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Pots-de-vin, détournements de fonds et sociétés fantômes : comment la corruption en Irak a favorisé la naissance de l'Etat islamique
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Argent sale

On parle du chantier irakien depuis 2003, mais le redressement du pays n'a jamais réellement débuté. Le gouvernement en place n'avait pas vraiment de raison de le faire : il est bien plus facile de s'enrichir illégalement dans le chaos. Daech en a également profité.

Le gouvernement irakien a profité de l'état castastrophique du pays pour se remplir les poches. C'est l'analyse que fait le journaliste d'investigation américain Ken Silverstein dans un article publié sur le site New Republic. Il revient longuement sur la manière dont la corruption des politiques irakiens a servi d'engrais à la poussée de l'Etat islamique, aujourd'hui multinationale du terrorisme.

Misère et peur

"La sagesse conventionnelle est de dire que George Bush est le responsable de la catastrophe en Irak, et que Barack Obama a fait tout son possible pour gérer ce désastre dont il a hérité". Ken Silverstein attaque à couteaux tirés. Il faut dire qu'aujourd'hui, comme il le rappelle, Obama occupe le Bureau ovale depuis huit ans, quand Bush n'a pu influer sur la situation irakienne que durant cinq ans. Treize ans donc que le chaos règne en Irak, treize longues années que ses habitants vivent sous la menace terroriste et, pour une trop grande partie (22,5% en 2014), sous le seuil de pauvreté. Une frustration qui se concrétise par des manifestations où les coups de couteau et les gaz lacrymogènes remplacent les dialogues entre peuple et politiques.

Mais comment un pays disposant de terres arables, de ressources en eau ainsi que de 10% des réserves mondiales de pétrole ne peut-il pas faire repartir son économie ? Remettre le tout sur le dos du terrorisme serait trop facile. L'Etat islamique n'est pas si vieux, et Al-Qaïda est allé en déclinant face à l'interventionnisme militaire américain. Pour Ken Silverstein, les vrais coupables sont les dirigeants irakiens corrompus. Avec comme figure principale de cette discorde : Nouri al-Maliki, l'ex-Premier ministre irakien, membre du parti chiite Dawa et aujourd'hui vice-président du pays. Un homme détesté par son peuple pour sa politique sectaire à l'encontre des minorités sunnites, pour son autoritarisme et les soupçons de corruption qui planent sur lui.

Des milliards mystérieusement volatilisés

Comme le révèle Ken Silverstein, les politiques ont profité du chaos pour s'enrichir. Il raconte comment, à titre d'exemple parmi tant d'autres, les dirigeants du pays ont formulé de faux contrats avec des sociétés fantômes, comme la suisse Satarem, pour détourner l'argent public directement dans leurs propres poches. Dans ce cas-là, ce sont 6 milliards de dollars qui auraient été détournés. C'est simple : "Le gouvernement est comme un gâteau. Tout le monde en prend une part", explique Hamed Al Gaood, un homme d'affaires interrogé par Silverstein. Autre exemple : au cours des dernières années, le ministère de la Défense a acheté pour 150 milliards de dollars d'armes, mais selon un rapport publié en mars par le comité d'audit du Parlement irakien, seulement 20 milliards de ces dépenses ont été effectives. Les 130 autres milliards ont pour ainsi dire disparu.

Les quelques témoignages de personnes ayant baigné dans ces magouilles de grande ampleur, comme celui de cet homme d'affaires, sont évocateurs : "Maliki et ses gars étaient talentueux pour cela. On ne savait pas toujours qui allait être graissé, mais il s'agissait toujours de dirigeants au gouvernement, et Maliki arrivait toujours à se garder une part pour chaque arrangement. Ils ont mis au point un système élaboré qui laisse penser que tout se déroule légalement, mais tout n'est que pots-de-vin. C'est ce pourquoi beaucoup d'argent américain s'est volatilisé". La plupart du matériel reçu datait de l'époque soviétique. Silverstein précise que selon des sources haut-placées au Pentagone, une cinquantaine de snipers de calibre 50 avaient été envoyés plus tard en Irak pour lutter contre Daech. Mais la corruption opérant, les politiques avaient revendu les armes à l'Etat islamique pour s'en mettre un peu plus dans les poches tout en affaiblissant les Peshmergas kurdes, plus féroce force d'opposition locale à Daech et minorité peu appréciée du gouvernement.

Menaces de mort

N'existe-t-il ainsi aucune âme pas encore noircie par la corruption, capable de traîner ces politiques corrompus devant les tribunaux ? Pour ainsi dire, les pots-de-vin, le chantage et les arrangements sont devenus monnaie commune, et on se fait dorénavant davantage remarquer quand on ne fait pas partie de ce système. Les quelques rares braves hommes à vouloir faire éclater la vérité ont reçu des menaces de mort bien entendu anonymes : les juges Mounir Haddad et Radhi Hamza al Radhi ou encore Salam Adhoob, directeur de la Commission irakienne d'intégrité.

Alors, comment pouvoir redresser un pays en ruine quand les dirigeants constatent qu'ils peuvent tirer profit de cette situation ? Erik Gustafson, directeur du Centre d'éducation à la paix en Irak (Epic) interrogé par Silverstein, résume bien la situation : "Si Daech est éliminé, un autre groupe le remplacera. Aussi longtemps qu'il y aura de la corruption et de la misère, il existera cet environnement propice au développement du terrorisme".

Quand on veut, on peut, dit le dicton. Manifestement, les politiques irakiens n'ont aucun intérêt à mettre fin au calvaire de leur peuple.

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