Présidentielle 2022 : peut-on être élu sans jouer sur le registre des émotions positives et de l’optimisme ?
Alors que les candidats multiplient les meetings dans les ultimes jours de la campagne présidentielle, le fait d'aborder des thématiques anxiogènes peut-il être une stratégie électorale payante pour Marine Le Pen ou Eric Zemmour ?
Atlantico : Eric Zemmour s’est fait remarquer par une campagne fortement imprégnée par la thématique du déclin. Il a encore récemment déclaré que s’il n'est pas élu, la France deviendra un "Liban en grand" marquée par la "corruption, la misère, l'islamisation et la violence". Cette description très sombre de l’avenir est-elle motrice politiquement ? Aborder des thématiques si anxiogènes est-il une stratégie électorale payante ?
Alain Faure : Dés le départ, Eric Zemmour a construit sa candidature en clamant haut et fort dans les médias, avec un vernis assez habile d’érudition historique, que les Français étaient en immense danger sur leurs valeurs. Cette stratégie a payé émotionnellement dans un premier temps en raison de l'impression qu'il était le premier à oser exprimer aussi crûment des angoisses et des colères de type existentiel sur le devenir de l'identité française. Mais la rhétorique anxiogène a perdu de sa force et de sa portée dès qu'elle a été traduite en mesures concrètes, comme ses "solutions" sur la francisation des prénoms ou l'expulsion systématique des étrangers. La charge passionnelle de ses indignations s'est en quelque sorte retournée contre lui. Il se retrouve dans une position de puissance et d'euphorie qui tourne de plus en plus à vide. On pense à Charlie Chaplin dans Le dictateur, sautillant, menaçant et grotesque.
C'est la clef de l'incarnation en politique: les larmes et les colères que les candidats mettent en récit pour exprimer leur proximité avec les électeurs prennent toute leur force lorsqu'elles sont perçues comme authentiques et qu'elles débouchent sur des promesses pour transformer le monde. L'émotion qui accompagne l'acte de vote se nourrit toujours de l'espoir, presque du frisson, qu'un monde meilleur est possible.
Les candidats identifiés aux extrêmes de l’échiquier politique, comme Marine Le Pen, ont-ils intérêts à ajouter une dimension d’optimisme à leur discours s’ils veulent convaincre ?
L'optimisme est un ressort sans doute déterminant dans une élection présidentielle dans la mesure où à l'issue du second tour, c'est un peu l'image et le destin de la Nation qui s'y cristallisent. D'une certaine façon, l'abstention éclaire cette équation: elle est moindre dans les élections présidentielles (comme aux municipales) parce qu'il s'agit de scrutins particulièrement incarnés, personnalisés, presque charnels. Aux législatives ou aux Européennes par exemple, le choix d'un vote de résistance ou de contestation radicale parait plus facile à assumer.
La démocratie sensible, c'est une véritable énigme pour les politistes! Les émotions sont omniprésentes dans la compétition politique. Le vote est affaire de larmes et d'indignations autant que de raison et de projet. Les opinions politiques affichées sont souvent imprégnées de traumatismes et de passions qui nous éloignent des clivages partisans. Ces blessures relèvent de l'histoire intime des individus, elles sont difficiles à modéliser, et pourtant, en ces temps d'individualisme marqué, elles conditionnent puissamment les choix de vote et les processus d'identification aux candidats en lice.
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