Orange : Stéphane Richard en colère fustige les raideurs de l‘État actionnaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Le PDG du groupe Orange, Stéphane Richard, lors d'une rencontre avec le Premier ministre ivoirien à Abidjan, le 13 juin 2019.
Le PDG du groupe Orange, Stéphane Richard, lors d'une rencontre avec le Premier ministre ivoirien à Abidjan, le 13 juin 2019.
©ISSOUF SANOGO / AFP

Atlantico Business

Stéphane Richard a des raisons d’être en colère. Après onze ans pendant lesquels il a fait d’Orange une entreprise internationale, il doit démissionner pour cause de juges égocentrés et d’un État actionnaire absurde.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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« Monsieur Stéphane Richard, quoi qu’il arrive maintenant, les écoles de management pourront vous remercier. Votre parcours professionnel raconte tellement mieux l’histoire économique française de ses trente dernières années que n’importe quel manuel existant, qu’il va falloir vous empresser d’écrire votre propre expérience, pour en tirer les leçons. On pourra même faire un film avec le chapitre sur les liaisons dangereuses entre un Etat actionnaire, flanqué de juges égocentrés et une économie confrontée à la modernité de ses technologies en situation de concurrence internationale. »  

La démission de Stéphane Richard restera un cas d’école qu’on se racontera dans les séminaires de formation au management, parce qu’elle illustre à merveille les lâchetés de l’État actionnaire et l’absurdité d’un pouvoir judiciaire en France.

Condamné en appel dans l’affaire Tapie pour détournement de fonds, le PDG d’Orange va devoir quitter cette entreprise qu’il a contribué à construire pendant plus de 11 ans.

Il quitte son entreprise en colère, parce que la décision judicaire lui est incompréhensible. D’ailleurs, dans cette affaire Tapie, tout est incompréhensible.  

Faut-il rappeler que l’ancien homme d’affaires avait réclamé au Crédit Lyonnais une part de la plus-value réalisée dans la revente du groupe Adidas (450 millions d’euros) mais comme les procédures se succédaient sans fin, l’État, qui voulait en finir, avait accepté que l’affaire soit confiée à une instance arbitrale de conciliation. C’est la ministre de l’Économie de l’époque, Me Christine Lagarde, qui avait mis en place cette commission avec moult précautions et c’est son directeur de cabinet Stéphane Richard qui avait veillé à ce que tout se passe dans les règles.

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Et tout s’est passé dans les règles, Bernard Tapie a été indemnisé. Compte tenu de la personnalité des arbitres choisis, la procédure n’a pas fait l’objet de critiques ou de commentaires particuliers dans le monde des affaires. C’est le monde politique de gauche qui a cru bon ressortir le dossier sous le règne de François Hollande.

Des hommes comme Jean Peyrelevade, qui n’avait pas été d’une impartialité modèle dans le fonctionnement du Lyonnais en remuant ciel et terre pour faire réviser cette décision et demandé que la justice s‘en mêle.  Du coup, Bernard Tapie et ses « amis conciliateurs » se sont retrouvés accusés d’escroquerie, mais relaxés en première instance. Comme cette décision ne plaisait décidément pas à la gauche française, le parquet financier fit appel, et de session en session, Bernard Tapie a fini par mourir épuisé par ce cancer qui le vidait, avant le verdict, lequel le condamnait lui et ses pseudos complices, dont Stéphane Richard.

Une affaire qui aura finalement empoissonné toute la vie du jeune chef de cabinet qui, après avoir quitté l’administration, a entrepris la transformation de France Télécom, vieux service public français en une société Orange, champion en Europe de l’industrie des télécom et du digital ; mais avec, toujours, cette épée Damoclès au-dessus de la tête.

Stéphane Richard s’est confié publiquement au point pour dire sa colère : « cette construction juridique est complètement baroque, dit-il, relaxé en première instance, condamné en appel alors que le dossier n’a pas changé ».

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Complètement baroque aussi, quand il compare les attendus du verdict, les actes commis sont d’une extrême gravité, et la légèreté relative de la peine qui lui est infligée « un an de prison avec sursis ».  Complètement baroque enfin, quand il constate que son ministre d’alors, Christine Lagarde, est épargnée ». Cela fait désordre. Les autres protagonistes de cette affaire, et notamment les avocats, doivent faire les mêmes commentaires. Tout est flou.

Pour Stéphane Richard, et pour la plupart des observateurs si l’affaire est aussi floue, c’est qu’il y a un loup. Cette affaire est politique du début à la fin. Il fallait tuer Bernard Tapie parce que la gauche ne pouvait plus le supporter. Il fallait tuer les arbitres parce qu’ils étaient soi-disant manipulés par Nicolas Sarkozy ; le pouvoir judicaire les détestait.

Au lendemain de cet appel, il fallait entendre Jean Peyrelevade se féliciter sur les antennes de BFM Business, de cette décision qui ramène la morale et l’éthique au centre du jeu politique. Jean Peyrelevade aurait pu faire preuve d'un peu d'humilité, de pudeur, de retenue, d’élégance et éviter de "cracher ainsi son venin" sur une affaire dont il faut espérer qu’un jour, on fera toute la vérité qui n’est pas aussi simple qu’il prétend depuis le début.

En attendant, le système politique français ne pouvait pas permettre à Stéphane Richard de rester en poste dans une entreprise où l’Etat est encore aujourd’hui actionnaire majoritaire à plus de 25 %. Il aurait pu ne pas démissionner, mais à quoi bon s’accrocher.

« Je connaissais la règle fixée par l’Etat, dit-il encore... Donc je pars sans indemnités, ni retraite chapeau ». Pour désamorcer sans doute toute tentation qu’auraient certains de dénoncer les avantages qu’auraient pu s’octroyer certains cadres supérieurs.

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Stéphane Richard n’aura pas à rougir de son bilan. Tous ses pairs le reconnaissent, il avait pris une entreprise dont la culture de service public était à bout de souffle, où les personnels étaient désemparés par la mutation technologique avec ces vagues de suicides nombreuses qui laissaient une cape de plomb sur l’entreprise. Stéphane Richard a redressé l’entreprise pour qu’elle puisse confronter la concurrence internationale et la violence de la mutation internet. Alors, certains lui reprochent parfois d’avoir été trop prudent, il regrette simplement d’avoir eu un actionnaire majoritaire qui le retenait en permanence. Orange avait donc dans son ADN des gènes de service public et qui dit service public, veut dire des prix le plus bas possible et des équipements accessibles à tous, sans pour autant en payer le cout. Or, le digital est devenu très capitalistique, l’internet, le câble, la fibre, la 4G, puis la 5G. Alors, il fallait grossir mais attention de grossir en France, de rester Français.

Quand il s’est agi de se marier à Bouygues, parce que Bouygues avait aussi besoin de grossir, l’Etat est arrivé et a sifflé la fin de la partie. Les boursiers n’ont rien compris à cette logique. Stéphane Richard a simplement compris qu’à Bercy on ne voulait pas faire de vagues. Bouygues non, pas de cadeau à un ami de Sarkozy.

Les rapports avec le privé se limiteront donc à des déjeuners et des réunion amicales. Martin Bouygues, Xavier Niel (le patron de Free) et Patrick Drahi (le patron de SFR) savent pourtant, exactement comme Stéphane Richard, que cette industrie des télécom et du digital qu’ils ont créé en France aura besoin de se marier pour affronter la concurrence des Gafam et des autres. Sur le marché mondial, nous Français, nous sommes encore que des nains. Des nains vigoureux et imaginatifs, mais des nains.

Alors, Stéphane Richard sortira d’Orange à la fin janvier. D’ici-là, il aidera le conseil d’administration à trouver quelqu’un qui le remplace. Il connaît la terre entière. Mais attention, outre l’expertise, la compétence et la légitimité, il faudra que le successeur soit français, parce que l’Etat actionnaire y tient sans doute surtout en période électorale. Mais il faudra aussi qu’il accepte un salaire pas très brillant par rapport à tout ce qui se fait dans le CAC 40. Stéphane Richard a déjà prévenu les chasseurs de tête.

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