Pétain, Montoire, collaboration : comment Maurras s'est attelé à défendre l'indéfendable

Charles Maurras est inculpé le 5 décembre 1944 pour avoir, selon le jargon de la prévention habituelle au parquet, plus spécialement le 16 juin 1940, entretenu des intelligences avec l’ennemi, ou avec ses agents en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France. Remis fin octobre, le questionnaire du juge d’instruction vise à obtenir des réponses sur les liens qui furent ceux de L’Action française et de son maître avec les forces d’occupation.

Charles Maurras poursuit son apologie du régime de Vichy. Le maréchal Pétain a sauvé la France, il a été envoyé par Jeanne d’Arc pour empêcher la destruction du pays. Mieux encore, il a été l’envoyé de la Sainte Vierge pour intercéder en faveur de cette nation qui est chrétienne et catholique face aux hordes de luthériens barbares instrumentés par les juifs. Montoire n’est pas un armistice, ce n’est pas une défaite, ce n’est pas une humiliation, c’est Charles Martel arrêtant les Maures à Poitiers. Ce traité, c’est la preuve que la Sainte Providence a veillé sur la France et sur sa nation vieille de plus de mille ans, soignée par ses rois et dénaturée par cette mauvaise République mise à bas et déconsidérée, enfin, par son incapacité à vaincre les barbares allemands comme les seigneurs d’autrefois l’avaient pourtant fait pendant des siècles. Cet armistice doit à ses yeux rejoindre la longue liste de ces événements miraculeux qui a sauvé la France et qui démontre au monde que la Providence a élu ce peuple et cette nation pour conduire une mission particulière. À n’en pas douter, cet armistice rejoindra les récits des épopées que l’on racontera aux enfants dans les chansons de geste. Oui, l’intervention du maréchal Pétain est un miracle, une "divine surprise".

Il était donc évident – écrit-il à son juge – que la collaboration fut le premier devoir de tout bon français, il faut entendre catholique, qui doit reconnaître dans le maréchal Pétain la vertu d’un envoyé divin, un vieil homme hier sauveur de la France à Verdun et récidivant dans l’adversité la plus vive. Ainsi expose-t-il le sens de son expression : il est le sauveur, il est une "main dans la nuit". Dans son esprit rendu dément à force de tordre le bras de l’histoire pour espère-t-il tout vouloir justifier, le maréchal Pétain a capitulé par amour de la patrie, il est, comme dit la chanson, le sauveur de la France.

Là où les militaires, le regard sur les cartes, voyaient un désastre militaire, là où les politiciens voyaient un bouleversement des institutions, lui, et lui seul, le regard porté haut sur les frontières, voyait l’accomplissement de ses prévisions et prédictions, la fin de la sinistre République et de sa détestable démocratie, mais aussi la faillite des idées maudites des Lumières et des idéaux dévoyés qui furent portés par une élite sanguinaire et enjuivée. Cette réécriture de la débâcle de 1939 est la clé de sa démonstration.

Extrait de "L'affaire Maurras", de Jean-Marc Fédida, publié aux éditions L'âge d'Homme. Pour acheter ce livre, cliquez ici.