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Survivre en entreprise : 
l'épreuve du premier jour
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Ton univers impitoyable

Dans leur livre "N+1, survivre en entreprise en 10 leçons", Théodore Musard et Achille Wolfoni dressent un portrait humoristique du monde de l'entreprise. Extraits (1/2).

Théodore  Musard Achille Wolfoni

Théodore Musard Achille Wolfoni

Théodore Musard et Achille Wolfoni sont romanciers. Ils sont notamment les auteurs de Chirac s'emmerde et Rachida m'a dit.

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Hier, il ne portait pas de cravate. Il prenait une veste en vitesse, pour assurer lors de ses rendez-vous, mais il passait le plus clair de ses journées en bras de chemise. Le vendredi, c’était Casual Friday. Il venait à la boîte en jean et pull à col roulé. C’était avant. Une autre vie.

Ça paraissait si loin déjà : la préhistoire. Quand il n’était le N+1 de personne. Quelque chose comme Mister Nobody. C’était bel et bien terminé, fini. Désormais, il n’était plus le N-1 de son N+1 puisque celui-ci était devenu World Wide. Une sorte de N+2 si l’on veut. Et encore, N+2, cela relevait d’une approche verticale. Si l’on adoptait une approche transversale, on aurait presque pu parler entre eux de partnership.

Ça faisait en tout cas un bon appui au Coma, au Comin, au Codir. C’est ce qu’il avait expliqué ce matin-là à Karine en nouant sa cravate. Elle essayait de suivre, sans toujours tout comprendre. On aurait dit parfois qu’elle le faisait exprès. Combien de fois avait-il fallu lui dire que le Coma (comité des managers) n’avait rien à voir avec le Comex (comité exécutif ), le comité de direction (Codir) avec le comité d’innovation (Comin) ! Berluchaud avec Montagné, Weston avec Berlutti. C’était comme confondre la Ligue des champions avec l’Europa League, le challenge Yves Dumanoir et le Bouclier de Brennus.

Ça ne l’éclairait pas beaucoup. Elle se perdait dans les noms propres et dans les sigles. Pourtant, elle était prof de français. Il se demandait parfois ce qu’elle leur racontait, aux mômes. Il avait continué en lui disant qu’à son avis il en avait pour deux ans à ce poste, et qu’ensuite il pouvait légitimement espérer une progression spectaculaire ; qu’il l’avait senti au dernier kick off, où Steve et Bob étaient venus lui lancer des amazing en lui tapant l’épaule avec cet oeil allumé, animal, qui révèle les vainqueurs. « Pour parler vite, il avait dit, j’ai un missile Tomawak dans le cul. » Cette fois, Karine avait compris.

Il avait hésité entre une cravate rouge, une bleue et une taupe. Le mec sur LCI en portait une sombre, il avait donc pris la taupe. Il était encore un peu à l’étroit dans ses nouvelles pompes, mais elles en disaient plus que tous les discours. Ça valait la peine d’avoir mal aux pieds. Il était rasé de près, avait un peu maigri, il tapait du poing dans la paume. Il se sentait comme une force qui va. Il n’avait pas le trac. Aucun stress. Juste concentré. La
première journée est toujours décisive. C’est là qu’il faut prendre ses marques. Entrer dans ses fonctions comme dans un costume sur mesure, un sweat dans lequel on aurait grandi. Donner le sentiment qu’on y est aussi à l’aise que si l’on était né avec. Que votre promotion avait un caractère d’évidence. Qu’elle avait consacré l’inévitable.

Que vous étiez le meilleur pour le job qu’on attendait de vous. Que vous étiez à vrai dire le seul possible. En s’approchant de la tour, il reprenait un à un les détails qui feraient de cette journée un moment décisif. « Tout est dans les détails », avait dit René Char, ou Michel Serres, il ne savait plus, à moins qu’il l’ait lu dans L’Essentiel du management. Tout compte. Tout fait signe. L’arrivée dans le hall, d’abord, avec ses rites. Sourire distant, bienveillant et condescendant pour les subordonnés, poignée de main froide pour les rivaux, accolade enthousiaste avec bons mots pour ceux qui comptent et qui peuvent servir. Il n’était pas encore assez haut placé dans la hiérarchie pour qu’on lui ouvre le battant de verre et qu’il évite les tourniquets, mais il y serait bientôt. De l’obstination, de la patience. Savoir serrer les poings. Attendre. Ça viendrait step by step.

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Extraits de N+1, Survivre en entreprise en 10 leçons, de Théodore Musard et Achille Wolfoni, Mango (septembre 2011)

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