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Un homme reçoit une dose du vaccin contre la Covid-19 dans un centre de vaccination à Perpignan, en juillet 2021.
Un homme reçoit une dose du vaccin contre la Covid-19 dans un centre de vaccination à Perpignan, en juillet 2021.
©RAYMOND ROIG /AFP

Lutte contre la pandémie

Avec la suspension possible au 15 janvier des pass sanitaires pour les personnes n’ayant pas de schéma vaccinal complet, la question retrouve une acuité particulière, notamment en ce qui concerne les professions de santé.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Avec la suspension possible au 15 janvier des pass sanitaires pour les personnes n’ayant pas de schéma vaccinal complet, la question retrouve une acuité particulière, notamment en ce qui concerne les professions de santé. Combien de personnes risquent d’être concernées dans la population générale ? Arrivons-nous à estimer combien de personnes se sont laissées convaincre par la vaccination suite aux différentes incitations à la vaccination grâce aux nombre de primo injections ?

Charles Reviens : Le débat parlementaire relatif à la mise en place du pass vaccinal n’est pas tout à fait fini mais ce sera a priori dans quelques jours : à la date d’effet du texte de loi, la dose de rappel vaccinal devrait avoir été faite dans les délais impartis pour toutes les personnes cibles.

Par ailleurs les données mise à disposition par le gouvernement concernant les non vaccinées sont les suivantes : 4,1 millions d’adultes majeurs n’ayant reçu aucune dose vaccinale et surtout 500 000 personnes âgées, avec 86.3 % des personnes de plus de 80 ans ayant un schéma vaccinal complet soit moins que les 90.4 % de la population de plus de 12 ans et surtout les 97.7 % des 75-79 ans. Pour les personnes très âgées la question relève davantage de l’accès au vaccin que de l’incitation liées au pass vaccinal.

Les données de vaccination des autres publics sensibles sont fournies dans le dernier bulletin de Santé Publique France : résidents d’EHPAD (93,1 % de primo vaccination et 68.6 % de rappel « dose booster »), professionnels de santé (58.4 % ayant reçu la dose booster), professionnels des EHPAD et des unités de soins de longue durée (67.4%).

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Les pays les plus avancés sur les doses de rappel du Vaccin Covid n’ont pour l’essentiel ni obligation vaccinale ni pass. La mise en place prochaine du pass vaccinal et la suspension de ce dernier sans dose de rappel sont-ils réellement incitatifs du point de vue de la vaccination ?

Charles Reviens : Pour mémoire l’OMS a une position prudente et privilégie les approches conduisant à la conviction des publics sur les mesures de contrainte (obligation vaccinale ou pass vaccinal). Ce cadre est précisé dans une note de cadrage d’avril 2021. L’OMS fait la promotion de « l’engagement communautaire » en faveur de la vaccination et fournit à cette fin différents kits de communication qui font de l’acceptation volontaire (« voluntary compliance ») de la vaccination la clé de tous les succès/.

Cette position a été réaffirmée lors de la conférence de presse de l’OMS du 12 janvier dernier : « les gouvernements doivent être prudents concernant l’obligation vaccinale car dans la plupart des situations les gens qui sont hésitants ont des questions sincères qui nécessitent des réponses et les informations appropriées. »

De fait les pays qui ont la plus forte proportion de la population ayant reçu la 3ème dose n’ont pas mis en place d’obligation ou de pass vaccinal. C’est ainsi le cas du Danemark ou de l’Espagne plus avancée que la France sur les 2 premières doses.

Cela n’empêche pas de nombreux pays européens de mettre en place l’obligation vaccinale : l’Autriche (pays pionnier en la matière avec une décision en novembre 2021), la Grève (plus de 60 ans et personnels soignants), l’Italie (obligation ou pass vaccinal pour les plus de 50 ans), la Pologne avec un débat en cours en Allemagne.

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Dans une épidémie qui touche d’abord les personnes fragiles et notamment les personnes âgées au premier rang, comment expliquer que Brigitte Bourguignon soit encore appelée à faire des déplacements, comme vendredi dans les Hauts-de-France, pour convaincre les seniors ? Est-ce un problème de conviction ou de mise à disposition des moyens ?

Antoine Flahault : Il reste, selon une récente interview d’Alain Fischer dans L’Express, 500 000 personnes très âgées n’ayant toujours pas reçu leur première dose vaccinale, mais aussi 10% des personnes atteintes de maladies chroniques, 13% des personnes atteintes d’obésité. C’est pourtant une urgence, car il faut protéger le plus rapidement possible ces segments de la société non encore vaccinés qui sont à très haut risque de complications pouvant les conduire à l’hospitalisation ou au décès. Par ailleurs, les Hauts-de-France est une région qui comporte de nombreuses communes où les revenus des habitants sont faibles et les taux de vaccinations proportionnellement plus bas que dans les communes plus riches. Les autorités françaises, à la différence de celles d’Espagne ou du Portugal semblent en effet peiner à déployer des moyens suffisants pour aller à la rencontre de ces personnes précaires ou en situation de handicap pour leur proposer activement la vaccination.

Faut-il s’inquiéter de la vitesse actuelle de la vaccination avec la dose de rappel ? La mise en place prochaine du pass vaccinal et la suspension de ce dernier sans dose de rappel sont-ils incitatifs du point de vue de la vaccination ?

Antoine Flahault : Près d’un quart des plus de 65 ans n’a toujours pas reçu sa troisième dose en France, or on sait aujourd’hui que les personnes âgées vaccinées avec deux doses sont beaucoup moins bien protégées contre les formes graves que celles ayant reçu le schéma vaccinal complet à trois doses. L’usage du pass sanitaire, dès l’été dernier en France, avait été un fort incitatif à la vaccination et l’on peut en effet espérer que le pass vaccinal donne aussi un coup d’accélérateur à la campagne pour la troisième dose qui était un peu à la peine depuis l’automne.

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Dans son dernier bulletin, Santé publique France estime que la couverture vaccinale des professionnels de santé éligibles à la dose de rappel sont de 67,4% en Ehpad ou USLD, 82,5% chez les libéraux et 67,9% chez les salariés. La dose de rappel leur sera obligatoire à partir du 30 janvier. On se souvient d’une certaine difficulté déjà pour convaincre les professionnels de santé de faire leur schéma vaccinal initial. La défiance de la profession n’a pas été estompée ?

Antoine Flahault : La défiance des soignants vis-à-vis de la vaccination n’est pas nouvelle, on la connaissait pour la grippe, on l’a connue également pour le Covid. L’obligation vaccinale a permis de régler le problème de la trop faible couverture des personnels soignants pour l’hépatite B et plus récemment pour le Covid, mais ne croyons pas que ces dispositions suppriment pour autant la défiance envers les vaccins. Il faudrait peut-être réfléchir à une formation plus poussée en vaccinologie de tous les personnels soignants, ainsi qu’une formation continue portant sur les questions qu’ils se posent à ce sujet, car il semble que les soignants soient des cibles fréquentes des nombreuses rumeurs et des fausses informations véhiculées par des personnes antivax. Il faut contrer la propagande active de militants qui propagent des informations élaborées et erronées visant à instiller de la confusion et de la défiance vis-à-vis des vaccins et des innovations thérapeutiques. Il est particulièrement important de convaincre patiemment les soignants parce qu’ils sont aussi des relais précieux et potentiellement très efficaces en santé publique et pour la promotion de la santé.

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Charles Reviens : Il faut poser cette question à un professionnel de santé. L’OMS consacre dans sa note d’avril 2021 un développement important à l’enjeu de l’obligation vaccinale pour les personnes de santé, avec une position non défavorable à la vaccination obligatoire si certaines conditions sont remplies.

Plus largement, dans quelle mesure peut-on apprécier l’efficacité des incitations à la vaccination depuis le début de pandémie ? 

Antoine Flahault : La France ne peut pas bouder les succès qu’elle a engrangé en termes de couverture vaccinale. Elle s’est hissée parmi les pays du monde les plus vaccinés et on le doit en grande partie à sa politique volontariste en la matière. Les choix politiques opérés n’y sont en effet pas pour rien. Ils étaient fondés sur un large consensus de la communauté scientifique et des experts sur le sujet et ce succès est aussi la marque de confiance d’une grande partie de la population vis-à-vis de ses autorités de santé et de ses experts. L’importance et l’utilité de la vaccination dans la lutte contre cette pandémie jouit d’un large consensus dans la classe politique française alors qu’elle a été l’objet de clivages partisans dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, la Russie ou le Brésil qui en paient désormais un très lourd tribut. Mais en Espagne et au Portugal, cette confiance est encore plus forte qu’en France et pratiquement toute la population éligible y est désormais vaccinée. Il reste donc à la France à parcourir les derniers dix pourcents de la route qui la mènera à l’immunisation de la quasi-totalité de sa population éligible. Il ne faudra pas oublier en route les enfants de 5 à 11 ans. Ce segment de la population française reste en effet très faiblement vacciné, dont on voit aujourd’hui qu’il est l’un des plus atteints par la vague Omicron. Les enfants paient un double tribut à cette pandémie. D’une part, sur le plan sanitaire, avec plus de 80 enfants de 0 à 9 ans hospitalisés aujourd’hui en soins intensifs pour Covid, ce qui représente une situation inédite en France, et des Covid longs qui sont autant de situations de handicaps à plus long terme. Et d’autre part, sur le plan social et éducatif, avec une scolarité souvent hachée et parfois interrompue depuis près de deux ans désormais.

Charles Reviens : Comme expliqué dans une précédente question, l’OMS favorise l’outil de l’incitation à celui de l’obligation : « les gouvernements devraient faite preuve de pédagogie pour encourager la vaccination volontaire covid-19 avant d’envisage des mesures d’obligation vaccinale.

En France il y a à la fois les personnes qui rencontrent des difficultés d’accès aux vaccins (les personnes très âgées isolées) et les personnes réticentes à la vaccination : 10 % de la population vaccinable refuseraient de sa faire vacciner selon la dernière enquête Slavaco dirigée par le sociologue Jeremy Ward, spécialiste des attitudes à l’égard des vaccins et des controverses vaccinales à l’Inserm.

Entre l’incitation et la contrainte, on a pu par ailleurs constater l’impact significatif des prises de parole d’Emmanuel Macron : plus d’un millions de rendez-vous Doctolib après l’intervention du 12 juillet 2021 annonçant le pass sanitaire, 100 000 rendez vous pour la doser de rappel début novembre 2021.

Ma dernière contribution rappelait enfin l’importance des considérations politiques et électorales dans la mise en place du pass vaccinal et des récents propos présidentiels relatifs aux non vaccinés.

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