Nouvelle taxe sur les sodas : pourquoi la mesure devrait avoir un impact proche de zéro sur les comportements de consommation<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Les produits alimentaires soumis à une taxe comportementale ne doivent plus bénéficier de la TVA à taux réduit.
Les produits alimentaires soumis à une taxe comportementale ne doivent plus bénéficier de la TVA à taux réduit.
©Reuters

Pschitt

Selon un rapport adopté par la commission des affaires sociales, les produits alimentaires soumis à une taxe comportementale ne doivent plus bénéficier de la TVA à taux réduit.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »

Atlantico :  La commission des affaires sociales du Sénat a adopté un rapport selon lequel les produits alimentaires soumis à une taxe comportementale de doivent plus bénéficier de la TVA à taux réduit. Les promoteurs de ce rapport préconise, pour des raisons de santé publique, de faire passer la TVA sur les sodas de 5,5% à 20%, soit une augmentation d'environ 20 centimes d'euros par bouteille de 1,5 litre. Ce n'est pas la première fois que des produits sont spécifiquement visés : Nutella, bière, boissons énergisantes, etc. Mais ces mesures sont-elles réellement efficaces en matière de santé publique ?

Alexandre Delaigue : C'est oublier encore une fois le principe de base de la fiscalité : l'incidence fiscale, c'est à dire qui paie vraiment un impôt. La hausse de prix que cela entraînerait dépend de la façon dont la taxe est répercutée. Elle peut soit être intégralement répercutée sur le consommateur, soit répercutée sur la marge du distributeur, soit sur le producteur. Sur un marché très concurrentiel comme celui des boissons, sur lequel il y a de nombreux produits de substitution, il est très probable que la taxe sera supportée par les producteurs qui baisseront leur prix pour maintenir leurs volumes de vente. Résultat, aucun effet sur la consommation.

On néglige aussi le fait que les consommateurs adaptent leur comportement, que les producteurs adaptent leurs produits, etc. Les producteurs peuvent réduire la quantité de sucre juste assez pour passer sous le seuil de la taxe, et vendre dans des emballages plus grands : les clients boiront 50cl de boisson au lieu de 33.

Ajoutons enfin que ce genre de taxe sera immanquablement déterminé par des considérations autres que la simple santé publique. Pour préserver des emplois, ou pour satisfaire des fantaisies écologistes, on décidera que le sucre biologique est moins taxé que les autres, par exemple.

Enfin, peut se produire l'effet "giffen". Si les sodas voient leur prix augmenter, le pouvoir d'achat des ménages - en particulier les plus pauvres - diminue. Cette baisse de pouvoir d'achat se reportera sur d'autres produits, et peut conduire à acheter encore plus de produits bas de gamme, peu nutritifs et mauvais pour la santé, et moins de produits frais et de légumes.

Soyons juste : il faut bien que l'Etat finance ses dépenses et prélève des impôts. Et tant qu'à faire, autant taxer des choses qui ont des effets négatifs, comme la consommation excessive de sodas sucrés, plutôt que des choses qui ont des effets positifs, comme le travail. Et il y a bien trop de produits qui font l'objet de la TVA à taux réduit : il y aurait là de quoi simplifier et améliorer la fiscalité. Mais faire croire que c'est pour la santé publique, c'est de la poudre aux yeux.

A quelles conditions ces taxes peuvent-elles être efficaces ? Comment les adapter pour remplir l'objectif de santé publique officiellement poursuivi ?

Les taxes réduisent la consommation lorsqu'il n'y a pas de produit de substitution proche; lorsque la demande des consommateurs est sensible au prix; et si les entreprises ont suffisamment de pouvoir de marché pour imposer la hausse aux consommateurs. Cela fonctionne un peu pour le tabac, et encore ; pour les produits alimentaires, c'est ridicule de l'imaginer.

Si l'on voulait réellement faire une taxe qui aurait des effets positifs sur la santé publique, apporterait des recettes et améliorerait la situation des gens, il y a un candidat immédiat : c'est adopter un péage urbain à Paris, sur le modèle de Londres ou de Singapour. En somme, faire payer 8 euros par jour par voiture circulant dans Paris intramuros. Ce serait bien plus efficace pour réduire les émissions de gaz polluants en ville que les actuels délires de réaménagements routiers (comme la fermeture des voies sur berge ou les limites de vitesse), et cela supprimerait les embouteillages, qui sont devenus une vraie plaie à Paris.

Mais étrangement, les élus sont bien peu interessés par ce genre d'idée, malgré leur efficacité constatée partout dans le monde. Ils préfèrent des dispositifs publicitaires et moralisants.

Ne serait-il pas pu efficace, dans une volonté de santé publique, de mettre l'accent sur l'information et la prévention ?

Sans doute, mais c'est impossible en pratique. Jamais, nulle part, on n'a vu de campagne de prévention en matière alimentaire donnant un message simple : mangez moins et équilibré. Au lieu de cela, on adopte l'absurde campagne "mangezbougez" qui donne l'impression, quand le message apparaît dans les publicités, que le ministère de la santé recommande les produits! on dit qu'il faut manger plus de fruits, plus de ceci, plus de cela... C'est logique : une campagne recommandant d'abandonner certains produits rencontre instantanément l'opposition des lobbies de producteurs. Et les parlementaires leur sont totalement soumis. Les publicités génériques, comme les campagne pour le lait ou les pommes, bénéficient de nombreux avantages. Mais on peut très bien se rendre malade en se gavant de produits laitiers ! A la moindre alerte sanitaire, les politiques n'ont qu'un message : continuez de manger comme avant, surtout, pour "préserver la filière". Il n'y a pas grand chose à attendre d'eux.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !