Pourquoi les jeunes hommes du monde arabo-musulman se shootent autant au viagra <!-- --> | Atlantico.fr
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Les jeunes du monde arabe seraient devenus d’importants consommateurs de médicaments comme le viagra.
Les jeunes du monde arabe seraient devenus d’importants consommateurs de médicaments comme le viagra.
©DOUANE FRANCAISE / AFP

Addiction

Les jeunes du monde arabe seraient devenus d’importants consommateurs de médicaments permettant de lutter contre l’impuissance sexuelle, selon la BBC. D’après l’Arab Journal of Urology, 40 % des jeunes Saoudiens ont utilisé le Viagra ou un médicament similaire à un moment donné de leur vie.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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Atlantico : Selon la BBC, les jeunes du monde arabe seraient devenus d’importants consommateurs de médicaments permettant de lutter contre l’impuissance sexuelle. Et d’après l’Arab Journal of Urology, 40 % des jeunes Saoudiens ont utilisé le Viagra ou un médicament similaire à un moment donné de leur vie. À quoi est dû cette montée de la consommation de ces médicaments ? Ces remèdes ont-ils des racines plus anciennes ? 

 Roland Lombardi : Tout d’abord, il faut tout de même relativiser et rappeler que l’histoire des aphrodisiaques débute très tôt avec l’histoire humaine. Dès l’aube de l’humanité, et sûrement même dans les cavernes et dans toutes les sociétés primitives jusqu’à l’âge moderne, les deux sexes se sont toujours intéressés aux substances qui pouvaient stimuler la fécondité, le désir sexuel ou exacerber la libido. Plus tard, l’homme et la femme rechercheront l’obtention d’un orgasme plus intense… Quoi qu’il en soit, cela a commencé avec des plantes ou leurs dérivés, des aliments et des organes d’animaux ou encore des substances et des potions plus ou moins efficaces. Dans tous les cas, il a toujours été question d’augmenter les performances lors de l’acte de reproduction ou de l’acte amoureux.

Durant l’Antiquité, on retrouve des écrits chez les Grecs et les Égyptiens qui relatent des recettes et l’usage d’aphrodisiaques.

En Amérique du sud, les Incas, les Aztèques et les Mayas connaissaient la coca, l’écorce de yohimbé et surtout la mescaline, qui au-delà de ses effets hallucinogènes puissants, avaient apparemment et également des effets aphrodisiaques.

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Au XVII et au XVIIIe siècle, en Europe, les épices, venues de terres lointaines, étaient supposées avoir des vertus stimulantes sur la sexualité. C’est à cette époque que fleurissent beaucoup de recettes aphrodisiaques à base de ces mêmes épices.

Ainsi, l’homme surtout – il s’agit ici du genre masculin – et ce dans toutes les sociétés et aux quatre coins de la planète, a toujours cherché, grâce aux aphrodisiaques, à obtenir une meilleure érection ou à résoudre des problèmes d’impuissance.

C’est à la fin des années 1990, que la pharmacopée moderne et les laboratoires proposent des molécules beaucoup plus efficaces dans la prise en charge des problèmes érectiles et qu’apparaît donc le Viagra ainsi que d’autres médicaments similaires comme le Cialis, le Levitra, le Vitaros etc…

L’augmentation a-t-elle été plus importante ces dix dernières années ? 

La consommation de ces produits a véritablement explosé dès leur apparition comme je l’ai dit, à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Elle ne cesse d’être en augmentation jusqu’à encore aujourd’hui. Très vite, et partout dans le monde, se sont alors constitués des marchés parallèles contournant les prescriptions strictement médicales avec des conséquences et des effets secondaires parfois très graves sur les santés les plus précaires et notamment sur les systèmes cardiaques fragiles non détectés.

Mais il ne faut pas oublier que l’explosion de l’usage de ces vasodilatateurs, de leurs productions et trafics illicites, ont accompagné également celle des drogues en général – cannabis, héroïne, cocaïne, crack, amphétamines et autres – (et leur banalisation !) comme celle d’Internet, à partir des années 2000, avec la « démocratisation » du porno, une nouvelle libéralisation sexuelle et l’extraordinaire prolifération des sites classés X accessibles malheureusement à tous.

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Or, ce phénomène touche les jeunes et les moins jeunes de tous les milieux et de toutes les sociétés du monde, occidentales, asiatiques comme celles des pays arabes, africains et sud-américains.

La culture de la masculinité des pays arabes joue-t-elle sur la consommation de ces pilules ? Ces pilules sont-elles détournées de leur usage à des fins récréatives autres que sexuelles ? Est-ce une manière de s’échapper du quotidien ? 

Peut-être mais ce n’est pas la seule et unique raison. Le tourisme sexuel qui s’est fortement développé dans les pays arabes au début des années 2000 a aussi sûrement joué pour beaucoup dans l’explosion de la consommation de ces pilules. Mais encore une fois, ce phénomène est planétaire et global. Même si les drogues et leurs consommations ont toujours existé, il est certain que toutes les sociétés de la planète sont depuis quelques années traversées par une multitude de crises qui aggravent le fléau des drogues en général. Crises identitaires, crises économiques et sociales... Un malaise existentiel qui touche la plupart de tous les pays en l’absence actuelle de grands projets, de grandes idéologies mobilisatrices, de grandes aventures ou de grandes épopées…

De plus, cette économie parallèle des drogues est telle, qu’elle est devenue un enjeu géopolitique voire une artère parfois vitale pour les économies réelles nationales comme internationales. Une enquête réalisée en septembre 2020 par le Consortium international des journalistes d'investigation – à l'origine des « Panama papers » –, a révélé que 2 000 milliards de dollars d'argent sale ont transité pendant près de 20 ans par de grandes institutions bancaires, dont JPMorgan Chase, HSBC et Deutsche Bank !

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Ce graphique qui montre l'impact du viagra sur les prix des médicaments vous fera penser à quelque chose...

A l’échelon local et partout, que cela soit dans les bidonvilles du Maghreb ou les cités françaises, le « deal », au-delà de faire vivre certaines familles et soutenir des économies locales de plus en plus en difficultés, assure également une sorte de paix civile. Et puis tant que la drogue et surtout le cannabis mais aussi le dopage seront banalisés et qu’il y aura de la demande, il y aura des dealers !

En France par exemple les chiffres sont consternants : on compte plus de 1 million de consommateurs de cannabis réguliers et entre 4 et 5 millions de façon sporadique ; plus de 250 000 adeptes de la cocaïne plus ou moins réguliers, et près de 8 millions à titre occasionnel chez les 15-34 ans ! Un tel niveau de toxicomanie démontre l’étendue du problème. Et il suffit d’observer autour de soi qu’il en va de même pour le Viagra et ses dérivés, de plus en plus consommés, sans ordonnances médicales, par des hommes de plus en plus jeunes, recherchant les mêmes performances que leurs acteurs porno préférés ! C’est assez inquiétant pour toute une génération, tant sur le plan physiologique que psychologique…

Bref, malheureusement au train où vont les choses, comme les jeunes des pays arabes, les jeunes de nos sociétés occidentales, sociétés de l’insouciance, du loisir et du plaisir débridé, ouvertes, matérialistes et consuméristes, qui ont perdu tout repère, tout sens des valeurs, en crise identitaire, sociale, économique, et qui stressés, se gavent de dérivatifs en tout genre et d’anxiolytiques, ne sont assurément pas prêts à renoncer aux drogues quelles qu’elles soient…

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