OPA sur la droite : le pari risqué de Marion Maréchal<!-- --> | Atlantico.fr
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Marion Maréchal OPA droite Les Républicains LR
Marion Maréchal OPA droite Les Républicains LR
©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bonnes feuilles

Louis Hausalter publie "Marion Maréchal, le fantasme de la droite" aux éditions du Rocher. Elle intrigue, elle fascine, elle inquiète... Même retirée de la vie électorale, Marion Maréchal reste un personnage politique à part entière. Extrait 1/2.

Louis  Hausalter

Louis Hausalter

Louis Hausalter est journaliste politique à Marianne, après avoir travaillé pour Europe 1. Il intervient régulièrement dans des émissions de télévision et de radio.

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« Un jour, on me parlera peut-être de moi, et pas de Macron ou de Marion… » Julien Aubert rigole devant son assiette de volaille, dans la chaleur de ce 4 juillet 2019. Ce quadra à la faconde toute méridionale est député Les Républicains de Vaucluse et il a croisé la route des deux personnages. Énarque, il était dans la promotion Léopold Sédar-Senghor sortie en 2004, la même qu’Emmanuel Macron. Élu à l’Assemblée nationale, il a eu pendant cinq ans pour voisine de circonscription Marion Maréchal Le Pen. Alors Julien Aubert est bien placé pour en parler, de cette blonde qui faisait se retourner les gens sur son passage à Carpentras. Et qui draguait sans vergogne les électeurs de droite. « Ses » électeurs.

Là-bas, les scénarios se suivent et se ressemblent aux différentes élections. Le FN (devenu RN) arrive en tête au premier tour, mais c’est la gauche ou la droite qui ramasse la mise au second. Marion Maréchal-Le Pen fut l’exception en 2012. Et c’est pour trouver une force d’appoint au FN qu’elle faisait la promotion d’une union des droites. Il faut dire que sur ces terres qui conjuguent déclassement économique et forte immigration, la porosité est grande entre les électeurs frontistes et ceux de la droite traditionnelle.

Sauf que, depuis Chirac, la doctrine est la même à droite : pas d’alliance avec le FN. Julien Aubert avait beau partager de nombreux points d’accord avec sa jeune concurrente, il s’y est tenu : « J’avais le moins de contacts possible avec elle et je l’ai combattue. Si j’avais pris ne serait-ce qu’un café avec Marion Maréchal-Le Pen, vous imaginez… ».

On le retrouve cette fois sur place, à l’étage de sa permanence carpentrassienne. Le député entend ces appels à casser la digue. Après tout, un programme fondé sur une politique de fermeté migratoire et sécuritaire et de libéralisation économique mettrait sans doute d’accord une majorité d’électeurs vauclusiens, sur la rive de la droite comme sur celle du RN. Aubert le reconnaît : « Les gens ont un objectif d’utilité : ils veulent gagner. Alors ils nous disent “démerdezvous”, et certains se demandent pourquoi on ostraciserait d’autres qui pensent à peu près comme nous. D’autant que cet argument perd du poids avec le ralliement au Front d’anciens LR, comme Thierry Mariani. » Mais pour le député, l’alliance des droites est vouée à l’échec : « Ceux qui pensent qu’une liste d’union gagnerait se trompent, parce que toute une partie des gens ne veut pas voter Front! Il faut voir les choses comme elles sont : vous avez beau avoir 40% d’électeurs prêts à ce que le FN gagne, il y a un plafond de verre au second tour. Donc c’est un mauvais calcul. »

Députée, Marion Maréchal-Le  Pen envoyait déjà quelques hameçons vers la frange la plus à droite de l’UMP (devenue LR). Elle citait ouvertement les noms de ses collègues dont elle se sentait le plus proche politiquement, ce qui avait pour effet de les embarrasser plus qu’autre chose : Henri Guaino, Eric Ciotti, Jacques Myard, Pierre Lellouche… Nicolas Dupont-Aignan, aussi. Et Thierry Mariani qui, depuis, a retrouvé un mandat en rejoignant le RN. À mesure qu’elle gagnait en notoriété, les instituts de sondage voyaient grimper sa cote de popularité chez les sympathisants de droite. Les cadres de LR aussi, ce qui les poussaient à se méfier comme de la peste de cette jeune effrontée qui s’invitait sur leurs plates-bandes.

Aujourd’hui, ils surveillent du coin de l’œil les agissements de Marion Maréchal ex-Le Pen, retirée de la politique électorale. Pendant la campagne des européennes de 2019, Laurent Wauquiez, le patron de LR qui démissionnera après l’élection, faisait mine de ne pas s’en inquiéter. « C’est l’imam caché » des sympathisants RN, estimait-il en privé, « ce n’est pas à nous qu’elle fait du tort, c’est à sa chère tante ».

Wauquiez a tout de même propulsé à la tête de la liste LR le philosophe versaillais François-Xavier Bellamy. Un conservateur pas vraiment éloigné de Marion Maréchal sur le fond… D’ailleurs, la directrice d’école fait publiquement part de points d’accord avec lui. Encouragement sincère ou baiser de la mort? Entre elle et Bellamy, c’est compliqué. Ils ont déjà dîné ensemble via des amis communs : elle était députée et lui conseiller municipal de Versailles, mais surtout valeur montante des penseurs de droite. Arrive 2017 et le second tour Macron/Le  Pen. François-Xavier Bellamy signe dans le Figaro2 une tribune dans laquelle il critique abondamment le candidat d’En Marche, tout en actant sa future élection comme acquise. Surtout, il écrit que « le Front national ne sera jamais qu’une impasse pour les électeurs qui se tournent vers lui ». Furibarde, Marion Maréchal l’incendie par texto. La jeune femme a beau avoir suivi la présidentielle avec peu d’enthousiasme, elle enrage de voir toute la droite se rallier à Emmanuel Macron ou se réfugier dans des formules alambiquées. Elle confirme cet échange houleux : « On ne demandait pas un soutien mais au moins le silence. J’ai été un peu surprise et je lui ai fait savoir. Après, c’est vrai qu’à ce moment-là, il était investi par LR pour les législatives. » Elle se rappellera tout de même au bon souvenir de Bellamy en lui adressant ce tacle deux ans plus tard, à l’occasion de la campagne des européennes : « entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, lui affirme préférer conserver Macron ».

Pendant cette campagne, elle grimace encore en entendant le même Bellamy respecter scrupuleusement la ligne de LR en refusant une « alliance de boutiques » et assurer qu’il n’a « aucun contact » avec elle. Mais elle se garde d’en dire du mal : « Je n’ai aucune antipathie pour l’homme et je connais les aléas et les contraintes des partis. Ce n’est pas un ennemi politique. Il fait partie des gens intéressants, malgré tout. »

Ses proches, eux, ne cachent pas leur mépris pour ce « cuck », comme certains d’entre eux l’appellent en reprenant ce terme peu sympathique de forums Internet : un faible, un naïf, un soumis. Le jour des élections européennes, le RN arrive en tête et la liste LR obtient le score catastrophique de 8,5%. Ce soir-là, les résultats viennent à peine de tomber que Marion Maréchal envoie à son ami Geoffroy Lejeune, le directeur de Valeurs actuelles, une série d’émojis morts de rire…

Les Républicains, ou ce qu’il en reste, Erik Tegnér s’est mis en tête d’y jouer les rabatteurs d’élus et de militants vers la bannière marioniste : « Je suis un sas. Je présente pas mal de jeunes LR à Marion. Pour parler à la droite, c’est plus facile de passer par un mec qui est chez LR. » 5 Il sourit : « Elle accepte tout, mais il faut faire le boulot. » Souvent, il encourage Marion Maréchal à envoyer des textos à des LR, ne serait-ce que pour tâter le terrain.

— Mais ils ont peur de moi, lui rétorque-t-elle.

Il insiste. Il en est persuadé : la frange la plus à droite de LR peut un jour se détacher du parti pour épouser la cause de sa championne. « Mon but, c’est que chez les LR, ils aient le numéro de Marion. » Au cas où.

Le 19 juin 2019, Erik Tegnér organise une nouvelle soirée sur la péniche Henjo, à Paris, sur le quai qui fait face à Notre-Dame recouverte de bâches. On y croise globalement les mêmes que d’habitude : le trio Tegnér-Guillebon-Voyer; le volubile Paul-Marie Coûteaux, ancien conseiller de Marine Le  Pen; Jean-Frédéric Poisson, qui fume un cigare; le président honoraire de l’Issep Patrick Libbrecht, dithyrambique sur la première année de l’école; un frère de Marion Maréchal; et surtout des jeunes gens qui grenouillent entre droite et RN. La sonorisation est mauvaise et la petite assistance peine à écouter l’invité vedette de la soirée, Henri Guaino. Ce soir-là, Marion Maréchal dîne chez un ami. Les textos s’accumulent sur son iPhone pour l’implorer de passer sur la péniche. Elle hésite. L’ami la dissuade :

— Tu vas t’emmerder.

— Ouais, t’as raison…

Le lendemain, en revanche, elle répond présent à un « speed dating » que l’hyperactif Erik Tegnér organise au Tourville, un café parisien près du Champ-de-Mars. Il a réuni Marion Maréchal et une vingtaine de jeunes de chez LR, surtout des collaborateurs parlementaires et des cadres des Jeunes Républicains. Il y a là un responsable des « Jeunes avec Bellamy », un ancien permanent de la campagne de François Fillon, des conseillers de certains maires d’arrondissement parisiens, des proches du petit parti de centre-droit Agir… Chaque participant s’installe avec un autre pendant vingt minutes, puis ça tourne. Évidemment, chacun s’impatiente de causer avec la star de la soirée.

Marion Maréchal a eu un conflit d’agenda ce soir-là. Patrick Buisson l’a invitée à la projection de son nouveau film sur le procès de Jeanne d’Arc, au cinéma Gaumont Opéra. Tant pis pour Buisson : elle passera au cocktail, après la séance.

Mais c’est la semaine suivante, le 25 juin, qu’un nouvel apéro parisien sème une petite pagaille à droite. Au premier étage du Bouclier de Bacchus, un bar à vin du IXe arrondissement, Marion Maréchal rencontre une quinzaine d’élus LR. Cette fois, c’est l’ensemble du trio infernal Erik Tegnér-Jacques de Guillebon-François de Voyer qui est à la manœuvre. Entre deux verres, on cause gaiement de la PMA, de la privatisation d’ADP ou d’immigration. Dès le lendemain, la rencontre fuite opportunément dans le Figaro et l’Obs. Seuls trois invités ont accepté d’officialiser leur présence : le député Xavier Breton, le sénateur Sébastien Meurant et Sébastien Pilard, conseiller régional des Pays de la Loire et ancien président de Sens commun. Parmi les autres convives, on trouvait surtout des élus locaux. Comme Xavier Lemoine, le maire de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, ou Vijay Monany, conseiller départemental du 93, qui s’exprimera sur la scène de la Convention de la droite en septembre. Jusqu’au dernier moment, les organisateurs ont craint que les élus ne prennent peur. D’ailleurs, certains se sont finalement décommandés, comme le sénateur des Hauts-de-Seine Philippe Pemezec.

Il faut dire que, comme souvent quand il s’agit de Marion Maréchal, le coup de com’ fait jaser chez LR. D’autant que le parti, aux abois, doit se trouver un nouveau chef pour la troisième fois en cinq ans. Les ténors Gérard Larcher, Christian Jacob, Bruno Retailleau ou Jean Leonetti y vont de leur avertissement. Parmi les cadres, on se divise entre ceux qui invoquent les « valeurs » d’étanchéité avec le RN et ceux qui ne veulent pas faire « la police des dîners en ville ». La présidente de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais ‒ qui compte des centristes de l’UDI dans sa majorité ‒ convoque le conseiller régional Sébastien Pilard pour une explication de texte.

« Je préfère discuter avec Marion Maréchal qu’avec Emmanuel Macron », rétorque Pilard à qui veut l’entendre. Et l’ex-patron de Sens commun ne compte pas s’en tenir là. Avec Erik Tegnér, ils travaillent sur le lancement d’un mouvement conservateur au sein de LR. Leur but? Faire contrepoids à Christian Jacob qui, en invoquant Chirac et avec le soutien de son ami François Baroin, devient le nouveau président du parti à l’automne. « Il y aura une scission de LR. Il faut la préparer », martèle Tegnér.

Trop tard. Dans le nouvel état-major des Républicains, le secrétariat général est revenu à Aurélien Pradié. Cet ambitieux député à l’accent du Sud-Ouest, porteur d’une ligne sociale, est bien décidé à bouter Erik Tegnér hors du parti. Il faut dire qu’en septembre, le jeune militant a aggravé son cas en co-organisant la fameuse « Convention de la droite » dont Eric Zemmour et Marion Maréchal partageaient l’affiche. Pradié lance une procédure d’exclusion. Aux militants qui contestent son choix lors d’un conseil national, fin novembre, il rétorque : « On n’est pas obligé de garder avec nous quelqu’un qui nous tape sur la tête toute la journée. »

Erik Tegnér se débat comme un beau diable. Pour lui, ne plus être membre de LR, c’est perdre une capacité de noyautage au service du grand mouvement marioniste dont il rêve. Marion Maréchal, d’ailleurs, lui envoie des messages de soutien : « Bats-toi! » Il proteste bruyamment et se défend au cours d’une audition tendue avec Aurélien Pradié. La mise à l’écart d’un simple adhérent parisien devient un fait médiatique. Mais Pradié a gain de cause. Le 11 décembre 2019, Erik Tegnér est exclu de LR. L’agitateur de l’intérieur se retrouve dehors.

Il n’y a pas qu’avec Marion Maréchal que Tegnér joue les entremetteurs. Il a aussi gravi le coteau de Montretout pour participer à des rencontres entre Jean-Marie Le Pen et de jeunes équipées de militants, avides de voir en vrai le vieux tribun. Lorrain de Saint Affrique, le conseiller de Le Pen, confirme : « Jean-Marie voit régulièrement un certain nombre de jeunes, dont beaucoup sont chez LR. On y a pris goût. On constate que c’est le public de Marion. » Marion Maréchal et son compagnon Vincenzo Sofo ont participé à l’un de ces cocktails au printemps 2019. L’hôte des lieux a surtout parlé d’immigration, un couplet obsessionnel et apocalyptique auquel ses visiteurs sont habitués.

Extrait du livre de Louis Hausalter, "Marion Maréchal, le fantasme de la droite", publié aux éditions du Rocher. 

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