PIB, chômage, prélèvements obligatoires et inflation : ces indicateurs zombies qui ne disent rien de l’état réel de l’économie française…<!-- --> | Atlantico.fr
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De l'erreur économique

Alors que les grands décideurs de la planète n'ont visiblement toujours pas réussi à nous sortir de la crise, l'utilité d'un débat sur la justesse de nos outils de mesures économiques semble s'imposer de plus en plus. Et s'il était temps, au-delà des fantasmes irréalistes, de repenser notre vision de la croissance et de l'emploi ?

Valérie Charolles

Valérie Charolles

Enseignante à Sciences Po, Valérie Charolles a travaillé au ministère des Finances, au cabinet du ministre de l'Industrie et à Radio France, dont elle a été directeur financier. Elle est l'auteur de Et si tous les chiffres ne disaient pas la vérité, aux éditions Fayard.

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Atlantico : La vie politique des sociétés modernes se caractérise par une attention toujours plus importante pour des indicateurs économiques que l'on considère  incontournables, comme le PIB, l'inflation ou encore le chômage. Peut-on toujours faire confiance à ces "chiffres zombies" que d'aucuns considèrent comme dépassés ?

Valérie Charolles : La plupart de ces indicateurs se sont popularisés dans la seconde moitié du XXe siècle, époque où la structure de nos économies était bien différente, la question étant de savoir s'ils sont effectivement encore valables aujourd'hui.Les volontés de remise en cause portent déjà sur le PIB, outil de mesure qui est au premier plan de notre vie économique et sur lequel beaucoup d'attentes se sont focalisées. Au-delà des défauts de mesure, qui suscitent un débat hautement technique et complexe, le problème est ici avant tout une question de lecture et d'interprétation. Je donnerais ici trois exemples pour illustrer ce propos :

On peut tout d'abord avoir une croissance de 3% en France et voir dans le même temps le revenu médian des Français s'abaisser. En d'autres termes, la croissance n'est clairement pas synonyme de prospérité partagée. 

Par ailleurs, le "rêve" des 5% de croissance partagé par beaucoup d'économistes relève d'une certaine incompréhension des réalités des sociétés développées. Si l'on obtient ainsi 2% de croissance en France, la richesse supplémentaire par habitant serait équivalente à celle que l'on obtiendrait avec 9% de croissance en Chine. Par ailleurs, si l'on veut réellement réduire les inégalités, dépasser les 2% reviendrait à modérer en parallèle la croissance des pays en développement, ce qui est difficilement imaginable en l'état. En l'occurrence, les pays développés se doivent d'accepter l'idée qu'ils ne peuvent renouer avec la croissance des Trente Glorieuses plutôt que de perdurer dans des objectifs irréalistes.

Enfin, il est nécessaire de rappeler que si nous avions nous-même 5% de croissance, notre PIB doublerait en quinze ans et triplerait sur un quart de siècle. La perspective peut sembler séductrice en apparence mais il faut se demander jusqu'à quel point nos économies pourraient soutenir un rythme aussi effréné.

Le PIB était en vérité un indicateur extrêmement utile au sortir de la Seconde Guerre mondiale alors que nos économies généraient de fort taux de croissance, sachant que tout était alors à reconstruire et qu'une immense partie de la population était dans un état de grande pauvreté. Dans les sociétés développées qui sont les nôtres, ce chiffre n'est en vérité qu'assez peu représentatif, en particulier pour analyser la situation sur le moyen et long-terme. Le débat public s'est focalisé à tort sur la croissance en croyant que c'était d'elle que dépendait l'emploi, alors que les trente dernières années semblent pourtant démontrer le contraire. Un autre problème que le PIB ne prend pas en compte est le développement durable, les sociétés de l'après-guerre n'ayant logiquement pas conçu le principe d'une limite au développement économique (la pollution, la saturation urbaine…). Il ne s'agit évidemment pas pour autant de militer pour la décroissance et de devenir moins riche demain, mais d'imaginer un système qui soit viable avec 1 ou 2% de croissance tout en générant de l'emploi.

Il est aussi intéressant de regarder la représentativité des chiffres du chômage, et tout particulièrement du chômage des jeunes, qui est généralement autour de 20/25% en France statistiquement parlant. Ces chiffres ne prennent que les jeunes actifs. En vérité, en tenant compte de l'ensemble des jeunes (étudiants compris) on se rend compte que la part des jeunes au chômage oscille entre 10 et 12%, soit deux fois moins que ce qui est communément affirmé. Marteler des chiffres aussi importants est d'autant plus interpellant que cela à des conséquences sur la motivation des jeunes qui pensent dans l'immense majorité qu'une personne sur quatre ne trouvera pas de travail avant longtemps. C'est aussi un biais qui influence directement les politiques publiques en termes d'emploi : puisque l'on pense qu'il est très difficile de trouver un travail, la part de jeunes en quêtes de haut diplôme augmente, les études s'allongent et par conséquent le taux de chômage continue d'augmenter (puisqu'ils retardent leur entrée dans l'emploi).

Pour ce qui est des biais dans la mesure de l'inflation, il s'agit d'un débat qui a été très actif au moment du passage à la monnaie unique mais qui a perdu de son intensité. La réflexion était pourtant nécessaire d'après moi, car l'inflation mesure tout un ensemble d'évolutions de prix qui gomme parfois des tendances diverses. Ainsi, on note que le prix des biens de consommation quotidienne (alimentation, énergie…) a eu tendance à augmenter sur les dernières années tandis que ceux des biens achetés de manière ponctuelle ont baissé dans le même temps.

Autre chiffre qui est contradictoire, celui du prélèvement obligatoire,  qui concerne particulièrement la France. Notre pays laisse ainsi se développer à l'international une image handicapante en cautionnant le chiffre de 57% du PIB (chiffres OCDE) souvent évoqué. Le plus révélateur n'est pas tellement le taux en tant que tel mais de voir ce qu'il finance : les revenus minimaux (c'est le cas dans la plupart des pays développés), la santé, l'hôpital, les retraites, la famille. Si l'on enlève le poids de la protection sociale, la France n'est plus à 57% mais à 24.1% contre 24.6% pour le Royaume-Uni. La France aurait donc tout intérêt à plaider auprès des organisations internationales pour que le poids de l’État (éducation, police, justice…) soit présenté à part de la protection sociale. Sachant que la France est l'un des rares pays à avoir un système de protection sociale entièrement public, tandis que les systèmes privés américains ou britanniques permettent de tronquer le poids des prélèvements obligatoires. Il s'agit là d'un truchement statistique qui nous coûte cher en termes d'image et d'attractivité et que nous aurions tout intérêt à corriger.

A l'inverse, quels indicateurs mériteraient d'être davantage analysés pour mieux se rendre compte de notre réalité économique ?

Je ne suis pas particulièrement partisane des indicateurs type "Bonheur intérieur brut" car je pense que l'on a aujourd'hui trop tendance à analyser par l'économie des domaines qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce type de discipline. Il serait à mon avis plus utile de remettre les indicateurs économiques à leurs places et de les analyser sur le long terme plutôt que de se contenter des derniers chiffres mensuels ou annuels.

L'analyse de la comptabilité des entreprises, à partir de laquelle est construite le PIB, est déjà clairement intéressante mais doit être cependant revue. Ce système s'est développé à partir de la Renaissance, à une époque où le travail salarié n'existait pas. Cela n'implique pas de remettre en cause l'économie de marché en tant que telle, mais seulement d'échafauder un système qui soit sur le long-terme plus directement favorable à l'emploi.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'analyse de la compétitivité, évoquée à longueur de chroniques, il est bien plus intéressant de regarder dans le détail plutôt que d'avoir une approche générale : un pays se distingue logiquement par les secteurs dans lesquels il est avantagé, et c'est la santé de ces derniers qui permet vraiment de voir en quoi une économie est mieux placée qu'une autre. En parallèle, les secteurs "faibles", s'ils sont analysés finement, permettent d'offrir une réflexion détaillée sur les améliorations que nous pourrons apporter.

Comment expliquer que le monde politique et économique se refuse à remettre en cause les indicateurs-références comme l'inflation ou le chômage ?

En ce qui concerne le monde économique, plusieurs réflexions ont été menées par des personnalités comme Stiglitz ou Fitoussi, même si on est encore loin du consensus. On peut facilement le comprendre à partir du moment où l'on réalise qu'il est difficile de se remettre aussi violemment en cause. Pour ce qui est des hommes politiques, on peut commencer à dire que ce genre de sujets, focalisés sur le long-terme, ont souvent tendance à s'effacer devant les exigences immédiates, ce qui finit de fait par bloquer tout véritable projet économique.

Janet Yellen, présidente de la FED, a récemment reconnu que les chiffres du chômage pris comme tels pouvaient biaiser l'action des décideurs politiques. Les élites sont-elles finalement en train de lentement se remettre en cause sur ces questions ?

Je pense que le processus est en cours. Pour ce qui est de Mme Yellen, il faut néanmoins prendre en compte les spécificités américaines puisque la FED, contrairement à la BCE, est particulièrement intéressée par le taux d'emploi. Si l'on peut toutefois affirmer que le débat intellectuel est en cours, on peut s'interroger sur la mise en place d'une petite révolution qui nous amènera à repenser de manière ambitieuse nos systèmes économiques. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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