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Pourquoi la stratégie industrielle de protection des acquis d’Arnaud Montebourg freine la création d’emplois
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C'est Schumpeter qui l'a dit !

Alors que le salon de l'automobile se déroule ce weekend à Paris, François Hollande a déclaré qu’il ferait tout pour limiter la suppression d’emplois chez Peugeot PSA. Mais cette stratégie qui consiste à "limiter la casse" n'apporte aucune solution à long terme.

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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L’un des concepts fondamentaux en économie, que l’on apprend en première année d’université, est celui de « destruction créative ». Formulé au début du XXe siècle par l’Autrichien Joseph Schumpeter, le concept met en valeur la forte corrélation qui existe entre croissance économique et destruction d’emplois. Schumpeter rappelle que la vitalité d’une économie ne se mesure pas par le nombre d’emplois retenus ou « sauvés » dans tel ou tel secteur en déclin, mais par ceux qu’elle parvient à créer dans des branches d’avenir.   

Corollaire : empêcher la destruction d’emplois s’avérerait aussi suicidaire en économie que boucher les pores d’un organisme vivant. Plutôt donc que de s’entêter à maintenir en vie des activités ou des sites industriels devenus obsolètes, non rentables ou peu compétitifs, il incombe aux pouvoirs publics de faciliter les investissements et l’innovation technologique.

On l’a vu dans le cas de la première économie du monde. Les administrations américaines qui dans l’histoire récente ont réussi le mieux à promouvoir le renouvellement économique de leur pays – Reagan, Clinton – ne se sont pas fait connaître pour avoir essayé de « sauver » des emplois. Aucun d’entre eux, par exemple, n’a tenté de protéger Kodak de l’irruption de la photographie numérique; et pourtant des emplois y ont de ce fait été détruits. C’est justement à coup de destruction d’emplois, une destruction surpassée par la création de places de travail dans les secteurs de la haute technologie (cf. Silicon Valley), que l’Amérique a déjoué les prévisions qui l’annonçaient perdante face au Japon.

Idem en Allemagne. Le Chancelier social-démocrate Gerhard Schroeder ne se fit pas connaître, lui non plus, pour avoir mis des bâtons dans les roues à la suppression de postes, bien au contraire. Avec son « Agenda 2010 », il assouplit la législation sur les licenciements économiques – ce qui aura encouragé les entreprises allemandes à embaucher. Résultat : la compétitivité de l’Allemagne s’est renforcée en même temps que celle de la France s’effritait.

Et pour cause… Les gouvernements français, certains plus que d’autres, ont eu tendance à privilégier la protection des « acquis », y compris dans le domaine de l’emploi, au détriment de la modernisation industrielle du pays.

Rappelons à ce sujet le cas de Giat industries : un échec sur toute la ligne, que les gouvernements successifs se sont fait un point d’honneur de porter à bout de bras. Des milliards d’euros du contribuable auront été versés pour une entreprise relookée (elle s’appelle maintenant Nexter) qui ne marche toujours pas[1].

Maintenant, c’est au tour du président Hollande, secondé par son ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, de se donner pour mission la protection tous azimuts des emplois existants. Un exemple de cette nouvelle vague protectionniste: la promesse du président Hollande qu’il ferait tout pour limiter la suppression d’emplois chez Peugeot PSA, puis le tout récent cri de victoire de son ministre Montebourg pour « avoir limité la casse » chez Sanofi – y faisant réduire le nombre de postes supprimés de quelque 1300 à 900.

Or, est-ce vraiment une réussite ? Pour cette « limitation de casse », pour ces centaines d’emplois soi-disant sauvés ici ou là, combien de dizaines de milliers ne verront jamais la lumière du jour à cause de la peur qu’ont les entreprises opérant en France de subir la pression de l’Etat dès qu’elles jugeraient nécessaire, pour des raisons de rentabilité, de procéder à des fermetures d’usines et à des suppressions d’emplois? Si l’on voulait freiner les investissements, on ne s’y prendrait pas différemment.

La solution se trouve ailleurs, à savoir : dans l’allègement des charges qui pèsent sur les entreprises et dans l’assouplissement du code du travail.

Certes, rappelons-le, le président Hollande n’est pas le premier à poursuivre une stratégie industrielle de protection des acquis. Le problème, c’est que la donne a changé : hier, une telle stratégie n’était déjà pas payante ; aujourd’hui, elle n’est même plus tenable, vu, et la nécessité de résorber un chômage ayant franchi la barre des 3 millions et la pression incessante des marchés financiers.

Continuer sur le chemin de la protection des acquis ne servirait qu’à aggraver la perte de compétitivité de la France et à accentuer l’hémorragie des délocalisations.

A la sortie de Munich 38, les premiers ministres français et britannique de l’époque, Daladier et Chamberlin, rentrèrent dans leur pays respectifs brandissant d’un air joyeux le morceau de papier qui, prétendirent-ils, éviterait une nouvelle Grande Guerre. On connaît la suite… Et maintenant, en proclamant « avoir limité la casse » des licenciements, comme s’il s’agissait d’une réussite, il y a fort à craindre que le président Hollande et son ministre Montebourg ne soient à leur tour atteints, en matière de stratégie industrielle, du syndrome de la supercherie joyeuse de Munich.


[1] « Comment l’Etat français a sauvé deux fois Nexter », La Tribune (Paris), 05/06/2012.

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