Prime de 400 euros pour les enseignants du primaire : "acheter" les réformes est-il le meilleur moyen de les faire passer ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Selon Les Echos, Vincent Peillon serait prêt à lâcher 400 euros de prime par an aux professeurs des écoles.
Selon Les Echos, Vincent Peillon serait prêt à lâcher 400 euros de prime par an aux professeurs des écoles.
©Reuters

Passage en force

Selon Les Echos, Vincent Peillon serait prêt à lâcher 400 euros de prime par an aux professeurs des écoles. En plein bras de fer avec les enseignants du primaire sur le retour à la semaine de quatre jours et demi, le ministre de l'Education nationale serait-il tenté d'acheter sa réforme ?

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

Voir la bio »

Atlantico : La prime de 400 euros proposée par Vincent Peillon semble correspondre davantage à l'idée de lâcher du lest sur les revendications syndicales. En la proposant le ministre ne cherche-t-il pas à rendre possible la réforme des rythmes scolaires ? 

Erwan Le Noan :L’annonce de cette "prime" tombe à pic ! Elle intervient quelques jours après la mobilisation des enseignants, alors que le malaise grandit entre eux et le Gouvernement. Il faut se souvenir que Vincent Peillon avait commencé son ministère en expliquant qu’il ne pourrait probablement pas augmenter les salaires pour les enseignants. Puis voyant la grogne monter, le Ministre a commencé à faire miroiter une compensation salariale. Il semble avoir été surpris par l’ampleur du mouvement enseignant et essaie maintenant de le calmer rapidement.On peut le comprendre, s’il rate sa première réforme, une fois de plus, le "Mammouth" restera immobile dans les années qui viennent … (et lui perdra ses chances de promotion politique). Reste à savoir où l’Etat trouvera cet argent, alors même qu’il ne fait déjà pas vraiment d’efforts pour réduire ses dépenses !

En somme est-ce qu'une réforme peut s'acheter ?

Evidemment. Les économistes Delpla et Wyplosz ont même écrit un livre qui propose de compenser financièrement les "privilégiés", cibles des réformes. L’exemple emblématique de leur démonstration, c’était les taxis : ils suggéraient qu’ils soient indemnisés de la perte de valeur de leurs licences consécutive à une libéralisation (il est nécessaire d’avoir une autorisation pour exercer la profession de taxi, que les chauffeurs se revendent très cher et qui leur sert de garantie financière). Il faut dire que les perdants des réformes sont généralement bien identifiés et les gagnants beaucoup plus diffus. Or, les perdants ont de fortes capacités de mobilisation, d’autant plus qu’en France ils se trouvent plus souvent dans la fonction publique ou les activités proches de l’Etat. Les acheter peut les calmer…

Quelles sont par ailleurs les modalités, les méthodes pour "acheter" une réforme ? Comment bien faire passer la pilule ?

Une réforme est, quoiqu’il arrive, une négociation. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait des concessions. Faire "passer la pilule", c’est faire accepter à certains qu’ils vont perdre. Soit ils ont un sens très fort de l’intérêt général et il suffit de leur montrer que la réforme profitera à la collectivité, soit on les convainc que c’est bon pour eux … et rien de mieux pour convaincre qu’un peu d’argent. La chronologie des réformes fait toujours débat : faut-il prendre le temps de les faire ou agir rapidement en début de mandat ? Ce Gouvernement a choisi la seconde option : il n’a pas beaucoup bougé pendant six mois, perdant en popularité et accumulant des attentes. Maintenant, il ne peut plus se permettre de se mettre son électorat à dos, même un peu. Nicolas Sarkozy avait choisi à l’inverse de précipiter les réformes après son élection… puis il avait tout arrêté…

Quels sont les risques de pratiquer une telle politique ? Pour quelle efficacité ? 

Dans le cas de la "prime Peillon", le premier risque est pour les finances publiques. Où va-t-il trouver tout cet argent ? Ensuite, c’est aussi un mauvais signal donné à l’opinion : il suffit que les fonctionnaires protestent une fois pour que le gouvernement socialiste leur envoie à nouveau un chèque ! Or, on ne peut pas vraiment dire que les enseignants soient maltraités. Il peut cependant être très important politiquement d’afficher un succès de réforme, pour permettre d’en enclencher d’autres. Le problème c’est que sur le fond, ces concessions sont rarement très bonnes … et qu’elles ne sont pas suivies des réformes d’ampleur nécessaires. Dans leur livre sur les Réformes ratées du Président Sarkozy, les économistes  Cahuc et Zylbergerg ont montré que la réforme des régimes spéciaux entrait dans cette configuration : pour avoir "sa" réforme, le précédent Gouvernement a cédé … mais au final l’intérêt économique était très limité.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !