mètres. Très vite, La Faute-sur-Mer n’est qu’un immense plan d’eau. Les lotissements, notamment "  Les Voiliers ", " Claire-Joie ", "  L’anse de Virly " - réalisés dans les années 1970 - sont les plus atteints. On y comptera 17 victimes…

Vers 3 heures du matin, certains habitants sont réveillés par le glouglou des canalisations. La pression de l’eau brise les vérandas des pavillons. Un témoin, Thierry Berlemont, racontera que sa maison s’est transformée en "  aquarium ". Les meubles flottaient. En dix minutes, l’eau montera à 2 mètres 30. Le couple Gautier ne pouvant grimper sur le toit se mettra à l’abri dans …le bateau situé dans le jardin. Une vieille dame restera 6 heures immergée dans une eau à 4 degrés, agrippée à son canapé. A ses côtés, son mari, qu’elle verra mourir. Un autre habitant verra ses voisins accrochés à leur gouttière pendant une demi-heure avant de lâcher prise et de disparaître dans l’eau. Vers trois heures, les appels au secours se multiplient. Celui, poignant d’un couple, qui, avec son bébé de 18 mois demande, à 3 heures 55, de l’aide de toute urgence. Hurlant que l’eau est à 30 centimètres des combles et qu’il ne leur reste que 80 cm avant la noyade…Celui encore, à 4 heures 27, de cet homme qui avec deux enfants de 2 et 7 ans, lance un cri de désespoir : il ne leur reste que 50 centimètres pour respirer un peu d’air… Vers 8 heures du matin, les habitants de La Faute-sur-Mer, hébétés découvrent leur village ravagé. On cherche un ami, un voisin que l’on a l’habitude de saluer et que l’on ne voit pas. Et pour cause, Xynthia l’a emporté. Comme Patrice Rousseau dont les pompiers retrouvent le corps flottant à 100 mètres de son épouse près d’une passerelle où passe le Lais… Comme celui de Maryvonne Charneau, découvert le 28 février vers midi en train de flotter sous un fauteuil de sa pièce principale. Comme celui du petit Ismaël aperçu dans une chambre, flottant sur le ventre avec trois autres membres de sa famille… Et l’on pourrait continuer. Egrener la liste complète des 29 personnes emportées dans cette catastrophe.

L’enquête accablante du juge d’instruction

Dès le 2 mars, le Parquet des Sables d’Olonne ordonne une enquête préliminaire. Elle s’intéresse surtout à l’état de l’urbanisation de la commune de La Faute-sur-Mer et à la gestion de l’alerte de tempête donnée par Météo-France. Effectuée par les gendarmes, elle établira que la mairie était responsable de l’entretien de la digue Est. Avec le dépôt d’une plainte de l’Association des victimes de la Faute-sur-Mer (AVIF), le 15 novembre 2010, l’enquête connait un coup d’accélérateur. En effet, le 29 novembre, le Parquet ouvre une information judiciaire contre X pour homicide involontaire, mise en danger délibérée de la vie d’autrui, abstention de combattre un sinistre et prise illégale d’intérêt…

Dès le lendemain, le juge Le Goater se met au travail et adresse une commission rogatoire pour poursuivre les investigations. Le résultat ? Instructif, puisque les gendarmes mettent au jour une série d’anomalies. Que ce soit l’absence de respect de la réglementation en matière de prévention des risques ou le défaut d’information de la population avant la tempête. Les enquêteurs découvrent aussi que la mairie de La Faute-sur-Mer ne dispose d’aucun plan communal de sauvegarde, contrairement à ce que René Marratier avait promis. L’enquête révèle aussi que la municipalité a accordé des permis de construire irréguliers en zone inondable, là où certaines victimes ont trouvé la mort.

Avec un tel constat, le juge ne peut que se tourner du côté des élus et les interroger sur ce qu’ils savaient des risques d’inondation. Là, les choses se gâtent. Passe encore que les élus, notamment René Marratier, l’ex-adjointe Françoise Badin, et même Patrick Maslin, conseiller municipal n’aient jamais cru un seul instant qu’une telle tragédie pouvait endeuiller la commune… Mais quand l’édile de la Faute-sur-Mer affirme n’avoir jamais eu connaissance de graves inondations, cette fois le juge qui l’interroge en avril 2011 est interloqué. En effet, à La Faute-sur-Mer, pas un habitant n’ignore que la commune a connu de graves inondations à trois reprises durant le XXème siècle (1928, 1940, et 1941)... Oui , le magistrat est d’autant plus interloqué que plusieurs études réalisées depuis l’an 2000 font état des risques de submersion de la commune.

En 2002, un Atlas de submersion marine confirme les risques encourus. Le maire de La Faute-sur-Mer en est destinataire. Tout comme il est destinataire d’un ouvrage complémentaire intitulé Carte des enjeux de juillet 2002, réalisé par le cabinet SOGREAH consultants. Un document capital puisqu’il identifiait les populations en danger, recensait les établissements recevant du public (hôpitaux, écoles, maisons de retraites, campings etc…). Très complet, il dresse aussi la liste des routes susceptibles d’être impraticables en cas de sinistre et la liste de celles qui, au contraire, seraient accessibles… Le maire n’ignorait pas ses multiples avertissements. Tout comme il n’ignorait pas, qu' "après marchandage " – selon l’expression du juge, avec les fonctionnaires du département, René Marratier obtiendra que l’interdiction de construire soit limitée à une bande de 50 mètres derrière la digue. Au-delà, la construction de pavillons était possible. Pour le plus grand malheur des futurs propriétaires.

Aussi est-ce sans surprise que, le 14 avril 2011, le juge Le Goater met en examen René Marratier pour homicide involontaire. Le même sort est infligé dans la foulée à Françoise Babin. Adjointe au maire depuis 1989, elle connaissait les risques d’inondation de la zone endeuillée. Au moins à deux titres : elle faisait partie de la commission d’urbanisme depuis 1989 et a participé à toutes les réunions importantes relatives au plan de prévention des risques industriels. Pour les mêmes raisons, Patrick Maslin est épinglé. Puis, quelques semaines plus tard, c’est au tour des non-élus d’être convoqués par le juge. Ainsi, Philippe Babin, président de l’association, propriétaire de la digue Est, se voit reprocher de ne pas avoir organisé la surveillance de celle-ci. Alors qu’il connaissait sa faible fiabilité. Lui aussi écope d’une mise en examen pour homicide involontaire. Dernier à se rendre dans le cabinet du juge, le directeur adjoint des Territoires et de la Mer de Vendée, Alain Jacobsoone. Il s’est montré plus que léger, en oubliant d’avertir le maire des risques d’une catastrophe alors que des consignes de sécurité drastiques lui avaient été adressées par le préfet de la Vendée...

Pathétique fait divers que celui qui a endeuillé la commune de la Faute-sur-Mer au cours d’une nuit d’hiver de 2010… Demeure une question. Lancinante. Obsédante : la mort de 29 personnes aurait-elle pu être évitée, si chacun au poste de responsabilité qui était le sien, avait pu jouer son rôle et surtout en avait eu les moyens ? Sans doute… Bien sûr, quiconque oserait hasarder l’expression "c’est la faute à pas de chance" serait dans l’erreur, et disons-le dans l’indécence. Mais comme le fait remarquer Me Antonin Lévy, avocat de René Marratier , " même la caserne de pompiers de L’Aiguillon-sur- Mer [commune située en face de La Faute-sur-Mer] était inondée…Comment, dans ces conditions, pouvaient-ils se déplacer ?" Et Me Lévy, qui pressent bien que son client va se trouver en première ligne dès le début des audiences poursuit : "On demande beaucoup trop à un élu d’une petite commune, qui n’est pas maire à plein temps. On lui demande de tout faire, de tout savoir, et d’agir, ainsi que de prévoir mieux que la totalité des services professionnels de l’Etat. C’est impossible." Et l’avocat de noter que, malgré la grande défiance qu’il aurait pu susciter, René Marratier-même s’il a perdu son mandat- a été réélu aux dernières municipales, dès le premier tour, conseiller municipal avec plus de 50% des voix. Enfin, Me Lévy martèle "que l’évacuation de la population d’une commune n’est pas de la compétence du maire, mais de la Préfecture." Y aurait-il eu des défaillances de ce côté-là ? Le juge s’est posé la question.

Incontestablement- l’ordonnance du juge l’écrit noir sur blanc-, la Préfecture de Vendée n’a pas été épargnée par les dysfonctionnements. Certes, elle a bien eu connaissance d’informations alarmantes en provenance de Météo-France, mais sans que, ce funeste week-end, les fonctionnaires de permanence ne se rendent compte du danger encouru par la commune de La Faute-sur-Mer…Et pour cause : c’était surtout l’Ile de Noirmoutier qui les préoccupait ! Un comble : le nouveau préfet du département, en poste depuis douze jours au moment du drame, confiera n’avoir reçu aucune consigne de son prédécesseur. Sinon, confiera-t-il, il aurait exigé du maire qu’il alerte, en pleine nuit, les populations afin qu’elles se réfugient chez elles ou dans les étages. Quelle naïveté ! Précisément, c’est dans leurs maisons que les gens ont trouvé la mort ! Quant aux pompiers, ils ont vite pris conscience de leur impuissance à agir. Comment aider les habitants lorsque les centres de secours sont inondés, lorsque l’électricité est coupée et que le centre-ville doit affronter 1,50 mètre d’eau ? Tel est le tableau ahurissant que brosse le juge Yannick Le Goater dans son ordonnance de renvoi. A partir de ce lundi 15 septembre, les cinq heures de ce funeste 28 février 2010 seront à nouveau disséquées. Scrutées. Nul doute que les cinq prévenus passeront des moments pénibles, car montrés du doigt par la centaine de parties civiles. Ce procès sera-t-il l’occasion pour qu’enfin, plus jamais aucun permis de construire ne soit délivré en zone rouge, inondable ? Pour qu’on informe, avec force détails, tout acheteur de terrains qui souhaite construire sa maison, des risques naturels ou technologiques encourus ? Pour qu’aussi soit bannie, toute frénésie immobilière ?

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