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Pétition anti-Delon : l’erreur psychologique majeure commise par ceux qui croient que le bonheur serait garanti dans un monde 100% bon sentiment
©LUDOVIC MARIN / AFP

La palme

Alain Delon, à qui doit être remis une palme d'or d'honneur pour honorer sa carrière d'acteur, est sous le feu d'importantes critiques depuis quelques jours.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une association américaine accuse Alain Delon d'avoir tenu des propos homophobes, misogynes et racistes et veut que la remise de la récompense soit annulée. Comment expliquez-vous cette logique d'épuration au niveau individuel ? Qu'est-ce qui peut pousser des gens à considérer qu'il est important qu'une personne qui ne reconnait pas leur souffrance ou discrimination soit évincée ?

Bertrand Vergely : Quand on a affaire à la douleur humaine, il y a deux façons de se comporter à son égard. La première est celle que l’on trouve chez ceux qui agissent vraiment pour soulager l’humanité. Travaillant dans le silence et l’humilité, ceux-ci font des actions remarquables qui aident vraiment ceux et celles qui sont dans la douleur. La seconde est celle que l’on trouve chez ceux pour qui la douleur est un levier de pouvoir. 
En ce qui nous concerne, tout commence à la Révolution Française. S’il y a des hommes et des femmes qui luttent pour la reconnaissance de la dignité humaine, il y en a pour qui cette lutte n’est qu’un prétexte pour prendre le pouvoir. Cela est perceptible à travers la naissance du mythe égalitaire. 
     L’égalité est devenue la valeur de la Révolution Française. Témoin la devise de la République : « Liberté. Égalité. Fraternité ». Vous pensez que c’est par grandeur d’âme que les révolutionnaires de 89 ont lutté pour l’égalité ? Détrompez vous. Si les révolutionnaires de 89 ont lutté pour l’égalité c’est dans un seul but : prendre le pouvoir. 
La société d’Ancien Régime était une société fondée sur la hiérarchie et notamment sur la hiérarchie spirituelle. Quand on veut prendre le pouvoir dans une telle société comment être sûr d’y arriver ? Proposer l’égalité. Il y a beaucoup d’envies, de jalousies, de haines, de ressentiments dans le corps de l’humanité. Proposons l’égalité. On permet à ces envies, à ces jalousies, à ces haines et à ces ressentiments de se venger. 
     À la Révolution Française, c’est ce qui se passe. Témoin la Terreur. En apparence, le monde qui se met en place prétend lutter pour la justice et pour la dignité. En réalité, derrière ces idéaux nobles, on a affaire à un nouveau pouvoir qui se met en place en utilisant l’égalité comme levier afin de détruire toute idée hiérarchique. Ily avait la hiérarchie qui est le pouvoir réglé en fonction d’un ordre symbolique. Il y a désormais, l’égalité, qui est le pouvoir sans règles,  pour le pouvoir. Les sociétés communistes en sont l’illustration. 
Fondées sur l’égalité, ces sociétés sont celles, non pas de l’abolition du pouvoir mais de son absolutisation sous la forme du pouvoir absolu d’un homme, le chef du parti, d’une classe, la classe des membres du parti et du peuple, le peuple  surveillant en permanence le peuple. Fidel Castro récemment disparu en est une illustration saisissante. L’actuel président chinois qui s’est fait nommer président à vie (comme l’était Fidel Castro) en est une autre illustration. 
Au cours du XIXème et du XXème siècle, que se passe-t-il ? Le mythe égalitaire s’amplifie en faisant des ravages à travers les sociétés révolutionnaires transformées en bagnes géants dirigées de façon impitoyable voire monstrueuse par des dictateurs à la main de fer.  Dans cette dynamique, à la fin du XXème siècle, un phénomène singulier a lieu. 
     Quand le communisme s’écroule, comment faire pour promouvoir un monde égalitaire et ainsi s’assurer le pouvoir dans la postmodernité ? L’extrême gauche trouve la solution : devenir non pas simplement égalitaire mais hyper-égalitaire en allant pour cela chercher toutes les minorités afin de les défendre au nom du droit à l’existence. Dans la société contemporaine, cela se traduit par l’apparition de la gauche américaine et de sa victoire idéologique au niveau mondial. Pour comprendre la victoire de cette gauche, faisons un retour en arrière. 
     Tout commence avec Nietzsche au XIXème siècle puis Heidegger au XXème. Ceux-ci philosophent non pas pour mais contre. Nietzsche contre le christianisme, la religion et la morale, Heidegger contre la métaphysique et l’onto-théologie. Pour eux, si, d’un côté, il y a l’existence authentique, d’un autre il y a un complot contre cette existence. Cette vision est une vision tragique et nostalgique. Curieusement, via Jacques Derrida et Michel Foucault, elle est récupérée par la gauche  qui appelle vie authentique, les minorités avec leurs désirs et la revendication de leurs droits,  et qui entend par  complot, les pouvoirs religieux, moraux et politiques qui s’opposent à la liberté absolue de ces minorités. 
Fini le sens tragique de la vie où une vérité idéale de l’existence est recouverte par la bêtise du conformisme religieux et moral. La problématique est celle du scandale.  La vraie vie, celle du libéral-libertaire-libertin, est dominée par des pouvoirs  qu’il s’agit de démystifier et de démanteler en les déconstruisant. La pensée de la déconstruction est née. Aux Etats-Unis, dans les départements de littéraire comparée, elle fat fureur. C’est la pensée française qui pense la pensée américaine et, notamment, le féminisme. Cela tombe bien. 
     Dans le monde occidental, le pouvoir est à prendre. La République ne fait plus recette. Fondée sur la nation, censée être la voix de Dieu sur terre, elle se heurte à un obstacle majeur. La postmodernité ne croit plus dans la nation. Elle s’en méfie. Elle en a peur même, la nation, à travers le nationalisme, étant jugée responsable de la seconde guerre mondiale.  Que reste-t-il dès lors, quand on veut prendre le pouvoir dans la société post-moderne ? Une seule chose : devenir hyper-égalitaire à travers un égalitarisme antirépublicain et antinational. 
Aux Etats-Unis cet égalitarisme a découvert et mis en place son système en le fondant sur un principe : la guerre contre le blanc hétérosexuel et chrétien. Mort au blanc hétérosexuel et chrétien ! Vive le pouvoir minoritaire métissé, gay et multiculturel ! D’où ce à quoi nous assistons. 
     Une palme d’honneur va être remise à Cannes à Alain Delon qui, il y a des années, a tenu des propos non favorables à la guerre contre le banc hétérosexuel et chrétien ? Une vague de haine et dénonciation contre Alain Delon se produit, Alain Delon n’étant qu’un prétexte afin, pour les minorités en guerre contre le blanc hétérosexuel et chrétien, de s’inviter à Cannes.
     Tout donne à penser  que, désormais, ce type de comportement intrusif, va être quotidien. Témoin les grandes campagnes anti-homophobie, anti-obèsophobie ou pro-handicapés et bien sûr anti-discriminations auxquelles nous assistons. Désormais, sur les radios nationales, la propagande pour ces campagnes est continue. 
     On s’interroge quant aux minorités qui cherchent à « épurer ». Rien de plus normal. Ces minorités qui discriminent sans vergogne au nom de la lutte contre les discriminations disent la vérité du pouvoir actuel. Elles sont le pouvoir actuel en faisant exactement ce que le pouvoir établi leur demande de faire.  

Comment expliquer que dans nos sociétés plus ouvertes et plus tolérantes, ce genre de comportements semble signifier un réel malaise des individus face à nos sociétés dont les sociétés traditionnelles, malgré une violence existante, semblait intégrer plus facilement ? 

Il paraît étonnant que des sociétés fondées sur la tolérance puisent être intolérantes, Aussi étonnant que cela soit, ce n’est pas un paradoxe, la tolérance menant directement à l’intolérance.
     Reportons nous aux penseurs de la tolérance du XVIIIème siècle à savoir Locke ou bien encore Voltaire, que trouvons nous ? Quand il s’agit de penser la religion, la bonne religion n’est pas celle qui croit en Dieu mais celle qui est humaine (Locke) . Ce n’est pas elle qui croit avec la foi, mais celle qui n’est pas fanatique en croyant « avec modération » (Voltaire).  
     La tolérance n’est donc à l’origine nullement tolérante. Humaine, non fanatique,  elle est opposée à la religion divine et à celle qui a la foi, En fait, elle est opposée à la vraie religion  qui croit en Dieu et qui a la foi. Elle est opposée à cette religion parce qu’elle veut sa disparition. Elle est à ce titre une machine de guerre afin que cette religion disparaisse.  D’où l’intolérance intrinsèque de la tolérance, laquelle se fonde de façon sournoise sur la haine  de toute  pensée profonde animée par la transcendance et le sens de l’être métaphysique. 
     La religion est morte. Le christianisme a disparu. Plus personne ne sait ce que veut dire la tradition. Le terme de conservation est haï. La morale est perçue comme un idéal de fanatique rétrograde et réactionnaire. Mais, l’intolérance de la tolérance nous est restée sous la forme paradoxale d’une religion de l’absence de religion et d’un fanatisme de l’ouverture au nom de la divinisation de l’homme. 
Comme l’a montré Bergson, quand la religion n’est pas vécue mystiquement de l’intérieur, elle donne une religion close marquée par le conformisme social et la bien-pensance. Lorsque cette bien-pensance triomphe,on assiste au terrorisme de cette bien-pensance. Au lieu de s’intéresser à sa religion, on s’intéresse à la religion des autres en les surveillant.  Dans un monde tolérant, ce phénomène prend un tour nouveau. La bien-pensance étant antireligieuse et non plus religieuse, c’est la non-religion que l’on se met à surveiller. Quelqu’un a-t-il des idées vraiment morales et spirituelles ? Immédiatement perçu comme un élément intolérant, il est ostracisé. 
     Aujourd’hui, les minorités ont parfaitement vu le bénéfice qu’elles pouvaient retirer de cette situation. 
Dans la société contemporaine de la tolérance, je veux prendre le pouvoir, qu’est-ce que je fais ? Je provoque de façon à susciter une vive opposition. Quand cette opposition apparaît, je hurle à l’intolérance. Je me déclare victime en ameutant les associations de défense des minorités en péril. 
     En art, c’est manifeste. Il est frappant de voir aujourd’hui de plus en plus de pièces de théâtre où les acteurs sont nus sur la scène en mimant des attitudes obscènes voire pornographiques. Vous régissez contre, voire vous vous indignez en déclarant ne pas comprendre en quoi le fait de jouer Don Juan nu et, pour une femme, avec juste un string,  ajoute quelque  chose à la pièce. Votre entourage plein de tolérance s’indigne contre votre intolérance. Vous n’êtes pas simplement bégueule. Vous êtes réactionnaire. Vous n’avez rien compris à l’art. Celui-ci doit faire bouger les choses. Voue ne faites pas bouger les choses. 
     Être tolérant, c’est pouvoir provoquer. C’est comprendre que, quand quelqu’un provoque, il n’est pas vulgaire ou agressif. Il faut bouger les choses. Il fait évoluer les mentalités. Il participe activement au changement, la société étant non pas que j’accepte la règle sociale de bienséance, mais que la société tolère ma malséance. 
     En fait, le terrorisme minoritaire auquel nous assistons est la suite logique du phénomène de société close présent dans le monde religieux. Quand la vie n’est plus vécue de l’intérieur, elle devient extérieure et sociale. Quand elle devient extérieure et sociale, elle donne la religion extérieure pour qui  le comportement social est le seul comportement valable. Quand on passe d’une société religieuse à une société non-religieuse, comme c’est le cas aujourd’hui, la religion a beau disparaître, le jugement social demeure. On continue de ne s’intéresser qu’au comportement social en faisant de la non-religion et de l’antimorale, c’est-à-dire de la permissivité absolue,  le critère de la société.  

N'y a-t-il pas là l'illusion qu'un monde qui ne produirait aucune négativité est la clé du bonheur ? N'est-ce pas en cela que notre monde se distingue des sociétés traditionnelles, où une forme de négativité est intégrée au fonctionnement social par des normes et valeurs qui peuvent être discriminantes ?

Les sociétés traditionnelles ne connaissent pas l’intolérance des minorités ivres de pouvoir qui défendent le mythe égalitaire. Rien de plus normal. Ces sociétés ne les connaissent pas, le propre de ces sociétés étant d’accepter l’idée de hiérarchie et de pouvoir fondé sur un ordre symbolique. Toutefois, ne rêvons pas. Cela ne veut nullement dire que ces sociétés sont pour autant des sociétés ouvertes. On a beau ne pas être dans l’intolérance des sociétés minoritaires, l’intolérance n’en existe pas moins. 
     Ces sociétés donnent le sentiment d’être plus tolérantes. Cela vient-il de ce qu’elles ne sont pas guidée par l’utopie égalitaire ? Oui. Quand la transcendance existe, on relativise les choses humaines. S’intéressant à Dieu plus qu’aux hommes, on donne pour cela une certaine liberté aux hommes. Chose que l’on ne retrouve pas dans des sociétés où Dieu n’existe plus. Comme la perfection n’est plus divine mais humaine, sociale et politique, on ne tolère pas la moindre imperfection à l’ordre humain, social, politique, qui doit être totalement et exclusivement ouvert à l’humain, au social et au politique. 

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