Préfet, un noble engagement au service de la République <!-- --> | Atlantico.fr
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Le nouveau ministre français des Outre-mer Jean-François Carenco prononce un discours aux côtés du ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin, le 4 juillet 2022.
Le nouveau ministre français des Outre-mer Jean-François Carenco prononce un discours aux côtés du ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin, le 4 juillet 2022.
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Jean-François Carenco publie « Préfet de la République » aux Editions du Cerf. Racontant sa carrière hors-norme de préfet, c'est la République que dépeint et que défend Jean-François Carenco, en montrant que le service de l'État n'a de sens qu'au regard des valeurs universelles qui le portent. Une tranche d'histoire française qui dessine les voies d'avenir pour la France. Extrait 1/2

Jean-François Carenco

Jean-François Carenco

De la Guadeloupe à Paris et jusqu'à Nouméa, Jean-François Carenco a connu cinq présidents de la République en exerçant son métier de préfet. Il a aussi dirigé pendant plusieurs années les cabinets de Jean-Louis Borloo. En 2022, il est nommé ministre délégué chargé des Outre-mer.

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Nous connaissons la phrase de Lucien Bonaparte lorsqu’il créa le corps préfectoral en 1800 : « De ce jour naquit le bonheur des peuples. » Si l’on doit convenir qu’il exagérait un peu, il me semble important et utile de dire ce qu’est le métier préfectoral, ce que c’est d’être préfet en République aujourd’hui, et le rôle irremplaçable pour demain du préfet dans le combat républicain à mener.

Pour faire ce métier, il faut avoir trois amours chevillées au corps : les autres, la France et la République.

Servir ces trois amours doit se faire dans le cadre des lois et règlements bien sûr, mais aussi sous l’impulsion et en suivant la direction tracée par un gouvernement démocratique et légitime. Mais servir, c’est aussi être au service d’une certaine idée de l’État et de la République, dans le temps long, dans la continuité historique. Le préfet a sa vision de la République, qui se construit tous les jours. On ne s’engage pas dans ce métier, dans cette aventure personnelle et nécessairement familiale, tant l’impact sur son conjoint et ses enfants est fort, uniquement par goût des responsabilités opérationnelles, par l’envie d’un service réputé noble au sein d’un ministère régalien, par la recherche du prestige d’un corps et d’un uniforme, que je trouve personnellement assez laid et démodé. On s’y engage pour une certaine idée de la République et de la France que l’on souhaite faire partager à ses collaborateurs et aux populations que l’on sert. Plus le poste est petit et isolé, loin de Paris, plus cette réalité peut s’exprimer quotidiennement : ainsi en a-t-il été pour moi à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans des débats parfois difficiles avec les autorités canadiennes, mais en métropole aussi, en Haute-Savoie, lorsqu’il fallait engager des discussions tendues avec le canton de Genève ou celui de Lausanne ; c’étaient les habitants de ces départements que je représentais directement lorsque je négociais les modalités de transport maritime sur le Lac Léman ou les modalités de contrôle des frontaliers qui allaient travailler quotidiennement à Genève ; et Paris était bien loin, ce qui est bien normal.

« Servir la République »

« La République c’est la démocratie plus. Plus précieuse et plus précaire. Plus ingrate, plus gratifiante. La République c’est la liberté plus la raison. L’État de droit plus la justice. La tolérance plus la volonté. La démocratie, disons-nous, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières. » Voilà les mots puissants prononcés par l’écrivain, homme d’action, homme de révolution, Régis Debray en 1995, dans les pages du Nouvel Observateur, « Êtes-vous démocrate ou républicain ? ».

Des mots qu’un préfet, celui qui doit être le républicain absolu, médite chaque jour ou du moins devrait-il le faire.

Le préfet a deux fonctions. D’une part il incarne la nation et l’État dont il est le représentant sur le territoire ; d’autre part, il représente le gouvernement et chacun de ses ministres (y compris le ministre de la Justice d’ailleurs, ce que je disais avec délice au premier président des cours d’appel auquel j’allais rendre visite lors de mes arrivées dans un poste) et à ce titre il applique les politiques du gouvernement et a autorité sur les fonctionnaires (avec des exceptions, bien sûr, dans les affaires judiciaires, scolaires, fiscales et militaires). C’est cette double réalité qui, au travers de l’action des préfets, permet d’ancrer la République dans les territoires.

C’est parce qu’il représente l’État et la nation que le préfet a la préséance (hors présence ministérielle) sur tous les fonctionnaires de l’État, sur tous les élus, maires, président de conseils départemental ou régional, et même parlementaires. C’est à ce titre qu’il prend la parole en dernier lors des cérémonies publiques ou qu’il dépose la dernière gerbe devant les monuments aux morts des villes et des villages lorsqu’il est présent pour honorer ceux qui ont péri pour leur pays. C’est à ce titre qu’il lui est demandé, en toutes circonstances, une attitude digne et respectueuse de tous et de toutes.

Servir la République, c’est ensuite appliquer les politiques ministérielles d’un gouvernement démocratique qui respecte la pluralité de pensée du corps préfectoral. Il y a là un équilibre subtil qui est une des caractéristiques d’une République administrative et qui donne de la liberté aux préfets loyaux, mais non serviles. Le préfet n’est pas obéissant, il est loyal au gouvernement puisqu’il en est l’expression même. Le préfet doit appliquer la loi, ce qui ne veut pas dire l’appliquer bêtement. Servir sans s’asservir. C’est la devise de l’ENA, on ne le dit pas assez. Servir le gouvernement, servir la France, servir la République, servir les autres… sans s’asservir à rien. Le terme d’obéissance n’a pas de sens dans cette fonction et c’est à ce titre que les préfets sont honorés d’être nommés par le président de la République et qu’ils acceptent d’être convoqués à tout moment et parfois révoqués.

Mais servir la République, c’est la servir à tout moment, en urgence et sur le temps long, sur tous les sujets et avec tous les interlocuteurs. Il y a, je crois, dans le métier de préfet, comme une emprise de la fonction sur son titulaire. On n’est pas préfet aux heures et jours ouvrables. On est préfet 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pendant les 365 jours de l’année.

7 heures 15. Je suis debout sur une estrade de palettes en bois devant un braséro allumé pour tenter de convaincre les salariés d’une entreprise de 80  personnes environ –  presque toutes des femmes  – que la délocalisation de leur usine à 8 kilomètres de là n’est pas un drame ; que c’est, au contraire, une chance qu’elles doivent saisir pour elles-mêmes, pour les habitants de la vallée.

Que c’est dur de convaincre si l’on n’a pas l’envie chevillée au corps, au cerveau, dans tout son être ! Que c’est parfois dur d’être hué ou sifflé contre toute raison dans les petits matins froids et encore ensommeillés !

Un préfet n’est pas contrôlable, mais on lui fait confiance. Ainsi, servir la République, c’est oser dire à un Premier ministre dans son bureau : « Non, Monsieur le Premier ministre, je ne ferai pas comme vous me le demandez », ou plutôt, je ferai ce que vous me demandez de ne pas faire car il y va d’intérêts plus forts que les intérêts contingents et électoraux que m’avez expliqués. Un Premier ministre comprend cela si l’on sait parler avec son cœur et mettre en avant des dossiers construits. Évidemment il vaut mieux que le succès soit au bout.

Bien sûr, le préfet croit à l’ordre républicain, à la justice sociale, à la création de valeur et à la force de la culture. Il est sans intérêt personnel, hors l’application de ces quatre notions et, dans notre démocratie, il est celui qui a la charge de les rappeler à tous, à toutes et à tout moment. Au quotidien, dans ses journées où il lui faut décider, arbitrer, rassembler, ces quatre notions nourrissent ses réflexions et orientent son action. Certes, il agit avec toutes les forces présentes dans le département ou la région, avec les élus, les parlementaires ou les dirigeants de collectivités locales.

En France, le système est ainsi fait que la République doit avoir le dernier mot et que c’est lui qui l’incarne dans les territoires. Cette notion, que ses opposants qualifient de jacobine, est aujourd’hui contestée au nom du pouvoir des élus locaux qui seraient plus proches des citoyens et donc mieux à même d’incarner l’intérêt général. Je conteste cette vision de la République, vous l’avez compris. N’opposons pas l’intérêt local et l’intérêt national, la vérité n’est jamais binaire et l’histoire nous dit autre chose. Sur le plan géographique c’est en outre souvent faux car un préfet de département est plus proche des élus locaux qu’un président de Conseil régional.

La fonction de préfet n’est pas simplement une mission, c’est aussi un métier que l’on apprend au fil du temps, des années, des postes et des rencontres, des succès et des échecs. Je crois pour ma part, avoir appris un peu de ce métier dans chacun de mes postes.

À Nouméa, en Calédonie, ce fut la prise de contact avec le débat sur le colonialisme ; ainsi, alors que je parcourais les tribus du Nord de l’île, défendant l’idée de la République, je fus un jour réduit au silence par un Kanak qui, la tirant de sa poche, me montra la photo d’un homme noir enfermé dans une cage suspendue en l’air. C’était son grand-père à l’occasion d’une exposition universelle à Paris. Médusé, réduit au silence, ma République en bandoulière était meurtrie. Mais ce fut aussi la rencontre avec Jean-Marie Tjibaou. Il m’a fait connaître la nécessité de replacer l’homme dans le monde et dans la création tout entière à son humble place. Je n’oublierai pas l’homme extraordinaire qu’il fut. Il a été assassiné un jour de mai  1989 par la haine, la bêtise, le repli sur soi, le refus de voir le monde en mouvement, tel qu’il est. Jean-Marie Tjibaou m’a appris que la République est belle lorsqu’elle est tolérante et que ses idéaux peuvent transformer l’histoire. C’est une leçon que je n’oublierai jamais, surtout avec un tel professeur ; il m’a appris à servir la République ; lui qui était un indépendantiste et un francophile. Avant sa mort, nous avions convenu d’aller ensemble voir le XV de France jouer contre les All Blacks le mois suivant.

J’ai aussi appris la République dans les Antilles, en Guadeloupe, déjà encore en conflit avec elle-même, car jamais la cicatrice de l’esclavage ne s’y est refermée ; car jamais, me semble-t-il, la France n’a discuté avec elle-même de cette terrible année  1802 au cours de laquelle Louis Delgrès est mort en précurseur et héros de tous les résistants en criant : « Vivre libre ou mourir. »

J’ai appris aussi en Tarn et Garonne, en fréquentant les producteurs de melons, les vignerons, les poètes occitans, les éclusiers sur les canaux…

Servir la République pour un préfet, c’est l’aimer, apprendre ce qu’elle est à travers son histoire, à travers les hommes et les femmes qui la composent. C’est vouloir partout servir ses idéaux et les faire partager. Certes, cela suppose des moments difficiles à vivre, quand on est confronté à des tragédies comme les attentats de Paris en 2015, quand on doit mener des opérations de maintien de l’ordre compliquées, quand on est confronté à des drames vécus en direct et en émotion au milieu des populations qu’on doit servir… Mais qu’elle est immense cette joie de servir !

Le préfet est bien sûr en première ligne en dirigeant les services de l’État, en coordonnant les politiques publiques, mais surtout en aidant et en rassemblant tous ceux qui agissent sur le terrain, notamment les élus et les collectivités locales, au profit de l’intérêt public, du bien-être des citoyens.

Pour être au plus proche des territoires, je revendique l’autorité du préfet (préfet des territoires) sur l’ensemble des administrations de l’État (hors les exceptions déjà citées). Par quel chemin tortueux, a-t-on imaginé qu’une administration territoriale de l’État, fragmentée, sectionnée, divisée dans des offices ou délégations, était préférable à une administration regroupée et responsable, expression territoriale de l’État central, interlocuteur crédible et efficace des élus locaux, c’est-à-dire des communes, des départements, des régions, à l’écoute des citoyens et des forces vives du pays ?

Oui le préfet doit être à la tête de tous les services de l’État déconcentré, y compris des agences et autres structures diverses. Il s’agit d’une aventure collective qui doit guider notre vivre-ensemble dans une France en mouvement et qui ne saurait être émiettée dans son action.

Pour agir, la relation, l’interaction avec les acteurs locaux est essentielle ; elle se doit d’être confiante et sereine, féconde et constructive. Il faut savoir aller à leur rencontre, avoir le goût et la curiosité des autres, de leurs actions, afin qu’ils vous parlent de leur territoire, qu’ils vous révèlent ce qui en fait la continuité historique, parfois ce qui en constitue la trame cachée, parce qu’elle tient à des fidélités enfouies ou oubliées.

Il faut savoir « faire parler » et écouter les élus locaux ou nationaux, les acteurs de ces territoires, pour qu’ils vous fassent partager leur passion et construisent vos décisions : sans eux, vous ne pouvez agir.

Le préfet doit être la source permanente de la réflexion et des propositions des élus nationaux, députés et sénateurs, ceux-là mêmes qui en dernier ressort font la République puisqu’ils en sont les législateurs et que l’exécutif agit sous leur contrôle. Il doit être l’initiateur des exemples qu’ils citeront à la tribune du Palais Bourbon ou du Palais du Luxembourg. Il doit mettre en phase les parlementaires avec le terrain. Le couple préfet/parlementaire, s’il fonctionne, est un carburant (mais sûrement ce mot est désormais condamnable) pour vivre ensemble une dynamique départementale et territoriale précieuse, dans le cadre d’une République unie et unitaire.

Il en va de même, mais de manière plus concrète, plus physique, plus opérationnelle avec les responsables de collectivités locales. Le temps n’est plus, mais je l’ai connu et c’est donc qu’il n’est pas très éloigné, où pour être effective et opposable, une délibération d’un conseil municipal devait d’abord être validée par la préfecture. Le temps n’est plus où les conseils départementaux, autrefois appelés conseils généraux, n’étaient en réalité que la « cagnotte du préfet ». Certes, il y avait un président, certes les membres y étaient soumis à élection et à réélection éventuelle mais le préfet était l’exécutif du département, il préparait les budgets et il assurait l’exécution des délibérations. Quant aux régions, elles n’existaient pas. C’était sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et le gouvernement de Raymond Barre en 1977. Gouverner était alors autre chose qu’aujourd’hui. Tout cela a commencé à changer à partir de 1981, sous l’impulsion et la férule de Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur, après l’élection de François Mitterrand comme président de la République. Les réformes vers plus de décentralisation se succéderont ensuite. Avec les communes et maintenant les communautés de communes et les agglomérations, puis les métropoles, le préfet est en charge, au nom du gouvernement, d’instaurer un partenariat d’actions.

Être au service des élus locaux et de leurs collectivités, trop nombreuses, c’est aussi cela le boulot du préfet en République aujourd’hui. Leur apporter l’aide financière de l’État, suivant des canaux et des procédures elles aussi trop nombreuses, l’aide technique, décider, à leur demande, des questions d’aménagement du territoire ou d’investissement de l’État, alerter le gouvernement, bref le couple « État-collectivité locale » est à la manœuvre pour que, chaque jour, la France aille mieux. 

Extrait du livre de Jean-François Carenco, « Préfet de la République », publié aux Editions du Cerf

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