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Pourquoi l'obsession anti-russe (et anti-Trump) des élites américaines se nourrit de bien plus que des turpitudes de Vladimir Poutine
©Cornelius Jabez Hughes

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, Le 30 juillet 2017,

Mon cher ami,

Chaque jour qui passe nous apporte une nouvelle preuve de la crise de l'Empire américain. Et la plus grande partie des élites politiques américaines se raidissent. Non seulement Donald Trump ne réussit pas à imposer son changement de cap pragmatique dans les relations avec la Russie; mais les élus démocrates et une partie des élus républicains cherchent des motifs de prouver une collusion entre le président américain et l'ennemi russe. J'étais à Washington il y a quelques semaines et j'ai été impressionné par l'atmosph!re de chasse aux soricières qui régnait; le pire de l'histoire américaine est de retour. Certains s'étonnent que les Démocrates, en particulier, aient pu adhérer à cette version moderne du maccarthysme. Mais pourquoi s'étonner? Le monde est en train de basculer, géopolitiquement parlant, nous en parlions la semaine dernière. Et le complexe militaro-industriel américain craint pour son avenir: il a besoin d'entretenir les tensions, voire de les accroître. Il n'y a pas que le Pentagone et sa clientèle tentaculaire qui sont en jeu. Le complexe militaro-industriel est aussi financier: le dollar n'a maintenu sa valeur, ces dernières années, que parce que les Etats-Unis menaçaient de représailles toute puissance qui mettrait en question la domination du dollar - et passait à l'acte quand le pays à vaincre pouvait être écrasé facilement, tel l'Irak ou la Serbie; les grandes banques et Wall Street ont partie liée, intimement, avec l'appareil de défense américain. Et n'oublions pas que ces géants récemment surgis, les GAFA, sont entrés dans la construction du consensus washingtonien, par exemple en livrant les données de leurs clients à la NSA. Quand les élites politiques, économiques, militaires des Etats-Unis d'Amérique sont à ce point intriquées, il ne faut pas s'étonner qu'on trouve des élus et sympathisants démocrates à la pelle, pour entretenir l'hystérie anti-moscovite, qui justifie le budget de la défense américain. Le comportement des Républicains américains me chagrine plus. Ils ont face à eux une force politique "libérale" entièrement acquise à l'oligarchie qui soutient l'Empire. Hillary Clinton a représenté la quintessence de ce dévoiement de l'idéal démocrate. Et elle a perdu l'élection présidentielle. On peut ne pas aimer la personne de Donald Trump quand on est un élu républicain du Congrès: mais comment ne pas voir que, sans son surgissement inattendu, le parti républicain s'effondrait encore plus certainement que le parti démocrate? Comment ne pas voir, surtout, que le nouveau président américain a montré la voie d'un renouveau conservateur aux Etats-Unis: la réconciliation des élites républicaines avec l'Amérique profonde? L'attitude la plus intelligente de la part des Républicains ne serait-elle pas de tout faire pour civiliser le nouveau président américain tout en gardant son intuition fondamentale: l'avenir de nos nations se joue dans une réconciliation des milieux dirigeants avec leur peuple.

Et comme à l'époque de notre cher Dizzy (mon homonyme du XIXè siècle, Benjamin Disraëli, le génial créateur du conservatisme moderne) les libéraux sont bien incapables de sortir de leurs solidarités oligarchiques; un boulevard s'ouvre aux conservateurs, s'ils le veulent, pour ramener les peuples sur la scène politique. Je me rappelle qu'il y a quelques mois encore, vous étiez plein d'espoir concernant notre Premier Ministre, Theresa May. Elle avait effectivement une situation politique favorable comme peu de personnalités politiques en ont eu ces dernières décennies. Elle pouvait réconcileir son parti avec cet électorat de "l'Angleterre périphérique" qui avait voté pour le Brexit. Elle a pourtant réussi à perdre, ou quasiment, une élection parlementaire anticipée imperdable. Sa majorité absolue s'est transofmée en majorité relative.

N'allez pas chercher cinquante explications : Theresa May a oublié de parler la langue de ses électeurs. Vous ne ferez pas voter les gens pour vous si vous leur parlez de la techique du Brexit ou si, dans un contexte de profonde inégalité sociale, vous leur proposez une continuation modérée des politiques d'austérité. Mais il ne s'agit pas seulement d'économie: regardez le drame qui vient de se dérouler, dans la très libre Grande-Bretagne, autour du petit Charlie Gard; sa famille n'a pas obtenu de le faire soigner ailleurs que dans l'hôpital où il se trouvait, alors que les médecins qui l'avaient pris en charge jugeaient son cas incurable? Au nom de quoi peut-on empêcher une famille de décider des modalités de soin de son propre enfant? Est-ce cela que produit notre société qui ne cesse de se référer aux droits de l'individu, la pire des tyrannies institutionnelles? Et bien croyez-vous que le Premier Ministre britannique ait saisi l'occasion de dénoncer les atteintes aux libertés fondamentales que peut produire la modernité? Donald Trump et le pape François se sont manifestés, un peu tard, et ont été impuissants à inverser le cours des choses. Mais c'était au Premier Ministre britannique de prendre cette affaire en main. Il y a des mois déjà! Au lieu de cela, ce petit garçon que des médecins américains se proposaient de soigner, est mort écrasé par la bureaucratie et l'idée que les experts savent mieux que les parents ce qui est bon pour leur enfant. Nous nous sommes suffisamment entretenus des déboires de la droite française. Je ne vous console pas en vous rappelant la myopie des Républicains américains ou le manque d'empathie des conservateurs britanniques. Néanmoins, nous voyons partout le même comportement. La crise des forces conservatrices en Occident est telle que l'on peut se demander combien de temps il faudra pour abattre l'hégémonie des libéraux.

Vous me direz que Dizzy (Benjamin Disraëli), au XIXè siècle, a eu besoin d'une trentaine d'années, depuis le moment où il est entré à la Chambre des Communes jusqu'à son accession au poste de Premier Mnistre en 1868. Mais ne serait-il pas dramatique de se dire qu'il nous faudra attendre une génération nous aussi? La révolution numérique emporte tout sur son passage; or elle peut être la pire comme la meilleure des choses; elle peut déboucher sur les fantaisies diaboliques du transhumanisme comme aider à la réaffimation d'un humanisme européen. La révolution entrepreneuriale est une réalité que nos pays peuvent s'approprier, à condition de mettre fin à la tyrannie des banques centrales: laisserons-nous les autres continents en profiter tandis que l'Europe s'enfoncerait dans un marasme technocratique? Partout émerge la possibilité de créer des "villes intelligentes": mais ferons-nous des cités connectées des auxiliaires de Big Brother ou les lieux d'un civisme renouvelé? Je me dis toujours en vous écrivant que nous échangeons des pensées bien sombres sur nos nations. Peut-etre devrions-nous moins nous arrêter à la faiblesse des hommes et des femmes actuellement en charge des destinées de nos pays. Et commencer à rêver à ce que pourraient être nos pays d'ici quelques années, pourvu que nous brandissions haut l'étendard du réalisme politique, au service de l'éducation, de l'esprit d'entreprise, du commerce et de la paix. C'est cela le conservatisme! Je prends cette semaine mes quartiers d'été à Hughenden. Loin de Londres, je vous écrirai, je l'espère, avec plus de sérénité.

Votre très dévoué,

Benjamin Disraëli

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