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Pourquoi les terroristes nés de parents immigrés ont tendance à tuer ce qu’ils n’ont pas réussi à devenir
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Echec

Omar Mateen, l'auteur de l'attaque contre un club gay à Orlando, était violent et considéré comme bipolaire. De même, l'assassin du policier de Magnanville et de sa compagne est décrit comme instable psychologiquement. L'occasion de s'interroger sur l'état psychique de ceux qui se vivent comme les perdants de l'Occident.

Michel Schneider

Michel Schneider

Michel Schneider, est l'auteur de Big Mother , psychopathologie de mla vie politique (Odile Jacob) et Miroir des Princes (Flammarion).  

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Atlantico:  Selon plusieurs témoignages, Omar Mateen, l'auteur de l'attaque contre un club gay à Orlando, semble avoir eu des tendances homosexuelles. Il était par ailleurs notoirement instable et violent. De même, les professeurs de l'assassin du policier de Magnanville et de sa compagne le décrivent comme instable psychologiquement. Sans réduire ces individus à la qualification de "déséquilibrés", leur allégeance à l'Etat islamique et leur passage à l'acte ne s'expliquent-t-ils pas également par des troubles psychiques ?

Michel Schneider : On aurait tort de réduire les motivations et les procédés des terroristes à des facteurs de psychopathologie individuelle ou collective. Les nommer "fous", "déséquilibrés", "extrémistes", "illuminés", "loups solitaires" n'a qu'un sens : éviter le nom et l'adjectif "islamiste". Le terrorisme est une arme politique. La toute puissance de mort de ceux qui s'y livrent est un moyen irrationnel au service d'une entreprise stratégique rationnellement conçue. La bêtise, la débilité, la folie des exécutants ne doivent pas faire oublier l'intelligence tactique et parfois stratégique de leurs inspirateurs.  Attaquer un commissariat avec une hache en criant Allahou akbar , décapiter son ancien patron, égorger une femme devant son enfant ou tuer à bout portant des enfants juifs dans leur école ne sont certes pas les actes d'une personnalité équilibrée. Les terroristes souffrent d'un déficit identitaire et l'une absence de limites qui révèlent des failles narcissiques profondes, qu'ils cherchent à surcompenser par le "moi grandiose" du martyr qui s'égale à Dieu, le maître de la vie et de la mort. Remarquons que Merah comme Aballa ou Mateeen se sont filmes ou selfiesés au long de leurs actes. Quel besoin de se donner  à voir, de passer à la postérité, fût-ce au prix de sa vie et de celle des autres?  Mais, si massifs et manifestes soient-ils, ces troubles ont conduit le terroriste à chercher et à trouver une rationalisation politique qui donne un sens collectif à sa folie singulière. La perte de la réalité que traverse le psychotique est insoutenable et il cherche dans le délire une issue vers une réalité qui s'incarne imaginairement dans  "le pays de Chaam" ou le paradis.

Quel est l'état psychologique de ces individus qui se voient comme les perdants de nos modèles économiques, sociaux ou culturels, à juste titre ou à force qu'on les qualifie ainsi ? Y a-t-il des troubles fréquemment identifiés parmi ces personnes (comme on sait par exemple qu'un très grand nombre de Palestiniens sont atteints de syndromes dépressifs, suicidaires, d'enfermement, et consomment de l'alcool ou des médicaments en quantité excessive) ?

Tous les terroristes, de Paris à Bruxelles ou Orlando ou les Yvelines, sont nés et ont grandi dans les pays dont ils attaqueront ensuite les civils, et les institutions étatiques. Ils ont été éduqués et assistés dans le cadre de l'Etat providence. Cela fait penser à cette phrase de Flaubert qui dans Salammbô montre les Barbares irrités par la riche et opulente Carthage, (traduisez aujurd'hui : l'Occident gavé de biens et vide de sens) : " Ce spectacle de Carthage irritait les Barbares. Ils l'admiraient, ils l'exécraient, ils auraient voulu à la fois l'anéantir et l'habiter. " Les Kouachi, Abdeslam, et autres Abballa ont sans doute rêvé d'habiter la Cité des plaisirs, sans d'ailleurs faire le moindre effort pour s'y faire leur place. Puis ils ont tourné leur attente en pulsion de mort. Les terroristes de deuxième génération sont les enfants qui tuent ce qu'ils n'ont pas réussi à devenir. Plusierurs d'entre eux avaient cherché à entrer dans la police ou l'Armée. Même avant de se suicider en martyr parce que rejeté ou s'étant auto-exclu, c'est toujours, sur soi-même, projeté, renié, haï, que l'on tire quand on tue. 

Exigences de réussite mais culture de l'échec dans les quartiers sensibles, permissivité morale généralisée mais codes de conduite très stricts dans certaines communautés... Nos sociétés occidentales ne produisent-elles pas malgré elles des injonctions contradictoires très dures à supporter pour des personnalités fragiles ? Comment y remédier ?

Le terrorisme est une maladie auto-immune. Une partie de la société s'attaque à l'autre et cherche à s'immuniser contre la vie que représente la partie saine. Il y en a d'autres formes, dans nos sociétés. Moins graves, mais qui ont la même source: l'envie et la recherche d'une identité valorisée. Les étudiants qui manifestent contre une loi travail qui avait pour objet de leur faciliter un accès à celui-ci, les syndicats violents qui dans la presse, à Air France ou à la SNCF détruisent l'outil même qui les fait vivre et qu'ils sont censés servir, ruinant ainsi leur propre avenir. Masochisme? Il n'est pas rare que l'affirmation de soi par un  narcissisme sans bornes aille jusqu'à l'autodestruction.

On peine également à nommer les cibles de ces criminels. Quelles sont les ressorts psychologiques qui les conduisent à s'attaquer à un club gay ou à un couple de policiers, par exemple ? Dans quelle mesure l'islamisme radical peut-il être un prétexte à des règlements de compte plus personnels (comme dans le cas du djihadiste français qui avait décapité son ancien patron) ?

Toute vérité est bonne à dire, mais certaines ne sont pas bonnes à entendre. Il ne faut pas se tromper quand on nomme les visées des attaques terroristes. En France, on a confondu les victimes et les cibles. Les symboles partiels apparents et les mobiles réels d'ensemble. Non, le 11 janvier, ce n'était pas Charlie et la liberté de la Presse qui étaient la vraie et unique cible. Non, le 13 novembre, ce n'était pas la "jeunesse" ni "la culture" qu'on a voulu tuer, même si  ce sont des jeunes qui sont morts - abattus par d'autres jeunes, d'ailleurs. Les slogans "Nous sommes tous Charlie" et "Génération Bataclan" ont occulté derrière des réflexes communautaristes ce que les terroristes voulaient tuer : la Nation française, dans toutes ses composantes, y compris immigrée et musulmane. Le slogan juste aurait dû être : "Nous sommes tous la France".   Même rengaine dimanche dernier à propos de la tuerie d'Orlando, lorsqu'on  pavoisa la Tour Eiffel aux couleurs de la communauté gay, au lieu du drapeau américain. Les porte-paroles de la communauté LGBT n'ont pas hésité à reprendre  ce nom - qui est celui d'un personnage de Virginia Woolf au sexe indéterminé -, comme une bannière contre les obscurantistes chrétiens qui paraît-il veulent exterminer les homosexuels. On a même reproché aux réactions des officiels français de ne pas mentionner l'appartenance sexuelle des victimes. La réalité est plus complexe. A travers les tués et blessés de ce massacre de masse dans une boîte homosexuelle - ce qui d'ailleurs a pu amener le tueur à  privilégier ce lieu, étant semble-t-il lui même un adepte de cet endroit et de ce type de rencontres - c'était l'Amérique toute entière qui était visée et atteinte par Daesh. Espérons qu'on ne décodera pas les motivations du tueur de Magnanville comme un acte contre une paisible famille d'Ile de France, mais comme une agression menée par un islamiste contre l'Etat à travers les policiers qui le servent. Les amalgames consistent, comme Trump,  à déduire  de ces crimes que tous les musulmans sont de possibles criminels. Pas à rappeler que tous les terroristes, qu'ils aient visé des Français, des étrangers, des homosexuels ou... des musulmans, se réclamaient de l'Islam.

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