Pourquoi les femmes se convertissent davantage à l'islam que les hommes<!-- --> | Atlantico.fr
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70 % des Européens qui se convertissent à l'islam sont ainsi des femmes.
70 % des Européens qui se convertissent à l'islam sont ainsi des femmes.
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Inch'Allah

Le cerveau présumé des attentats de Nairobi, dite "la veuve blanche", serait une irlandaise convertie de 29 ans. 70 % des Européens qui se convertissent à l'islam sont ainsi des femmes.

Atlantico : 75 % des personnes converties en Grande-Bretagne en 2011 seraient des femmes (voir ici). En France, bien que les chiffres soient moins précis, elles seraient également une majorité à faire ce choix. Qu’est-ce qui pousse les femmes, plus que les hommes, à embrasser cette religion ?

Loïc Le Pape : Il est toujours difficile pour les sociologues de distinguer précisément les raisons de la conversion, car il s'agit d'un acte très personnel. On peut dire qu'il y a autant de raison de se convertir que de converties. Cependant, dans les entretiens que j'ai menés auprès de jeunes femmes converties, trois types d'arguments apparaissent. Premièrement, l'idée d'une réalisation spirituelle ; c'est par l'islam que ces femmes comblent leurs aspirations spirituelles, trouvent une place dans la société et parfois même revendiquent une liberté et/ou une émancipation. Deuxièmement, c'est le choix d'une religion qui allie piété individuelle, moments collectifs et regroupements communautaires, notamment le vendredi à la mosquée, ou lors du jeûne du mois de Ramadan. Ici c'est la religion qui crée du lien social, des relations. Enfin, dernier type d'argument, celui d'une mise en cohérence de la vie du couple ou de la famille. On est dans le cas de couples mixtes, où la femme se convertit, sans qu'elle n'ai besoin de le faire. C'est une forme de don, un engagement dans le couple, une preuve d'amour.

Ahmed Salam : Je ne  connais pas le fondement de ces chiffres. Néanmoins, je ne pense pas qu’il y ait plus de femmes que d’hommes qui embrassent l’islam en Occident. Je pense que du point de vue Occidental, il est difficile de comprendre que des femmes ayant grandi en Europe avec cette exigence d’égalité des droits entre hommes et femmes puissent un jour se tourner vers une pratique de l’islam radical qui prône une inégalité entre hommes et femmes.

Par ailleurs, en Grande Bretagne, mais surtout en France, les mariages mixtes sont une réalité statistique importante. Qu’une minorité de ceux-ci se conclue sur une conversion du conjoint homme ou femme, c’est dans la nature des choses. Mais je tiens à rappeler, que la majorité de ces mariages mixtes sont une belle preuve d’intégration des vagues migratoires en Europe.

La recherche d’émancipation, de dignité ou de liberté sont des arguments souvent avancés par ces femmes pour expliquer leur conversion à l’islam et l’adoption du voile. Comment expliquer que ce discours soit sensiblement le même que celui tenu par les féministes qui, elles, s’insurgent contre ledit voile ?

Ahmed Salam : Il n’y a aucune similitude entre les deux discours : convertie vs féministe. Le seul point commun dans ces discours est l’engagement et la ferveur du militantisme de chacune. Sinon tout les séparent…

Loïc Le Pape : La question du voile déchire une bonne partie de la société française depuis près de 25 ans (depuis l'affaire du foulard de Creil en 1989). Les intellectuels se sont déchirés, les militants et la classe politique également (sur cette question le clivage gauche-droite n'est pas opérant), et les nuances et la complexité sont très difficile à faire admettre. Le NPA d'O. Besancenot a éclaté sur cette question du voile. Il faut prêter attention à ce que dit Régis Debray, "ce que nous voile le voile", c'est le statut de la religion en France, c'est l'histoire de la République et de ses valeurs, et c'est enfin la place des femmes dans nos sociétés. Pas étonnant donc que les notions de liberté, dignité ou d'émancipation soient mobilisées par des visions concurrentes !

Sachant que leur acte pourra éventuellement les marginaliser vis-à-vis de leur milieu d’origine, pourquoi franchissent-elles le pas ? La conversion à l’islam devient-elle un outil de différenciation et d’émancipation sociale ?

Loïc Le Pape : Plus que de la différenciation, c'est une forme d'affirmation à mon sens. Le choix de se convertir à l'islam a un coût, celui du conflit avec la famille et les amis, celui de la stigmatisation potentielle, d'une religion qui a mauvaise presse. En revendiquant pour soi une religion très critiquée les converties à l'islam "retournent" plusieurs stigmates : elles sont croyantes dans un monde incroyant, musulmanes dans un environnement où l'islam est critiqué, et femmes dans une religion monothéiste, donc très masculine.

Ahmed Salam : C’est l’inverse, la marginalisation par rapport à son milieu d’origine est un préalable à un phénomène de conversion. En outre, le voile dit moins sur la religiosité de la personne qui le porte, que  le regard de la société  sur la personne qui le porte. Parmi la première vague de primo arrivants dans les années 60 – 70, une majorité de femmes de culture musulmane ( issues du Maghreb)  portaient le voile sans que le pays d’accueil s’en insurge. Une minorité de leurs filles de la seconde, voire de la troisième génération portent aujourd’hui un voile…Or, celui –ci n’est pas le même que celui que portaient leurs mères, il est emprunté des pratiques aux influences plus lointaines, type Proche Orient,  de doctrine wahhabite. Les nouvelles pratiques et les nouveaux vêtements portés par les femmes musulmanes  n’ont rien à voir avec  ce qui est pratiqué dans les pays d’origine. Les converties sont à l’instar de ces jeunes filles musulmanes issues de l’immigration sous l’influence d’un islam plus fondamentaliste et donc plus transgresseur vis-à-vis du pays d’accueil. Un Islam radical qui s’exporte grâce aux pétrodollars de l’Arabie Saoudite. Il faut juste rappeler à nos lecteurs qu’il existe au sein des pays musulmans une compétition pour savoir qui aura le plus d’influence dans l’espace musulman, la Ouma. L’islam joue ici un rôle de soft power.

Certaines disent se sentir plus libre en étant voilées, par opposition aux femmes occidentales en général qui seraient "objetisées". L’adoption du voile est-elle un acte de libération ou au contraire une fuite à l’égard du monde ?

Ahmed Salam : Ni l’un, ni l’autre. Le port du voile peut être un choix personnel, et c’ est alors parfaitement respectable. Lorsque cela devient un acte en opposition aux femmes et aux valeurs occidentales cela devient un acte politique.

Loïc Le Pape : Contrairement à la société française, les sociologues ont avancé dans leurs études sur la prise du voile. Des travaux ont montré qu'il permettait aux jeunes filles d'avoir accès à l'espace public, à l'université, de se déplacer etc. Le voile apporte aussi pour certaines un confort, parfois un réconfort dans leurs relations aux autres. Les sciences humaines on écouté celles qui portaient le voile et les nuances et la complexité se traduisent dans les travaux de Leïla Babès, Nadine Weibel ou Françoise Lorcerie (et bien d'autres). Il n'y a donc pas de fuite à l'égard du monde, ni d'affirmation communautariste ou politique dans le port du voile, contrairement au port de la burqa.

Au même titre que certaines filles de banlieue se masculinisent, d’autres se convertissent pour se faire respecter des garçons, avance Audrey Robin dans Les filles de banlieue populaire : footballeuses et garçonnes de cité : mauvais genre ou nouveau genre ? Cela n’est-il pas surprenant pour une religion dont les pratiquants adhèrent pour beaucoup à une vision patriarcale de la société ? L’image de la femme effacée correspond-elle à la réalité ?

Loïc Le Pape :Si des femmes se convertissent à l'islam pour se faire respecter des hommes, cela prouve que c'est par la religion qu'elles obtiennent de l'espace, de l'autonomie et une forme de liberté. La question fondamentale du patriarcat est donc à replacer dans notre société, dans son fonctionnement politique et la vision des femmes qu'il véhicule. L'image de la femme effacée ne concerne pas les femmes musulmanes, elle concerne toutes les femmes.

Ahmed Salam : Je n’adhère pas à cette conception simpliste des choses. La problématique est plus géopolitique… la plupart de ces jeunes femmes converties adhèrent à un islam qui n’est  même pas  comparable à celui des enfants de l’immigration originaire du Maghreb ou d’Afrique. L’islam radical de certaines  de ces converties prône des pratiques plus fondamentalistes que patriarcales, plus proches des thèses des Frères musulmans ou du salafisme wahabite.

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