Plutôt que de se lamenter sur l’abstention, pourquoi ne pas rendre le vote obligatoire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La question du vote obligatoire soulève de nombreux débats en France.
La question du vote obligatoire soulève de nombreux débats en France.
©Ludovic MARIN / AFP

Atlantico Business

Beaucoup de pays dans le monde ont rendu le vote obligatoire avec, à la clef, des sanctions sévères. Beaucoup ont vu là un moyen de stopper la vague d’abstention, donc ça peut marcher. Pas partout, mais on pourrait essayer. En France, c’est tabou.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La France regarde cette vague d’abstention qui grossit d’élection en élection et qui hypothèque considérablement la valeur des résultats et la légitimité des élus.  Le président de la République peut toujours se réjouir d’avoir été élu au suffrage universel avec une majorité confortable de 52% des votants. Sauf que les votants sont loin de représenter le corps électoral, puisqu’entre le tiers et la moitié des inscrits ne votent pas.

Aux élections législatives, c’est encore pire puisqu’au premier tour, qui présente pourtant une offre politique très large, le taux d’abstention se situe entre 30 et 70% selon les circonscriptions et les catégories socio-professionnelles et l’âge des inscrits sur les listes électorales.

Le pouvoir des élus est donc, qu’on le veuille ou non, complètement démonétisé. Ce qui remet en cause l’intérêt d’une logique démocratique.

On va donc se retrouver dans une configuration assez incompréhensible. Les électeurs réclament d’un côté des réformes fortes mais ne se donnent pas les moyens d’y contribuer par la voie politique.

Les retraités veulent de meilleures retraites, les étudiants veulent une modification des méthodes de sélection, et changer Parcours sup notamment puisque c’est d’actualité, les cheminots sont prêts à faire grève pour protéger leur statut, tout comme les enseignants. Et toutes ces populations ne vont pas voter pour des représentants dont la mission justement est de mettre en place des réformes. C’est absurde. La France grogne contre sa gouvernance mais ne veut pas participer à l’élection en cette gouvernance. Cette situation complètement paradoxale fait le jeu de tous ceux qui rêvent d’une révolution et d’abattre le système.On découvre une France dont la moitié réclame un Etat-Providence et protecteur mais refuse de participer à son fonctionnement. 

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Cette situation est évidemment dangereuse pour l’avenir des pays occidentaux qui ont fondé leur organisation sur la valeur de la démocratie et des libertés individuelles, dont la liberté du commerce et de l’économie de marché.

Alors, les politologues, les sociologues et les économistes ne manquent pas d’explications à cette difficulté : ça va de l’inexpérience des responsables politiques à leur incompétence, des pertes de valeur morale, de la complexité énorme du fonctionnement des organisations et par conséquent, de l’emprise naturelle des technocrates et des experts sur les gouvernances. L’électeur a donc le sentiment que tout lui échappe et que, quel que soit son vote, on pourra difficilement changer le cours des choses. Donc à quoi bon voter ! 

Cette explication est recevable, sauf que « l’abstention alimente l’abstention ». En refusant de participer à un pouvoir parce que ça ne servirait à rien, on renforce la technicité de ce pouvoir et par conséquent, celui des experts éloignés du champ politique.

Or, l’état de l’opinion et la pédagogie de l’opinion sont évidemment nécessaires au fonctionnement de la démocratie. Les plus résignés nous expliqueront que l’on peut connaitre l’état de l’opinion en dehors de l’exercice électoral, par les sondages ou le décryptage des réseaux sociaux. Sauf que le vote en théorie est un choix et que normalement ce choix-là est responsable. Il invite à la responsabilité.

Digital ou pas, l’idée de rendre le vote obligatoire est une idée qui ne circule pas beaucoup en France. Cette idée est même dans beaucoup de partis politiques taboue. Alors que le principe est appliqué dans beaucoup de pays.

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Le vote est obligatoire dans 27 pays du monde. Beaucoup de pays d’Amérique du Sud, dont le Brésil, le Mexique, la Bolivie, mais aussi la Turquie, ou l’Égypte ont rendu le vote obligatoire, alors ces pays ne sont pas pour autant et toujours des modèles de démocratie. Mais d’autres pays comme l’Australie, la Belgique, la Grèce, Singapour, l’Argentine, Panama n’ont pas de leçons à recevoir. La Belgique est un petit modèle du genre.

Cela dit, le caractère obligatoire du vote ne résout pas tous les déficits de démocratie. Encore faut-il que les contre-pouvoirs puissent fonctionner, ce qui n’est pas toujours le cas en Amérique du Sud ou en Turquie, où le vote obligatoire permet même de justifier un certain autoritarisme de l’état central. Mais c’est un autre problème. 

Pour que le vote obligatoire génère des résultats, encore faut-il qu’il soit organisé et contrôlé et que les manquements soient sanctionnés. Au Brésil, l’obligation de voter n’est pas très bien respectée, parce que pas contrôlée.

En Belgique, au Luxembourg, à Singapour, en Argentine, au Pérou, l’abstention est sanctionnée soit par des amendes qui peuvent dépasser les 200 euros ou alors entrainer des difficultés pour continuer à bénéficier des services de l’Etat.

L’obtention de papiers officiels, comme le passeport par exemple, est conditionné par le respect du vote dont il faut apporter la preuve.Parfois, cette preuve de l’exercice civique est nécessaire pour avoir droit aux allocations et aides sociales. 

En France (comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Italie), la classe politique n’a jamais voulu, rentrer dans ce débat parce que le caractère obligatoire serait considéré comme une atteinte à la liberté individuelle. Certains responsables l’ont inscrit à leur programme sans faire beaucoup de publicité. Jean-Luc Mélenchon par exemple a introduit le vote obligatoire dans son projet de VIème république, mais il n’en parle plus.

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Beaucoup de responsables politiques considèrent que cette question n’est pas mure actuellement. Ils redoutent l’ouverture d’un débat qui serait très clivant, à l’image de ce qui s’est passé pour le vaccin contre la Covid. Les antis-vacs ont agi au nom de la protection des libertés individuelles, sauf que les anti-vacs avaient oublié une chose, que si la liberté individuelle est sacrée, elle s’arrête toujours où commence celle des autres.

On pourra considérer un jour, compte tenu des dégâts de l’abstentionnisme, que la liberté de ne pas voter provoque des dangers pour l’équilibre et la pérennité de la société.

Pour l’instant et depuis plus d’un siècle, l’inscription sur les listes électorales est obligatoire et donne le droit de voter. Mais l’exercice du droit de vote n’est pas obligatoire. C’est une liberté inscrite dans la Constitution. Sauf que dans la Constitution, il existe aussi le principe de précaution qu’on pourrait invoquer pour rendre le vote obligatoire, si on considère que l’abstention ouvre la porte au désordre.

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