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Phallomancie : dis-moi à quoi ressemble ton pénis, je te dirai qui tu es
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Bonnes feuilles

Tom Hickman écrit une balade érudite à travers les âges et les continents au pays de cet inconnu célèbre qu'est le pénis. Extrait de "Le bidule de Dieu" (2/2).

Tom Hickman

Tom Hickman

Écrivain et journaliste, Tom Hickman est l'auteur de nombreux ouvrages sur la Grande-Bretagne. On lui doit notamment une histoire de la BBC durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'une histoire du service militaire. Il a aussi consacré un essai (Un siècle d'amour charnel, Éditions Blanche, 1999) à l'évolution des mœurs sexuelles au XXe siècle.

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Certaines femmes ont tendance à affirmer avec dédain que lorsqu’on a vu un pénis on les a tous vus, mais les pénis sont infinis tant par la variété de leurs dimensions que de leurs formes ou de leurs coloris. Ils peuvent être longs, courts, gros, minces, trapus, droits, bulbeux ou assez coniques pour emplir le réservoir situé au sommet d’un préservatif, coudés de droite à gauche ou de haut en bas, circoncis ou non, lisses ou aussi fripés qu’un chiot sharpei ; et ils se présentent vêtus de rose, de caramel, de pêche, de lavande, de chocolat ou de bronze noir en fonction des origines ethniques de leur possesseur, encore que pas seulement : la plupart des pénis sont d’une teinte plus sombre que les corps de leurs détenteurs, et certains de façon frappante – « plus bronzés », comme le formulait délicatement le couple danois Inge et Sten Hegeler dans An ABZ of Love publié en 1963, l’année même du scandale de l’« homme sans tête », et qui allait devenir à l’époque un best seller. De façon imagée, les Hegeler considéraient les pénis comme « aussi variés que les visages ». Plus éloquent encore, au cours de la décennie suivante, Alex Comfort décréterait, lui, dans Les Joies du sexe, le guide sexuel le plus vendu de tous les temps, que les pénis possèdent également « une personnalité ».

Que les pénis soient ou non aussi différents entre eux que les visages, les caricaturistes ont de tout temps comparé l’appareil génital mâle à un visage : celui d’un très vieil homme doté d’un nez particulièrement laid et d’un oeuf coincé dans chacune de ses flasques bajoues (il est indéniable qu’au- delà de la puberté, tout pénis semble plus âgé que son possesseur). Même la tête (ou gland) du pénis a été comparée à un visage, chose qui nécessite un gros effort d’imagination, à moins peut- être de la considérer comme du « foetal précoce ». « Une petite frimousse tellement sérieuse », dit Thelma du pénis de Harry Angstrom, interrompant un instant sa fellation avant de poursuivre son analogie en remarquant que la peau non circoncise qui enveloppe le gland turgescent du pénis en question ressemble à « un petit bonnet » (John Updike, Rabbit est riche). Plus sérieusement, ou plus tristement, la poétesse Ronnie Roberts trouvait les pénis si atroces que, dans son poème « Portrait of a Former Penis Bigot » (Portrait d’une ancienne dévote du pénis), elle révéla qu’elle avait l’habitude de dessiner au feutre des visages souriants sur ceux de ses amants – de quoi modifier, peut-être, le regard que l’on posera désormais sur les smileys.

Tout au long des siècles, l’ouverture urétrale située à l’extrémité du pénis a été comparée soit à un oeil (Jap’s eye, ou « oeil jap », en argot anglo- saxon moderne, tandis que les lettrés des années 1920 mentionnaient très fréquemment Polyphème, le Cyclope et son oeil unique), soit à une minuscule bouche, à laquelle fait référence le poète élisabéthain Richard Barnfield dans un sonnet qui débute par : « Douces lèvres de corail où repose le trésor de la nature » (pour éviter toute interprétation erronée de ce vers, il n’est pas inutile de préciser que Barnfield était homosexuel). Dans l’Angleterre élisabéthaine, le mot d’argot populaire servant à désigner le pénis était « nez » ; d’ailleurs, aujourd’hui encore, de l’autre côté de la planète, au Japon, on attribue familièrement au pénis le nom d’un farfadet folklorique nommé Tenggu affublé, pour son plus grand malheur, d’un organe olfactif démesuré.

On a toujours attribué au pénis des noms d’hommes, histoire, pourrait- on dire, de mettre un nom sur un visage : les plus populaires en Angleterre étaient Peter, Percy, Rupert et Roger – un nom traditionnellement attribué aux taureaux et aux béliers reproducteurs – ainsi que John ou John- Thomas, employés jusqu’à nos jours (ce dernier doit sa renommée à l’usage qu’en fait D. H. Lawrence dans L’Amant de Lady Chatterley), ou encore Willy. Dick, pourtant aussi ancien que tous les précédents, n’a rejoint la fratrie pénienne qu’à la fin du XIXe siècle, et ce non pas parce qu’il rimait avec prick (pine), mais en tant que diminutif de dickory dock, argot rimé cockney désignant le cock (zob). Si Roger n’existe plus en tant que surnom, il a pendant des siècles été un verbe bien- aimé, comme en témoigne le journal intime de William Byrd de Westover. Le 26 décembre 1711, il écrivait de sa femme : I rogered her lustily (Je l’ai baisée avec délices), et de nouveau, le 1er janvier 1712 : I lay abed till 9 o’clock this morning… and rogered her by way of reconcilation (Je suis resté au lit jusqu’à neuf heures du matin… et l’ai baisée en manière de réconciliation).

Certains hommes donnent à leur pénis des surnoms (Clinton peut-il vraiment avoir appelé le sien Willard ?) parce que, comme le dit la blague, ils ne veulent pas se laisser mener à la baguette par quelqu’un qu’ils ne connaissent pas.

Les mâles anglo- saxons n’avaient pas de pénis. C’étaient des hommes à membre viril. Il y a plus ou moins cinq cents ans, ces hommes sont devenus des hommes « pivots » ou des hommes pillicock (mot d’origine scandinave venant de pillie, « pénis »).

Quand ces termes moyenâgeux furent considérés comme vulgaires, à la fin du XVIe siècle, pillicock fut réduit à cock (pillicock nous laissant en héritage le moins offensant pillock, « couillon ») et cock, ainsi que prick, devinrent les référents acceptables, aussi choquant que cela puisse paraître pour des oreilles contemporaines : aux XVIe et XVIIe siècles, les jeunes filles parlaient affectueusement de leur petit ami en l’appelant my prick (ma bite). À la fin du XVIIe siècle, l’emploi de prick disparut de la bonne société, ainsi que celui de cock, ce dernier laissant cependant un héritage linguistique important : apricocks, haycocks et weathercocks devinrent apricots (abricots), haystacks (meules de foin) et weathervanes (girouettes) ; dans le même temps, les puritains américains transformaient water cock en « robinet » et cockerel (coquelet) en rooster. Les hommes étaient désormais équipés d’un yard – dérivé d’un terme médiéval désignant une canne ou un bâton arboré en signe d’autorité et non pas comme une mesure de longueur des plus optimistes.

Lorsque le XVIIIe siècle s’enticha de termes latins, yard devint finalement « pénis » tandis que tarse, qui avait perduré au moins dans les cercles littéraires, tira sa révérence – au grand dam des poètes scatologiques (« pénis » ne rimant pas avec arse, « cul »). Le terme romain classique pour désigner le pénis était l’évocateur mentula, qui signifie « esprit étroit ». Mais les linguistes du XVIIIe siècle optèrent pour l’idiomatique penis, qui signifie « queue », un terme qu’ils préférèrent non seulement à mentula, mais aussi au plus argotique romain gladius, ou « glaive » – lequel, dans la mesure ou vagina signifie « gaine » ou « fourreau », convenait idéalement.

Glans, le mot latin désignant la tête du pénis en érection (et signifiant « gland », ce à quoi avec un peu d’imagination elle peut ressembler), fut également adopté dans l’anglais courant – même si la plupart des gens s’en tinrent aux très anciens knob (bouton de porte), helmet (casque), bellend (bout) et, bien sûr, head (tête). Come, Kate, thou art perfect in lying down : come, quick, quick, that I may lay my head in thy lap, « Viens, Kate, tu es la perfection même étendue : viens vite, vite, que je puisse reposer ma tête sur ton giron. » (Shakespeare, Henry IV, acte I, scène III).

Le reste de l’attirail subit lui aussi la loi de la latinisation ; ce à quoi les Anglo- Saxons et leurs descendants se référaient comme des cullions, des ballocks (plus tard orthographié bollocks) ou des stones (« pierres », employé de façon récurrente dans la Bible du roi James de 1611) et, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, comme des cods (de codpiece, « brague ») devint dès lors des « testicules », de testiculus ou « témoin » – les Romains considéraient leurs testicules comme de « petits témoins de virilité », assurent les étymologistes (cf. 2e partie).

À une époque où tout un chacun connaissait par coeur sa Bible, l’« arsenal d’Adam », « Nemrod » (le fabuleux chasseur) ou le « bâton d’Aaron » (le bâton du patriarche qui, en fleurissant, produisait des amandes) figuraient parmi les sobriquets, les néologismes et les tropes que les hommes inventaient pour parler de leurs parties génitales – autant de noms peu susceptibles d’être rencontrés de nos jours sur les chiches sites Internet consacrés à la terminologie génitale.

À travers les âges, les hommes ont également appliqué au pénis tous les synonymes imaginables : légumes et fruits en tout genre, animaux – le serpent et l’anguille se retrouvent dans presque toutes les cultures, tout comme la tortue serpentine à tête de phallus dans les cultures moyen- orientales. Les Italiens parlent couramment du pénis comme d’un oiseau ou d’un poisson, ainsi que le faisaient il y a plus de cinq mille ans les Sumériens. Certains outils, certaines armes ont toujours occupé une place de choix dans le vocabulaire pénien, comme « glaive », dont la Rome antique n’avait pas l’exclusivité – Shakespeare l’employait, de même que des termes comme « pique », « lance », « pistolet » et « hache ». À mesure que l’arsenal guerrier s’étoffait, le pénis fut comparé à des armes de plus en plus puissantes parmi lesquelles, entre autres, les torpilles, les bazookas et les roquettes.

Toute ingéniosité verbale mise à part, cock (bite), prick (zob) et les génériques tool (outil) ou weapon (arme) restent, ainsi que leurs équivalents dans d’autres langues, les mots les plus communément employés en Angleterre pour désigner le pénis, de même que balls (boules) et nuts (« noix », abréviation de l’appellation du XVIIe siècle nutmegs, « noix de muscade ») pour les testicules à lui appariés. Les Britanniques continuent d’entretenir un petit faible pour bollocks, knackers (d’un verbe médiéval signifiant « châtrer » – une association d’idées pas forcément des plus heureuses), cobblers (« cordonniers », encore du cockney rimé désignant une alêne de cordonnier) et, datant du temps des co-lonies indiennes, goolies (d’un mot hindou désignant tout objet rond). L’alternative favorite des Américains à « testicules » est rocks (rochers), stones (pierres) n’étant apparemment pas assez évocateur pour un pays où tout se doit d’être plus grand.

Comme il existe des gens qui croient à la morphopsychologie (lecture des visages), à la phénologie, à la chiromancie ou à la podomancie (examen des pieds), il en existe d’autres qui croient que la phallomancie, laquelle fait l’objet d’une longue tradition au Tibet et en Inde, permet de deviner à la fois le caractère et la destinée d’un homme. Les Tibétains estiment ainsi qu’il est préjudiciable pour un homme d’être suréquipé : si son pénis atteint ses talons lorsqu’il s’accroupit, sa vie ne sera que chagrin, mais si la longueur de son pénis ne dépasse pas la largeur de six doigts, alors il deviendra riche et bon époux. Des croyances similaires ont cours chez les hindous, qui sont exposées dans le Brihat Samhita, un traité astrologique sanscrit rédigé au VIe siècle avant J.- C. L’homme trop bien doté sera pauvre et n’aura pas d’enfants ; celui dont le pénis est droit, court et tendineux deviendra riche, tout comme celui dont le gland n’est pas très développé. L’homme dont le pénis incline vers la gauche connaîtra lui aussi la misère, tout comme celui dont le gland présente une dépression en son milieu – et celui- là n’engendrera que des filles. Si l’on en croit encore le Brihat Samhita, l’homme pourvu de testicules jumeaux deviendra roi ; celui dont les testicules ne sont pas parfaitement identiques se consolera en demeurant toujours friand de sexe.

Extrait de "Le bidule de Dieu", Tom Hickman, (Editions Robert Laffont), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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