« On savait » : derrière l’affaire Nicolas Hulot, le persistant déficit d’éthique de la vie politique française<!-- --> | Atlantico.fr
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Des femmes politiques racontent sur RTL qu’elles avaient entendues parler du comportement de Nicolas Hulot. Pourquoi la France ne pratique toujours pas les méthodes de « criblage ».
Des femmes politiques racontent sur RTL qu’elles avaient entendues parler du comportement de Nicolas Hulot. Pourquoi la France ne pratique toujours pas les méthodes de « criblage ».
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Méthodes de "criblage"

Des femmes politiques racontent dans une enquête menée par RTL qu’elles avaient entendues parler du comportement de l’ancien ministre. Comment expliquer que la France ne pratique toujours pas les méthodes de « criblage » employées aux Etats-Unis dans les processus de confirmation des nominations aux postes à responsabilité ?

Raphaël Maurel

Raphaël Maurel est Maître de conférences en droit public à l'Université de Bourgogne et Secrétaire général de l'Observatoire de l'éthique publique. 

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Atlantico : Des femmes politiques racontent dans une enquête menée par RTL qu’elles avaient entendu parler du comportement de l’ancien ministre Nicolas Hulot et « savaient ». Comment expliquer, si les choses étaient sues, que cela n’ait pas été remonté au gouvernement lors de la nomination du ministre ? Y-a-t-il encore aujourd’hui un manque de contrôle en France sur les nominations ?

Raphaël Maurel : Cette question est assez délicate et dépasse la question de la déontologie gouvernementale. Avant toute chose, il faut rappeler qu'il s'agit d'une affaire en cours et qu'on ne peut pour l'instant que faire des conjectures dans le respect de la présomption d'innocence. Des accusations ont été proférées et relayées par les médias, et des personnalités politiques ont utilisé les mêmes médias pour annoncer qu'elles "savaient", mais à ce stade le temps judiciaire, et donc le temps des réponses, n'a pas encore commencé. Il est ainsi impossible de commenter ce cas, mais on peut se poser une question un peu prospective : est-il possible de prévenir le cas-type du ministre accusé d'agression sexuelle ou d'autres infractions pénales par plusieurs personnes, pour des faits allégués commis avant sa nomination ?
En France, les nominations ministérielles relèvent de l'exécutif et pas du Parlement. Notre système constitutionnel limite fortement le rôle du Parlement sur ces nominations, qui sont par ailleurs purement politiques. Autrement dit, il n'existe aucune obligation de nommer un ministre populaire, ni même compétent, ni de procéder à une audition publique des personnalités susceptibles d'être nommées à un tel poste. Cela ne signifie pas forcément qu'il y a un manque de contrôle en France sur les nominations, car encore faudrait-il savoir sur quelle base contrôler et quoi contrôler...les évolutions les plus fulgurantes ces dernières années concernent le comportement des ministres en exercice, et non leur passé. L'accent a été mis sur l'exemplarité gouvernementale mais il est difficile d'exiger juridiquement de tenir compte, au stade de la nomination, de rumeurs alors non suivies conséquences judiciaires. Pour l'instant, tout le problème est qu'on ne sait à peu près rien : si le Président et le Premier ministre ont eu des éléments de preuve des agissements passés de M. Hulot - ce qui reste douteux, à ce stade - et qu'ils ont jugé ne pas avoir à en tenir compte, on pourra certainement y voir un grave problème, et même une infraction au code de procédure pénale puisque ces éléments auraient dû être transmis au Procureur de la République. Si, au contraire, ils n'ont eu vent que de rumeurs sans conséquences concrètes (plaintes, enquête,...), le problème devient beaucoup plus complexe.

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Les Lois relatives à la transparence de la vie publique et pour la confiance dans la vie politique sont-elles insuffisantes pour contrôler efficacement la déontologie et l’éthique des personnalités publiques ? Est-ce particulièrement vrai pour le gouvernement ?

Effectivement, il est important de rappeler qu'en matière de transparence de la vie publique, il y a eu des évolutions assez spectaculaires, en dix ans. Cela est dû à une double mouvement : la volonté d'assainir la vie politique d'une part, et la nécessité de réagir aux diverses "affaires" depuis une décennie. Le point de départ législatif a certainement été l'affaire Cahuzac, qui a amené à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et la création de la HATVP, qui est un outil remarquable dont les fonctions et les moyens pourraient d'ailleurs être étoffés. Il existe également des dispositions sur les conflits d'intérêts. À la suite de l'affaire Fillon, la loi du 15 septembre 2017 interdit à un membre du gouvernement d'employer un membre de sa famille au sein de son cabinet ; elle rend aussi plus transparents les déports des ministres en cas de conflits d'intérêts avec la création d'un registre.
Cependant, on le voit, l'accent est mis sur les conflits d'intérêts, les comportements financiers et le train de vie gouvernemental, et non sur la probité générale et la question des infractions pénales inconnues ou seulement suspectées hors du domaine financier. Pour cela, le droit commun s'applique, ou, dans le cas d'actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis, la procédure spécifique des articles 68-1 et suivants de la Constitution devant la Cour de la République (actuellement saisie de la gestion de la pandémie par plusieurs ministres).

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Au-delà de ces éléments, la déontologie gouvernementale a fait l'objet d'évolutions spécifiques depuis 2012, année de la création de la Charte de déontologie des membres du Gouvernement, transformée en 2017 en engagement sur l'honneur d'intégrité et de moralité. À chaque nouvelle "affaire" succède généralement une nouvelle circulaire du premier ministre sur la déontologie du gouvernementale ; par exemple celle du 23 juillet 2019 à la suite de "l'affaire Rugy", sur l'exemplarité des membres du Gouvernement.
La question de l'efficacité de ces dispositifs doit être appréhendée de manière globale. L'introduction des dispositions sur la publicité des déclarations de patrimoine et d'intérêts des membres du gouvernement a été suivie d'effets puisque plusieurs personnalités politiques ont fait l'objet de condamnations (Thomas Thévenoud et Yamina Benguigui) et d'autres de procédures (Jean-Paul Delevoye, Alain Griset). Il y a donc un véritable assainissement de la vie publique et des efforts significatifs de transparence gouvernementale, même si des zones d'ombre - notamment budgétaires - subsistent (voir en réponse à la question 4). Pour le reste, lorsque des infractions pénales sont révélées ou dénoncées, le temps n'est pas celui du politique mais celui du juge.

La France ne pratique pas les méthodes de « criblage » employées aux Etats-Unis dans les processus de confirmation des nominations aux postes à responsabilité. Est-ce une stratégie qui pourrait être payante ?

L'expérience américaine de la confirmation par le Sénat, prévue par l'article II section 2 de la Constitution américaine, pourrait en effet être un exemple. Il concerne d'ailleurs des centaines de personnes qui font l'objet d'enquêtes puis d'une audition publique avant leur nomination. Il arrive que les personnes concernées par des affaires pénales ou moralement répréhensibles se rétractent après l'enquête, mais avant leur audition publique. Il s'agit donc d'un filtre qui peut être efficace. Néanmoins, il est difficile sinon impossible de transposer cette pratique en France car la Constitution ne le permet pas. Le rôle du Parlement est très limité juridiquement : il peut encadrer le fonctionnement de l'Assemblée et du Sénat et censurer le gouvernement s'il le souhaite - le fait majoritaire rend cela extrêmement improbable -, mais ne peut pas faire grand-chose contre la nomination de tel ou tel ministre. C'est de la "cuisine exécutive interne" et ce n'est pas forcément une mauvaise chose. D'autre part, la procédure américaine n'évite pas tous les scandales ; le système n'est donc pas parfait.

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Quelles sont les mesures à prendre en priorité pour mieux contrôler la vie publique française ? Est-ce au parlement d’en être le garant ? 

Il faut commencer par prendre le sujet là où il est et dans sa double dimension : il y a un problème de confiance dans la vie politique et il faut la restaurer, tout en prenant les distances nécessaires face aux phénomènes des "tribunaux médiatiques". C'est le sens de l'action au sein de l'Observatoire de l'éthique publique, dans une démarche de transparence constructive. Ainsi, la solution passe d'abord et avant tout par une réaffirmation de l'exemplarité gouvernementale. Il faut développer une véritable culture de l'éthique publique, au sein du gouvernement mais plus largement dans la vie publique, au sein des partis politiques qui sont à la base de la vie publique.
L'une des mesures les plus efficaces et que l'on pourrait mettre en œuvre aisément et que nous proposons à l'Observatoire est la création d'un déontologue du Gouvernement, qui pourrait en particulier être saisi pour avis. Il faudrait l'accompagner d'une synthèse réglementaire des différentes circulaires primo-ministérielles, par un décret, et créer un code de déontologie gouvernementale. Ce dernier pourrait indiquer la "haute considération morale et l'absolue probité dont doivent jouir les membres du gouvernement", pour prendre une formule-type qui n'est pas qu'un écran de fumée lorsqu'il est politiquement décidé d'en faire une priorité. Ce seraient déjà des avancées supplémentaires appréciables ; le déontologue du gouvernement aurait pour mission de réaliser un rapport annuel - avec propositions  - sur la déontologie gouvernementale et il s'agirait là du début d'une nouvelle dynamique. On peut même imaginer à terme un mécanisme pour que des lanceurs d'alerte puissent saisir le déontologue. Petit à petit, les choses évolueraient, on avancerait et on éradiquerait ce type de situation - si tant l'affaire Hulot que le fait que le gouvernement "savait" étaient établis, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il s'agit là de jouer sur le volet politique et non juridique : avec de tels mécanismes et l'installation d'une meilleure culture de l'éthique publique, il deviendrait politiquement trop "coûteux" et dangereux de nommer au Gouvernement une personnalité dont on sait qu'elle est loin d'être exemplaire... et c'est bien là l'essentiel du problème : il faut "savoir" et non suspecter. C'est sans aucun doute là la plus grande difficulté de cette délicate affaire.

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