Prise des décisions sanitaires : le conseil de défense, une sérieuse atteinte démocratique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le conseil de défense est le principal organe de décisions sur la politique sanitaire utilisé par Emmanuel Macron depuis le début de la crise.
Le conseil de défense est le principal organe de décisions sur la politique sanitaire utilisé par Emmanuel Macron depuis le début de la crise.
©Thibault Camus / POOL / AFP

Gestion de la crise

Le conseil de défense est le principal organe de décisions sur la politique sanitaire utilisé par Emmanuel Macron depuis le début de la crise. Comment expliquer que le Parlement ait été si peu consulté ?

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Qu’est-ce qui explique que le Parlement ait été si peu consulté pendant la crise sanitaire et que les décisions se prennent toujours en conseil de défense plutôt qu'à l'Assemblée et au Sénat un an après le début de la crise ? 

Maxime Tandonnet : Tout part du choix qui a été fait de proclamer « l’état de guerre ». Il justifie par la suite l’application de la théorie des circonstances exceptionnelles dérogeant aux principes de la démocratie. Le pouvoir politique se concentre entre les mains du conseil de défense réunissant une poignée de dirigeants de l’exécutif qui siège à l’Elysée sous l’autorité du chef de l’Etat. Ses délibérations ne donnent pas lieu à compte-rendu. Ses décisions ne se prêtent donc à aucun recours ni contestation.  L’état d’urgence sanitaire en vigueur depuis presque un an permet à ce conseil de défense de prendre des décisions qui suspendent les libertés (confinement, port du masque, couvre-feu). Or, les libertés relèvent en principe de la seule responsabilité du Parlement et de la loi. Un tel dispositif est concevable pour une brève période de quelques semaines. Or il s’éternise, dans l’indifférence générale…  Les fondements mêmes de la démocratie sont suspendus et le Parlement marginalisé.

Le conseil de défense qu'a décidé d'utiliser Emmanuel Macron depuis le début de la crise continue d’être le principal organe de décision sur la politique sanitaire, bénéficiant du secret défense, il semble devoir rendre très peu de comptes. Est-ce justement ce que cherche le président de la République ? 

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Oui, c’est le choix d’un mode de fonctionnement vertical. Les décisions viennent d’en haut et ne sont pas discutées. Dès lors que l’on est « en guerre », selon cette approche, il faut agir vite et efficacement. Le débat parlementaire sur la politique sanitaire est considéré comme une perte de temps et d’énergie. Le rôle de l’opposition se présente comme un obstacle. Ce fonctionnement repose sur le principe du chef éclairé, d’une lucidité et d’une audace supérieure qui tient seul le gouvernail du pays. Le Premier ministre et les ministres, dans ce schéma, sont avant tout des porte-parole de l’Elysée et non des autorités à part entière avec des pouvoirs et des responsabilités propres. Au fond, c’est le discours de la présidence « Jupiter » qui trouve à s’appliquer dans le contexte de la crise sanitaire.

Y-a-t-il une volonté de sortir les décisions sanitaires du débat public et de se prémunir d'éventuelles critiques ? Est-ce efficace ? 

L’efficacité de ce modèle de gouvernement est douteuse. Il repose sur l’idée d’une supériorité intellectuelle et morale du « chef ». Or, un tel cas de figure est rarissime et historiquement, les modèles de concentration de l’autorité dans une seule main ont généralement mal fini. Dans l’histoire, les bonnes décisions procèdent généralement de l’échange et de la confrontation des points de vue. En outre, le phénomène actuel est inquiétant car en effaçant la démocratie parlementaire, il aggrave la fracture entre la nation et ses dirigeants. L’Assemblée nationale et le Sénat servent en principe de courroie de transmission entre les élites dirigeantes et le peuple. Celle-ci a complétement disparu. Les dirigeants politiques se coupent ainsi de la nation. Leurs décisions dans cette crise sanitaire sont ressenties comme imposées d’en haut sans débat et sans concertation : elles suscitent une vague d’incompréhension. Selon une enquête Odoxa-Backbone consulting tirant le bilan d’un an de crise sanitaire, 83% des Français estiment que le gouvernement ne sait pas où il va. La crise de confiance entre la nation et ses dirigeants atteint son paroxysme.

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Est-on incapable d'avoir une approche raisonnée de la responsabilité politique, sans tomber dans des excès de prudence des décideurs ou la menace de poursuites judiciaires ? En outre, il faut bien voir qu’il y a un caractère probablement définitif : dans le monde des crises permanentes ou nous entrons, un précédent a été ouvert, et rien ne permet aujourd’hui d’envisager un retour prochain à la démocratie libérale et parlementaire.

C’est ce qui est extrêmement inquiétant. L’affaiblissement de la démocratie va de pair avec la suspension des libertés, en particulier de la liberté d’aller-et-venir qui est la mère de toutes les libertés : celle de ne pas être emprisonné en détention ou à domicile (confinement ou assignation à résidence). Or, cette mise entre parenthèse de la démocratie et des libertés se prolonge depuis un an et nul ne voit le bout du tunnel. Il faut bien voir que tout cela a peut-être un caractère définitif : dans le monde des crises permanentes ou nous entrons, un précédent a été ouvert. Les dirigeants ont vu qu’ils pouvaient aller très loin dans la soumission de la majorité silencieuse celle qui a l’habitude d’obéir. La grande et terrifiante leçon est que sous l’effet de la peur, le peuple a tout accepté sans broncher et parfois même, en réclamant plus de contrainte. Les institutions protectrices des libertés, comme les juridictions supérieures, ont largement suivi le mouvement. Rien ne permet aujourd’hui d’envisager un retour prochain à la démocratie libérale et parlementaire. Tout laisse penser que la liberté et la démocratie n’auront pas beaucoup de place dans le « monde d’après » que nous voyons naître.

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