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Prise d’otages à Pôle emploi : l’indignation hessélienne en roue libre
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Zone franche

Un type prêt à déclencher un carnage pour « dénoncer la précarité et les sionistes » dans le même package, c’est un « indigné » aux buts légitimes ou un paranoïaque obsessionnel ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Il convient d’éviter, autant que possible, de déduire trop de choses du comportement d’un déséquilibré : manquant par définition de stabilité, il est plus sûrement en train de faire n’importe quoi que de nous adresser un « message » plein de sens.

Le prof de SVT qui joue du sabre japonais dans une préfecture parce qu’on lui refuse un permis de port d’arme, sa collègue matheuse de Béziers qui s’immole par le feu devant des élèves horrifiés, s’ils ont sans doute des problèmes au boulot en plus de leurs histoires personnelles, ne sont pas nécessairement les victimes du manque de moyens de l’Éducation nationale et de la RGPP.

Il n’ont pas nécessairement été conduits à ces terribles extrémités par Sarkozy, quoi…

De la même manière, Christian Denisot, le chômeur qui prend deux salariés de Pôle emploi en otages et téléphone à la presse pour expliquer qu’il lutte simultanément contre « la précarité et les groupements sionistes » n’est pas forcément un lecteur trop littéral de Stéphane Hessel ― l'homme dont les deux grand motifs d’indignation à deux millions d’exemplaires sont, justement, le capitalisme et Israël.

Il est peut-être juste un paranoïaque obsessionnel…

Il faut éviter de lire trop de choses dans un coup de folie, certes, mais il ne faudrait pas pour autant ignorer ce qui s’y trouve pour de bon. Un quadra chômeur obsédé par « la complicité explicite du gouvernement avec les sionistes » décidant de nous en faire « prendre conscience » aux ASSEDIC n’est-il pas en train de suggérer que d'affreux sionistes contrôlent le gouvernement et que, s’il y a du chômage, ils n’y sont peut-être pas pour rien ?

« On est à Pôle emploi, on en a ras-le-bol, on comprend son geste... »

A parcourir les commentaires des « indignés » du Web, on réalise d’ailleurs à quel point sa cosmogonie est populaire et son double combat perçu comme « légitime ».

Oh, personne ne le félicite vraiment de prendre des gens en otages et de menacer de déclencher un carnage (« Je viderai mon chargeur pour me défendre »[1]), bien entendu, mais l’on semble « comprendre le message » du bonhomme et même, pourquoi pas, y souscrire…

Sur Rue89, où Pierre Haski, converse aimablement avec Denisot pendant que, sur le trottoir, la police organise son intervention, on sent d’ailleurs assez bien l’empathie :

― Mais vous, vraiment, ça vous paraît antisémite, ça, ce que je fais ?
― Non. C’est pas présenté comme ça. Sur notre site où il y a pas mal de commentaires, il y a beaucoup de gens qui disent : « On est à Pôle emploi, on en a ras-le-bol, on comprend son geste, etc. ». Donc, je pense qu’une partie de votre message est effectivement passé et si c’était votre but, il est atteint…
― Bon ben je crois que je vais arrêter là, je vais téléphoner à [inaudible]…
―Je crois que vous avez effectivement provoqué un petit électrochoc et ça fera un gros débat…
― Ah ben moi, ce que je veux surtout, c’est démêler ces liens [inaudible] du paysage médiatique. Que Sammy Ghozlan[2] rende des comptes sur ses activités criminelles, et puis surtout la dissolution des associations mafieuses et foireuses, ça c’est vraiment le seul truc qui m’intéresse…

Le seul, mais pas celui qui préoccupe son interlocuteur, qui préfère poursuivre comme si de rien n'était sur le terrain d'une « précarité » dont on vient d'entendre qu'elle n'était pourtant qu'une motivation assez secondaire  :

― En tout cas (...) vous avez fait un geste critiquable dans la forme, mais vous avez certainement obtenu ce que vous vouliez, c’est à dire de faire passer votre message…
― Ah ben j’espère…

De fait, un chômeur qui pète les plombs au point de mettre en péril la vie d’agents du service public anonymes et la sienne propre, ce n’est peut-être pas le gars qu’on rêve d’embaucher au sortir d’un entretien : il y a sans doute des instabilités aigües qui se sentent dans ce genre de circonstances. Mais que ses délires puissent être convertis en positions politiques cohérentes parce qu'ils sonnent comme le prolongement du discours hessélien est terriblement perturbant.

Et sur quoi peut-on être possiblement d’accord avec le preneur d’otages : sur l’influence des « sionistes » sur le gouvernement français (et qui sont ces « sionistes »?) ? Sur leur rôle dans l’incapacité d’un informaticien de quarante ans à décrocher un CDI ? Sur les liens qui existent entre la question israélo-palestinienne et la crise économique ? Ou sur le chômage en général, qui est un drame et qui fait faire de drôle de trucs à de braves gens ?

On reste indécis. Et bien mal à l’aise.



[1] On sait désormais que le pistolet était factice, mais c’est une information que ni les otages ni les policiers ne possédaient.

[2] Un commissaire de police en retraite, animateur du BNCV (Bureau National Contre l’Antisémitisme), une association ne brillant guère par sa subtilité et son sens de la mesure.  

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