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Primaire de la gauche : et le gagnant est... l'irréalisme économique total
©CGPME

Atlantico Business

Les mouvements populistes européens prônent un renforcement de la souveraineté nationale mais refusent de voir la réalité telle qu'elle est.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le succès des mouvements populistes est absolument incontestable. Ces mouvements populistes d’extrême droite ou d’extrême gauche se nourrissent du sentiment d’un abandon de pouvoir, du sentiment d’un appauvrissement relatif et d’un sentiment d’austérité. Ce succès est tel que certains des arguments et des analyses populistes ont été relayés par les partis de gouvernement. On l‘a bien vu lors de la primaire de la droite. A la primaire de gauche, aucun candidat n’a été immunisé du populisme qui veut prendre en compte les sentiments de misère et d’abandon d’une partie de l’opinion.

Ces sentiments sont ressentis par une partie des peuples, mais ne correspondent pas à la réalité.  

Les abandons de souveraineté ont été négociés par des pouvoirs politiques et des décisions démocratiques; l’appauvrissement est relatif : il ne touche qu’une catégorie particulière de la population qui n’a pas pu profiter des avantages de la modernité, les jeunes sans formation par exemple ou les ouvriers victimes des délocalisations industrielles. Quant à l’austérité, elle est en réalité très amortie par les systèmes sociaux.

Les mouvements populistes ont tous, et dans tous les pays, répondu à ce mal de vivre par des politiques de repliement national. Donald Trump, Theresa May et la plupart des leaders de l’extrême droite en Europe s’appuient sur des diagnostics identiques et les mêmes ressorts.

En bref, il s’agit, à quelques nuances près : premièrement, de sortir de l’euro pour retrouver la souveraineté monétaire; deuxièmement, de freiner les flux d’échange commerciaux pour restaurer un appareil industriel national ; et troisièmement, d’abandonner les politiques de rigueur et d’austérité.

Le problème dans cette proposition est qu’elle est impossible à délivrer sans faire beaucoup de mal aux structures existantes et aux populations qui sont déjà déshéritées. Les mouvements populistes ne veulent pas voir cette réalité.

1er axe : la politique monétaire. Sortir de l’euro et retrouver une monnaie nationale. Impossible. La raison en est simple. Les pays de la zone euro ont des dettes extérieures brutes considérables et libellées en euros. Ces dettes sont bien supérieures à une année de PIB. Ces dettes ont été constituées depuis la création de l’euro. L’intérêt de l’euro a d’ailleurs été de permettre aux pays de s’endetter en monnaie unique bien au-delà de la capacité d’épargne des nationaux. On a donc construit un système de mutualisation de la dette sans trop le dire. Ainsi, quand certains réclament une mutualisation de la dette, ils font mine de ne pas savoir qu’elle existe déjà.

Un pays qui sortirait de l’euro, et par conséquent dévaluerait sa propre monnaie de 20 ou 30 % de façon à retrouver des marges de manoeuvre, se retrouverait avec une dette augmentée qui deviendrait alors insupportable. Dans ce cas, l’Etat, les collectivités locales, les grandes entreprises et les banques se retrouveraient en risque de faillite.

La France a vendu 60% de sa dette à des non-résidents. L’épargnant français serait incapable de remplacer ce non-résident. La majorité des pays en Europe sont dans la même situation.  

Aucun de ces pays n’a intérêt à sortir de l’euro qui mutualise la dette. La Grèce a fini par le comprendre quand ses banques ont été fermées et que le pays a perdu ses financements. Il a fallu revenir en arrière, ce qu’a fait Alexis Tsipras.

2ème axe : la politique industrielle. Made in France, made in America. C’est évidemment séduisant en campagne électorale, mais à un prix que personne n’ose présenter. Retrouver un appareil industriel national relève de la douce utopie. Contrairement à ce qu’on croit, la mondialisation n’a pas consisté à répartir géographiquement les productions de produits ou de service ; la mondialisation a réparti géographiquement des éléments de produits et de service.

La chaine de valeur d’un produit a été complètement éclatée selon les spécialisations des uns et des autres. La valeur d’une automobile bas de gamme, vendue en France, est crée dans trois ou quatre pays différents. Elle est constituée d’éléments diversifiés qui sont assemblés ensuite. La valeur d’un article textile est créée en Chine ou en Inde, mais pour 30 ou 40 % en France ou en Italie pour le design, la recherche et le marketing.

On ne pourra jamais reconstruire une chaine de valeur 100% nationale. C’est techniquement très compliqué, et ça serait économiquement très coûteux pour le consommateur.  

Les échanges commerciaux entre pays développés sont beaucoup moins segmentés. Une voiture Mercedes ou Audi, vendue en France, est d’origine allemande.

La seule solution pour restaurer une industrie nationale est de relever en gamme la qualité du produit. Gagner en compétitivité hors coût. On n’achète pas, en majorité, des voitures allemandes parce qu’elles sont moins chères. On les achète parce qu’elles ont la réputation d’être de meilleure qualité. C’est la raison pour laquelle on accepte de les acheter plus chères.

Le retour à une industrie nationale commande une politique qui ne se résume pas à fermer des frontières ou à mettre des barrières douanières. Installer des barrières douanières est le meilleur moyen d’augmenter les prix intérieurs, et par conséquent, de tuer le pouvoir d’achat du consommateur.

Personne n’imagine que ce soit l’objectif des mouvements populistes. On ne peut même pas espérer qu'une taxation des importations pousserait les grandes entreprises à rapatrier des fabrications pour servir uniquement le marche intérieur d’un pays de la zone euro. Ce qui intéresse une grande entreprise, c’est de travailler sur l’ensemble des marchés européens ou même sur l’ensemble des marchés mondiaux. Le jour où Donald Trump va taxer de 35 % les importations de voitures low-cost fabriquées au Mexique, il va, du même coup, en interdire l’achat à ses propres électeurs. Donc, il ne le fera pas.

La meilleure solution pour se protéger des importations est de s’élever en gamme et de gagner en compétitivité.

3ème axe : la politique de rigueur. Aucun économiste sérieux ne pourra démontrer que les pays européens ont vécu sous l'empire de l’austérité. Les chômeurs ont, certes, payé cher les effets de la crise, mais on les a indemnisés. La politique de la BCE reste très généreuse, avec des taux d’intérêt proches de zéro, toujours inferieurs à la croissance. Quant aux critères de Maastricht considérés comme trop tendus, ils sont depuis longtemps dépassés par la plupart des pays (France, Italie, Espagne) avec l’accord implicite de la Commission européenne et de l'Allemagne qui assure la solvabilité de l’ensemble. C’est d’ailleurs l'intérêt de l'Allemagne puisque ce sont les excédents allemands qui financent pour la plupart les déficits en euros du reste de l’Europe. Les mouvements populistes n'ont pas compris cette évidence. Ils critiquent l’Allemagne, mais c’est l’Allemagne qui finance. Elle a d’ailleurs intérêt à le faire et à continuer à nous aider. Pourquoi ? Parce que si un des pays faisait défaut, c’est une ou deux banques allemandes qui sauterait. Les déficits européens sont pris en charge par l’épargne et les excédents allemands.

Confrontés à la réalité des affaires, il est évident que les mouvements populistes seront obligés d’amender leurs ambitions, au grand dam des opinions publiques qui leur ont fait confiance. La grande incertitude qui règne en Grande-Bretagne va d’ailleurs affaiblir les mouvements souverainistes.

L’objectif de Theresa May est de sortir de l’Union européenne, tout en conservant les avantages de marché.

Les pays de la zone euro sont dans une situation plus compliquée encore : s’ils veulent sortir de l’euro, ils perdent immédiatement la mutualisation de leurs dettes. Ils perdent donc leur financement, sauf à mettre en place une véritable politique d’austérité liée à l’autarcie qu’ils auront choisi et qui pénalisera évidemment les populations.

Les mouvements populistes en Europe accusent l’Europe de tous les maux dont les pays souffrent; ils proposent donc une sortie de l’Union européenne et un retour aux souverainetés.

Il y a quelque chose de cocasse à vouloir sortir de l’Europe et de proposer à l'ensemble des pays européens de coordonner le mouvement, 

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