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Pourquoi le Royaume-Uni va gagner aux points son combat avec l’Union Européenne
©Stefan Rousseau / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraëli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
5 octobre 2018

Mon cher ami, 

Boris flamboie, Theresa rassemble et Donald (l’autre) a un gros chagrin

J’ai quitté Birmingham et l’édition 2018 de la Conférence du parti conservateur avec le sentiment du devoir accompli. Voici trois mois qu’avec David Davis et quelques autres nous nous sommes battus pour neutraliser le plan de Chequers. Theresa May, dans son discours à la Conférence a réussi à ne pas prononcer une seule fois le nom de Chequers. Elle a parlé de « notre proposition » mais a décrit son objectif dans les termes suivants: « un accord de libre-échange qui permette une circulation sans entraves des biens ». Le plan de Chequers garde l’arbitrage de la Cour Européenne de Justice pour cet accord commercial. Le Premier ministre n’en a rien dit hier. Elle peut donc faire comprendre la différence entre sa vision du libre commerce des marchandises et la fin de la libre circulation des personnes. Les mots utilisés sont suffisamment vagues pour pouvoir décrire aussi un accord du style « SuperCanada ». Boris a-t-il déployé sa verve pour rien? En aucun cas, d’abord parce que son discours - je le concède - fut le plus flamboyant de la Conférence; ensuite parce qu’il a obligé le Premier Ministre à utiliser les termes d’un Brexit qui rassemble le parti au lieu de le diviser. Comment Theresa ne tiendrait-elle pas compte de l’affluence au débat sur le Brexit organisé par la plateforme « BrexitCentral »? Cependant, à aucun moment de la Conférence Boris Johnson n’a été en mesure de prouver qu’il pouvait rassembler une majorité du parti derrière lui. Et le Premier ministre a eu beau jeu d’en appeler à la réalité du Brexit contre la théorie de la sortie de l’Union Européenne. Elle a su dire à la fois qu’elle ne craignait pas une absence d’accord mais aussi qu’elle entendait rassembler le parti et la nation pour gagner dans la négociation qui s’ouvre. 
Au fait, mon cher ami, il faut faire quelque chose: Donald Tusk est malheureux. Theresa a osé dire que le Conseil Européen, à Salzbourg, avait manqué de respect à la Grande-Bretagne ! Le président du Conseil européen en est très marri! Il trouve que le Premier ministre britannique a laissé parler ses émotions. Et comme un maître d’école - l’Union Européenne sait-elle produire autre chose, désormais, que des donneurs de leçons? - il gronde la petite fille: « Allons, maintenant il faut se remettre au travail! ». Au passage, il dit la seule chose importante: l’Union Européenne est prête à un accord du type « Canada ». Allons, Boris! Accepte que le monde soit mal fait: tu rêves de vivre à l’époque de Churchill et tu n’es entouré que de clones de Clement Attlee. Tu voudrais que ton Premier ministre foudroie l’Europe et c’est Donald Tusk qui est d’accord avec toi! Theresa, laborieusement, a imaginé Chequers dont une partie peut plaire aux Remainers du Parti et l’autre aux Leavers. Ce n’est pas bien glorieux mais tu as contribué par ta démission du gouvernement, à déclencher l’étape suivante: enfin, le Premier ministre a affiché une position de négociation modérée mais ferme; elle ne transigera pas sur l’Irlande du Nord; ni sur l’unité du Royaume: elle s’est payé le luxe de rappeler à Nicola Sturgeon qu’elle défendrait mieux les intérêts des pêcheurs écossais qu’un Premier ministre d’Ecosse. Elle ne transigera pas sur l’immigration. Elle veut un accord sur la circulation des marchandises. A l’Union Européenne de jouer. 

Pourquoi la Dame de Roseau va l’emporter

Boris se rêve en enfant de Churchill et il doit accepter qu’une Dame de Roseau - pas une Dame de Fer - unisse tant bien que mal le Parti derrière elle. Oui, nous aurions mieux aimé, à tout prendre, une négociation à la Donald Trump; il y a eu beaucoup de temps perdu. Mais, finalement l’opiniâtreté d’un Premier ministre assez pâle va obliger l’Union à bouger. Theresa va gagner aux points parce que les négociateurs de l’Union Européenne ont été encore plus pâles et falots. Contre le texte des traités, le Conseil européen a fui ses responsabilités; c’était à lui de négocier le Brexit. Michel Barnier s’est comporté comme un membre de la Commission: procédurier et technocrate à la fois. Des préalables à l’engagement des négociations ont été inventés qui n’avaient aucune base, là non plus, dans les traités. Le rythme a été celui de l’escargot. A présent, l’échéance se rapproche; le risque d’un Brexit sans accord se précise. Et l’Union Européenne fait soudain ses calculs. Elle a plus à perdre, en points de croissance que la Grande-Bretagne en cas de rupture du dialogue. Emmanuel Macron et Angela Merkel ont bien envie de punir la Grande-Bretagne qui est sortie sans permission. Mais Angela va bientôt remettre son tablier. Et Jupiter a cassé son éclair, il va surtout être occupé à rétablir son autorité dans les prochains mois; donc les réalistes, en France et en Allemagne, vont pouvoir se faire un peu entendre. Et Michel Barnier s’appuiera sur eux ou bien même avancera seul, car il tient l’occasion de sa vie professionnelle: un accord pour le Brexit qu’on lui attribuera dans les livres d’histoire. Et qui lui permettra peut-être d’être président de la Commission. 
Tout cela va être laborieux. Le Conseil des maîtres d’écoles va continuer à faire la morale aux chahuteurs qui ont fugué loin de l’Union. L’accord signé sera fragile, derrière les apparences. Il faudra envisager, un jour, un nouveau type de relations entre la Grande-Bretagne et l’Europe continentale. Mais il est n’est pas à exclure que la Dame de Roseau survive à l’Union Européenne, au rythme où vont les choses. Imaginez que les élections européennes du printemps prochain marquent le début de la fin de l’UE au moment même où un parti conservateur soulagé d’avoir préservé son unité et soucieux de bloquer l’accès du pouvoir au Labour votera unanimement l’accord obtenu par Theresa! 
N’embellissons pas la situation mais reconnaissons que le Premier ministre a trouvé les mots qu’il faut. Le Labour annonce travailler « non pas pour le petit nombre mais pour le grand nombre ». Et comme si elle venait de retrouver au grenier les outils de Benjamin l’Ancien, un peu abimés mais encore reconnaissables, Theresa répond: « Ni pour le petit ni pour le grand nombre mais pour chacun qui travaille et respecte les règles ! ». Elle laisse entrevoir la fin de la politique d’austérité, des mesures en faveurs de l’accès au logement, un plan ambitieux de dépistage précoce du cancer. Timide retour d’un authentique conservatisme. C’est à l’image de la Dame de Roseau: insuffisamment ambitieux, prudent, presque timide; mais la nacelle vogue entre les rochers et, pour l’instant, elle a évité le naufrage. 
Oui, j’aurais tant à dire! J’ai soutenu David et mes amis Brexiteers au sein du Parti malgré mon scepticisme quant à leur libre-échangisme radical; mais ils ont su mettre sous pression les wets, les mous Remainers. Je pense que la position affichée par Theresa reste toute d’ambiguïté. Mais, avant de philosopher il faut vivre. Il me semble que l’unité du parti sera préservée. J’ai lutté contre Chequers jusqu’à hier. Désormais, le nom que je porte m’enjoint de travailler à l’unité du Parti. Jusqu’au vote par les deux Chambres d’un accord arraché à Bruxelles par Theresa! 
Bien fidèlement à vous 
Benjamin Disraëli

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