Policier tué à Bruxelles : cette succession de failles judiciaires et d’erreurs d’appréciation que la Belgique voudrait mettre sous le tapis<!-- --> | Atlantico.fr
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Un policier a été tué et un autre blessé à Bruxelles, le jeudi 10 novembre.
Un policier a été tué et un autre blessé à Bruxelles, le jeudi 10 novembre.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Institutions en crise

Un policier a été tué après avoir été attaqué au couteau le jeudi 10 novembre à Bruxelles. L'assaillant a pu être arrêté. Le parquet fédéral belge, compétent en matière de terrorisme, a été saisi de l’enquête.

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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Atlantico : Un policier a été tué et un de ses collègues a été blessé lors d’une attaque au couteau le jeudi 10 novembre dans la soirée à Bruxelles, selon les précisions du parquet de la capitale belge à l'agence de presse Belga. Le parquet fédéral belge, compétent en matière de terrorisme, a été saisi dans la soirée de l'enquête. Quels sont les principaux enseignements de la conférence de presse du Parquet fédéral sur cette attaque meurtrière ?

Claude Moniquet : Les conférences de presse des parquets sont toujours un exercice décevant, que ce soit en Belgique ou en France et surtout quand elles se déroulent à chaud. Par définition, les possibilités d’expression des procureurs sont assez limitées, strictement bornées qu’elles sont par le secret de l’instruction. Au mieux, il s’agit d’un résumé des faits et d’une précision des incriminations juridiques retenues. En l’occurrence, le principal intérêt de la conférence de presse de vendredi matin a été de confirmer que l’incident était bien considéré comme terroriste puisque c’est le Parquet fédéral (qui est un peu l’équivalent du parquet national antiterroriste en France) qui a été saisi. Mais la suite a été terrible. On sait que la séquence qui s’est terminée par le drame commence avec une terrible erreur d’appréciation d’un magistrat de permanence. Or, là-dessus, les magistrats se contentent de dire que la loi ne permettait pasde prendre de décision coercitive à l’égard de l’individuet qu’elle a été respectée. Point final. A la fin, on en arrive à la conclusion que si un policier est mort, « c’est la faute à pas de chance…. ». On a eu droit à des regrets, à des condoléances, bien entendu, mais à aucune remise en question de la procédure et de la manière dont elle avait été appliquée. Et l’effet de ces déclarations a été dévastateur pour la société.

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Le principal suspect avait été emmené aux urgences psychiatriques d'un hôpital bruxellois après s’être rendu dans un commissariat. Il a ensuite été en mesure de quitter l’hôpital et de commettre l’attaque. Le suspect avait été emprisonné « entre 2013 et 2019 » pour « des faits de droit commun », mais « se trouve sur la liste établie par l'Ocam », qui recense les individus radicalisés jugés dangereux. Pourquoi n’a-t-il pas pu être interné d’office ?

Pour bien appréhender ce qui s’est passé, on ne peut faire ici l’économie d’un retour sur la chronologie des faits telle qu’on la connait. Jeudi 10 novembre, vers 10 heures du matin, un certain Yassine M.se présente dans un commissariat de l’est de la capitale européenne. Il est très agité et développe un discours assez incohérent dans lequel il affirme vouloir commettre un attentat et vouloir viser la police et demande expressément à être interné.

Les policiers qui l’entendent vérifient ses antécédents. Ils sont lourds : l’homme est un repris de justice qui a été incarcéré plusieurs années pour des faits de vols avec violence ; il a également été poursuivi pour voir agressé un surveillant pénitentiaire. Issu d’une famille « fortement radicalisée », il s’est lui-même radicalisé en détention et est fiché, depuis 2015, dans une base de données commune aux service spécialisés avec la mention « extrémiste potentiellement violent ». Sur ces bases, les policiers préviennent le magistrat de permanence et demandent que l’intéressé soit interné d’office en institution psychiatrique, ce que semble justifier son agitation, ses propos et les menaces proférées. Le magistrat refuse : la loi ne permet pas d’interner d’autorité une personne qui, volontairement, se propose à suivre des soins. Il ordonne aux policier d’accompagner « Yassine M. » à l’hôpital, ce qui est fait. L’homme est emmené à Saint-Luc, l’un des principaux hôpitaux de Bruxelles. Les policiers restent avec lui une demie heure, le temps qu’il soit pris en charge. Vers 11h30, il est remis à une infirmière qui le fait patienter en salle d’attente et les policiers quittent l’hôpital puisque leur « client » est là volontairement…. Quand elle revient le chercher trente minutes plus tard, l’homme a disparu. Dans un communiqué, l’hôpital affirme qu’à aucun moment son personnel n’a été mis au courant du contexte, des antécédents de l’intéressé ni de sa dangerosité estimée.

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Huit heures plus tard, dans le quartier de la gare du nord, Yassine M. s’approche d’une voiture de patrouille qui roule fenêtres ouvertes en raison de la douceur de la météo et porte un coup de poignard au conducteur à hauteur de la carotide et un autre au convoyeur à hauteur du bras. Le conducteur, Thomas Monjoie, décède sur place. Son collègue est opéré d’urgence et sa vie n’est pas en danger. L’auteur des faits, lui, est blessé par les tirsd’une patrouille arrivée en renfort et hospitalisé.

Comment expliquer les failles du système judiciaire et policier belge dans cette affaire ? La décision prise par le magistrat de permanence ou la loi belge sont-elles en cause ? Y a-t-il un défaut de responsabilité de la part des autorités et des institutions belges ?

C’est évidemment un point qui sera âprement discuté dans les semaines à venir, à commencer par une session d’urgence des commissions de la Justice et de l’Intérieur du parlement, ce lundi. En fait, le magistrat de permanence a strictement appliqué la loi du 26 juin 1990 qui régit l’internement. Celui-ci est possible d’autorité pour une personne « dont le comportement met gravement en péril sa santé et sa sécurité, soit qu’il constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui. » En cas d’urgence, le parquet peut lui-même désigner un expert pour examiner la personne. Un médecin l’examine et, sur base de son rapport, le substitut de garde décide ou non de la transférer dans un établissement psychiatrique dont le directeur, à son tour décide si un internement est justifié. Mais l’article 3 de la loi précise que « la personne qui se fait librement admettre dans un service psychiatrique peut le quitter à tout moment. » C’est sur cette base, apparemment, que le substitut a décidé de ne pas recourir à des mesures de force, mais c’est sujet à interprétation : au moment où la justice intervient, Yassine M., par exemple, n'a pas encore « été admis » dans un service psychiatrique…

Deuxième question qu’il faudra éclaircir : est-il vrai que l’hôpital n’a pas été mis au courant des antécédents de Yassine M. ? Et Pourquoi ?Et s’il avait été informé, le cas aurait-il été géré différemment ?

Enfin, troisième question, et elle est fondamentale : si le magistrat a eu raison de décider qu’un internement d’office était impossible (ce qui reste à déterminer), pourquoi d’autres mesures n’ont-elles pas été décidées ? Sur base du profil de l’intéressé et de ses menaces, il était possible de le placer en garde à vue et ce qui permettait de procéder à une expertise médicale, à des interrogatoires, à une perquisition (si un juge d’instruction avait été nommé) ou à une « visite domiciliaire sur consentement », sans désignation d’un juge d’instruction. Autant de mesures qui auraient permis de gagner le temps d’examiner le cas en profondeur et de prendre les décisions nécessaires.

Mais rien n’a été fait. Pour la justice, c’était « service minimum ». Sans doute en partie parce que, six ans après les attentat de 2015-2016, la perception de la menace terroriste n’est plus la même. Alors oui, je pense qu’il y a eu défaut de responsabilité voire « abstention coupable ». Et un jeune homme de 29 ans est mort…

Cette attaque intervient alors que la Belgique est dans un bras de fer avec la France autour du sort de l’imam Hassan Iquioussen. Cette tragédie et la mort de ce policier peuvent-elles servir d’électrochoc à la Belgique et aux institutions judiciaires et policières du pays en matière de terrorisme ou pour se réformer ?

L’émotion populaire est immense, des syndicats policiers réclament une enquête sur la décision du magistrat et même la démission du ministre de la Justice. Mais celui-ci a déjà laissé entendre qu’il n’entendait pas démissionner ce qui serait déjà fait dans certains pays nordiques ou, sans doute, au Royaume-Uni. Seulement voilà, la culture de la responsabilité est fort peu répandue dans les milieux politiques belges.

Il est probable que cette tragédie va aboutir à une réforme de la loi sur l’internement mais je doute fortement que cela aille plus loin.

Cela étant, il faut clairement distinguer le drame de jeudi soir – dans lequel des erreurs d’appréciations incontestables ont été commises – et l’affaire Iquioussen. Si Hassan Iquioussen peut obtenir gain de cause et ne pas être remis à la France, c’est avant tout parce que la demande de remise dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen repose sur la commission d’un délit (ici la soustraction à une mesure d’éloignement du territoire) qui n’existe pas en droit belge. Or la procédure exige que le délit dénoncé soit reconnu comme tel à la fois dans le pays émetteur du mandat et dans celui qui doit l’appliquer. Dans ce cas, la justice belge se contente de dire le droit face à un dossier qui a été fort mal géré en France par un ministre de l’Intérieur qui a préféré les incantations et les gesticulations médiatiques à la prise de mesures efficaces pour éviter la fuite de l’imam expulsé…

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