Pourquoi la reine d'Angleterre pourrait bientôt boire du vin chinois<!-- --> | Atlantico.fr
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La reine d'Angleterre pourrait bien se mettre au vin chinois !
La reine d'Angleterre pourrait bien se mettre au vin chinois !
©Reuters

Gambei !

Le prestigieux négociant britannique en vins Berry Bros. & Rudd a ouvert pour la première fois son catalogue à quatre crus produits en Chine.

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 200 000 abonnés.

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L’actualité récente met à l’honneur le déploiement des vins chinois. Ainsi que nous l’annonçait le journal Le Monde, « Berry Bros. & Rudd, doyen des négociants en vins et spiritueux de Grande-Bretagne, a ouvert son catalogue à quatre crus produits en Chine. La maison fondée en 1698, qui compte la famille royale parmi ses clients, précise qu'elle est la première à le faire en Grande-Bretagne ».

Berry Bros. est une institution en Grande-Bretagne et à Londres. L’annonce n’est donc pas anodine. Les vins dont on parle sont pour l’un un assemblage de merlot et de cabernet sauvignon et pour les trois autres des vins liquoreux, des vins de glace. Le producteur est le Château Changyu, le plus vieil établissement de Chine. J’avais goûté un vin de cet établissement il y a un peu moins d’un an et il ne m’avait pas fait forte impression. Il coutait moins de 6 euros TTC importé en Europe. Il était à base de cabernet gernischt (millésime 2010), un cépage typiquement chinois élaboré par des œnologues autrichiens en Chine ! Le cépage cabernet gernischt est un croisement de deux types de raisins, le cabernet franc et le cabernet sauvignon, tous deux importés en Chine par le fondateur de l’actuelle Changyu Pioneer Wine Company en 1892.

L’œnologue de Berry Bros., Mark Padoe, n’y allait pas par quatre chemins afin de soutenir l’initiative, car il disait (je cite) que « pour la première fois, nous avons des vins chinois qui supportent la comparaison avec certains des meilleurs vins du monde ». Est-ce encore une tromperie de la perfide Albion afin de stresser le marché français ou une véritable tendance de fond ?

Il faut savoir que la Chine met les bouchées doubles afin de doper son marché intérieur de vins et spiritueux. Saviez-vous que les taxes à l’importation des vins étrangers sont de l’ordre de 48% ? Elles pèsent donc lourdement sur les vins français qui se retrouvent à tarif égal dans des gammes de qualité inférieure aux vins chinois. Mais ce n’est pas tout. Le site Vitisphère, sans-doute l’un des plus complets, nous apprenait l’été passé que « l'association chinoise des professionnels du vin et des spiritueux a demandé au gouvernement chinois d'enquêter sur la distorsion de concurrence introduite au détriment des producteurs locaux par les subventions européennes qui soutiennent les entreprises européennes qui exportent vers la Chine ». La charge semble donc menée tambour battant.

Selon une étude sérieuse de Vinexpo (le salon bisannuel du vin à Bordeaux, considéré par certains comme le salon le plus qualitatif au monde), « la Chine entre dans le top 5 des marchés mondiaux ». L’étude continue. « Sur une période d’un an seulement (entre 2009 et 2010) la consommation de vin a augmenté de 33,4 % en Chine. La Chine a atteint 156,19 millions de caisses de 9 litres en 2011, plaçant le pays comme 5ème consommateur mondial de vin devant le Royaume-Uni ! Sur 5 ans (entre 2006 et 2010) la consommation de vin a été multipliée par 2,4 en Chine et l’étude Vinexpo prévoit qu’elle augmentera de nouveau de 54,25% entre 2011 et 2015 ! ». Et ce qui est plus important, celle-ci est devenue également le 6ème pays producteur de vin au monde ! Les vins Chinois, ce n’est donc pas pour demain, c’est maintenant.

Tout ceci m’a rappelé un autre fait de l’actualité vinicole récente, le décès à la mi-mars de Jim Barrett, le propriétaire historique de Château Montelena. Ce château est un splendide domaine vinicole de la Napa Valley en Californie qui produit notamment des vins blancs à base de chardonnay.

Jim Barret est arrivé en Californie en 1972. En tant qu’avocat, il devient associé au Château Montelena et avec l’aide de l’œnologue croate Mike Grigch, ils réalisent parmi les meilleurs vins blancs du monde. L’histoire ne s’y trompera pas, car en 1976 lors du fameux jugement de Paris, Château Montelena (millésime 1973) se hissera sur la première marche du podium. Avec un panel de juges presque exclusivement français, ce vin battra en dégustation à l’aveugle les meilleurs chardonnays bourguignons de l’époque, dont notamment un meursault charmes de Roulot du même millésime, un Beaune Clos de Mouches de Joseph Drouhin (1973), un Batard-Montrachet de Ramonet-Prudhon (1973) ou un Puligny-Montrachet Les Pucelles d’Olivier Leflaive (1972).

Tout a été écrit ou presque sur ce fameux jugement, sur les conditions de dégustation, la qualité des vins (français) de l’époque, les juges qui n’étaient pas forcément au courant de ce qu’on leur demandait (ils essayaient plutôt de reconnaître les vins que de se concentrer sur la dégustation) ; de la même manière des statisticiens ont effectués tous les traitements possibles et imaginables sur les notes chiffrées afin de vérifier leur robustesse et leur cohérence ; tel n’est pas mon propos. Ce qui compte est que ce Jugement de Paris est passé à la postérité comme le jour où les Américains n’ont plus eu à rougir de leurs vins. Ceux-ci sont maintenant considérés comme aussi qualitatifs que la plupart des autres vins, même si bien entendu le primat et le prestige de l’histoire sera toujours du côté des vins français.

La question n’est donc pas de savoir si mais bien quand nous assisterons à un Jugement de Hong-Kong entre les meilleurs vins chinois et les meilleurs crus de l’Hexagone. Le résultat de celui-ci est par contre encore tout à écrire.

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