Pourquoi la revendication par l’État islamique de la tuerie de San Bernardino ne modifie pas fondamentalement le côté loups solidaires du couple terroriste<!-- --> | Atlantico.fr
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La fusillade à San Bernardino a fait 14 morts.
La fusillade à San Bernardino a fait 14 morts.
©Reuters

Stratégie de le terreur

Daesh a publié un communiqué via un compte twitter faisant référence à la nouvelle agence de presse Amaq. Il concerne la tuerie du 2 décembre dans le Inland Regional Center (un centre destiné à aider les personnes handicapées) à San Bernardino (Californie) qui a fait 14 morts et 21 blessés (17 annoncés initialement). Ce dernier ne confirme pas pour autant que c'était l’État islamique qui avait commandé directement cette action.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Daesh se félicite de cette opération menée peu de temps après l’assaut coordonné de Paris du 13 novembre et de l’attaque suicide de Tunis contre un bus de la Garde présidentielle du 24 novembre. Ces deux actions terroristes avaient rapidement été revendiquée par Daesh qui qualifiait les responsables des attentats de Paris de « soldats du Califat » et le kamikaze de Tunis de « roi des rois du martyre ». Les deux revendications étaient formatées exactement de la même manière, ce qui n’est pas le cas du dernier message concernant les Etats-Unis.

Les deux suspects, Syed Rizwan Farooq (28 ans), un Américain d’origine pakistanaise et son épouse Tashfeen Malik (27 ans) étaient des musulmans pratiquants. Farooq fréquentait assidûment la mosquée Dar Al Uloon Al Islamiya de San Bernardino, particulièrement lors de ses pauses déjeuner. Son épouse ne l’accompagnait pas mais elle portait régulièrement la burqa. Le couple se serait connu sur internet, la jeune femme vivant au Pakistan mais se rendant fréquemment en Arabie saoudite où se parents pakistanais avaient migré. Le mariage a été prononcé le 7 août 2014 aux Etats-Unis. Une petite fille est née de cette union il y a six mois.

Les suspects étaient en possession de deux fusils modifiés pour pouvoir tirer par rafales dérivés de l’AR-15 de calibre 5,56 mm (223 Remington), un DPMS Panther Arms A15 et un Smith & Wesson M&P15. Ces armes avaient été acquises légalement il y a quatre ans par un tiers actuellement objet d’une enquête. Par contre, les deux armes de poing employées, un Llama et un Springfield XD, tous deux de calibre 11,43 mm (45 ACP), leur appartenaient légalement. Il y avait 1600 cartouches de 5,56 mm dans le véhicule à bord duquel ils ont été tués (et 200 munitions de 11,43 mm) et 4 500 à leur domicile. Ils ont laissé trois bombes improvisées dans le centre. Elles devaient exploser après leur départ mais il semble qu’elles aient fait long feu. Les deux activistes ne portaient pas de gilets pare-balles.

Le 2 décembre vers 11 h 00, peu après le déclenchement de la fusillade, Syed Rizwan aurait twetté sous une fausse identité son allégeance au « calife Ibrahim », Abou Bakr al-Baghdadi(1). Les fouilles policières ont montré que les deux personnes avaient ensuite tenté de détruire le disque dur d’ordinateur et au moins deux téléphones. En conséquence, on ne sait pas si Farook a fait comme son épouse.

Cette allégeance suit les instructions de Daesh particulièrement décrite dans le dernier numéro (12) de Dabiq intitulé « juste de la terreur » dont la parution a suivi les attentats de Paris. Il y est précisé que tous les musulmans ont pour premier devoir de rejoindre l’Etat Islamique dans son berceau syro-irakien. Au cas où cela n’est physiquement pas possible, ils sont autorisés à mener des opérations terroristes mais il doivent renouveler leur allégeance, porter la bannière du califat et frapper les croisés, les païens et leurs alliés apostats là où ils peuvent les trouver. Dans l’histoire récente, Amedy Coulibaly qui a attaqué l’hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015 et Elton Simpson qui s’en est pris le 3 mai 2015 au Curtis Culwell Center (Texas) où se déroulait une exposition de dessins montrant le prophète Mahomet, avaient procédé de la même manière. Sur le front syro-irakien, de nombreux kamikazes diffusent leur allégeance au calife Ibrahim avant de passer à l’action. Cette manière de faire est destinée à faire la promotion du califat par rapport aux autres mouvements, notamment vis-à-vis d’Al-Qaida « canal historique ».

Enfin, pour compliquer les choses, Syed Rizwan Farook aurait communiqué avec des membres du Front al-Nosra (Syrie)°et les Shebabs (Somalie), deux branches officielles d’Al-Qaida « canal historique ». On se rappelle qu’il y a un groupe à l’intérieur du Front al-Nosra appelé Khorasan quiest chargé de préparer des actions terroristes au-delà de la Syrie. Si les volontaires américains ne sont pas beaucoup présents dans des terres de djihad, un certain nombre ont été localisés en Somalie aux côtés des Shebabs.

En l’état actuel de l’enquête, il semble que le couple (et peut-être la troisième personne actuellement détenue par les autorités) aient agi à leur propre initiative sans recevoir d’ordres de l’extérieur d’une quelconque organisation. C’est peut-être ce qui explique l’étrange « double allégeance ». Cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient pas communiqué avec des tiers comme l’avait fait le Major Nidal Malik Hasan avant la tuerie de Fort Hood survenue le 5 novembre 2009. Elle avait fait 13 morts et 30 blessés. Il était en contact avec le prédicateur américain d’origine yéménite Anwar al-Alwaki alors réfugié au Yémen (il a été neutralisé par un drone en 30 septembre 2011). L’opération avait été attribuée à Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA).

Les autorités s’attendaient à ce type d’action. Depuis mars 2014, date d’apparition de Daesh (officiellement fondé en juin 2014, avant, il s’appelait l’Etat Islamique en Irak et au Levant), 71 personnes avaient été arrêtée aux Etats-Unis pour des liens avec cette organisation dont 56 rien qu’en 2015 ! De plus, Daesh et Al-Qaida « canal historique » menacent régulièrement dans leurs publications les Etats-Unis. L’expérience a tristement démontré que ces avertissements sont généralement suivis d’effets. Techniquement, ne pouvant dépêcher sur place des commandos formés à l’extérieur en raison des contrôles stricts aux frontières, les deux mouvements salafistes-djihadistes font appel aux sympathisants vivant sur place. Le déluge de messages se félicitant de la tuerie de San Bernardino inquiète au plus au point les autorités qui craignent un effet de propagation.

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