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Nouvelle pique lancée depuis le Bundestag, Emmanuel Macron rêve-t-il d’être le président d’un autre peuple que les Français ?
©Reuters

Orientalisme

Devant le Bundestag, Emmanuel Macron a défendu la vision allemande de l'Union européenne avec beaucoup de conviction. Mais pourrait-il défendre la vision française de l'Europe ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Lors de son discours devant le Bundestag, Emmanuel Macron a déclaré : « En France, la souveraineté résonne, en Allemagne, je sais qu'elle peut étonner ou effrayer. En Allemagne, l'Unité européenne est cardinale, l'Europe à 28, demain à 27 rassure. La France vit, en revanche, dans la nostalgie d'un club des 6 en oubliant qu'il l'effrayait déjà quand il s'est mis en place dans les années 60. Ici, les règles créent la confiance et l'adhésion. De notre côté du Rhin, elles ont souvent engendré la méfiance et trop souvent l'art du contournement" ». Comment évaluer une telle déclaration, entre le courage que pourrait y voir Emmanuel Macron, et une forme d'aveuglement du président pour ce que veulent les Français ?

Christophe Boutin : C’était dimanche. Dans le temple du Buntestag, le frère prêcheur du renforcement de l’Union européenne, le R.P. Macron, officiait, de ce ton patelin qui est devenu le sien et laisse ses auditeurs partagés entre le haut le coeur que suscite la fausseté de chaque mot et l’assoupissement devant le profond ennui en même temps distillé. C’était dimanche, mais tandis qu’en France les « Gilets jaunes » se levaient contre ses gaffes répétées, loin de battre sa coulpe, le Président n’hésitait pas à fustiger, devant leurs anciens ennemis, les citoyens de cette République française qu’il incarne sur la scène internationale. On commence à y être habitué : au Danemark Jupiter s’était plaint des « Gaulois réfractaires » ; à l’ONU il déclarait : « Je viens d’un pays qui a fait beaucoup d’erreurs, beaucoup de mauvaises choses » ; et à Berlin don voici la France en retard d’une Europe, et, pire encore, les Français trop peu respectueux des règles.

Et, certes, nos voisins d’outre Rhin respectent les règles, nul ne le nierait, même si le Prussien considère le Bavarois comme un méridional indiscipliné. Ils les ont d’ailleurs toujours respectées ces règles, et pas moins entre 1933 et 1944 qu’avant ou après. On peut s’en féliciter, mais encore faut-il comprendre que ce respect de la norme, qui est aussi respect de la hiérarchie, est lié à un esprit national, et que cette légèreté dont abusent parfois les Français n’est peut-être pas la caractéristique première de ce monde des « professor-doktor » qui semble parfois prendre un malin plaisir à ressembler aux caricatures que l’on en fait

Voilà pour les respectueux. Mais quels sont ensuite ces Français frondeurs qui se méfient des règles et les contournent ? Les caïds des zones de non-droit et leurs affidés ? Les humanitaires qui donnent des véritables cours de contournement des normes aux nouveaux arrivants, pour mieux tromper les administrations ? Non. Le baudet sur lequel il faut crier haro, « ce pelé, ce galeux » d’où vient tout le mal, c’est le Français qui ne comprend pas assez vite qu’une norme n’est plus en fait, devant l’épuisement de nos démocraties, que la volonté des puissants du moment, et ne lui laisse d’autre choix que de se soumettre sans discuter. TINA, « There Is No Alternative » est l’incantation que psalmodient les médias passés au service des « sachants », en fait pseudo-savants, bêtes à concours incapables de dépasser ces notes de lecture mal assimilées qui sont l’unique fond de leur discours.

Emmanuel Macron souhaite que les Français respectent les normes ? On peut lui proposer pour cela deux solutions somme toute assez simples. D’abord, moins réglementer, éviter les petites normes tatillonnes inutilement vexatoires qui n’ont d’autre but, on le comprend bien, que d’habituer à obéir toujours et en tout. Ensuite, qu’il veille à ce que les politiques écoutent un peu plus les Français avant de réglementer, voire – on ose à peine le lui suggérer – qu’il donne à ces derniers la possibilité de faire eux-mêmes ces textes par référendum… Il serait surpris alors de l’adhésion aux normes qu’il rencontrerait !

Quant à l’Europe, pour comprendre pourquoi elle serait « cardinale » chez nos voisins et effrayante pour nous, il suffirait de voir ce qu’en retirent actuellement les deux pays sur les plans économique et politique pour avoir des éclaircissements…

Comment comprendre les origines de cette « incompréhension » entre Emmanuel Macron et « la France » décrite ici par Emmanuel Macron ?

Christophe Boutin : Sur le rapport des Français non à « la » norme, mais en fait, nous l’avons dit, à « sa » norme, Emmanuel Macron reste, dans sa déception même, qu’il ne parvient pas à cacher, cet adolescent doué qui voudrait avant tout être aimé. Au-delà du regret intellectuel qu’il a de ne pas parvenir à les convaincre de ses visions du futur, il a surtout  le sentiment que les Français ne l’aiment pas assez pour lui faire confiance en tout, et il leur en veut. Il est vrai qu’à l’enthousiasme du début a succédé une chute dans les sondages qui ne peut être que douloureusement ressentie. Certes, elle n’aura été épargnée à aucun de ses prédécesseurs, mais Emmanuel Macron pensait sincèrement sans doute réconcilier les Français avec leurs dirigeants. Ne lui reste alors pour ne pas s’avouer son échec, comme à nombre de politiques et, en tout cas, comme à tout utopiste, qu’à critiquer ces faiblesses des autres – y compris des disciples - qui expliqueraient tout : Etienne Cabet n’agissait pas autrement en examinant les malheureux qu’il avait entraînés dans son aventure icarienne.

Sur le rapport des Français à l’Union européenne et à l’Allemagne, les choses sont tout aussi ambiguës. Emmanuel Macron ne peut ignorer la place prédominante qu’a prise l’Allemagne, économiquement bien sûr, mais aussi au-delà, politiquement. Il ne peut ignorer aussi qu’elle fait tourner les « coopérations » de ce « couple franco-allemand » qu’il défend dans ses discours à son seul avantage, arrachant ici de nouvelles attributions dans un projet commun, pénalisant là ce qui ne sert pas ses intérêts. C’est peut-être pour cela qu’il essaye de la ligoter dans une « souveraineté européenne » qui inclurait une Europe de la défense où il veut croire que les armées françaises ou l’arme nucléaire rééquilibreraient les choses. Mais les Français, s’ils veulent bien envisager des partenariats européens de défense, ne se retrouvent ni dans la disparition nécessaire de leur propre souveraineté, ni dans les inquiétudes macroniennes face aux menaces, tellement caricaturales qu’elles rappellent le ridicule clip des « eurolapins » actuellement diffusé par la l’UE.

Alors qu'Emmanuel Macron a, à plusieurs reprises, pu faire entendre sa proximité idéologique avec Jürgen Habermas et son patriotisme constitutionnel, faut-il voir dans ses propos une forme de validation de cette approche ?

Christophe Boutin : Bien sûr. Le patriotisme constitutionnel d’Habermas se situe dans une perspective post-nationale, exactement comme Emmanuel Macron, qui ne cesse de dénigrer les nationalismes fauteurs de guerre. L’adhésion à un projet – celui de l’État de droit – dépasserait dans ce cadre l’adhésion à une identité, et le lien entre citoyens naîtrait en fait d’un même partage de pratiques politiques – nécessairement démocratiques – et non d’une culture commune.

Ce que démontrent pourtant dans la pratique l’idéologie muliculturaliste et le « vivre ensemble » imposé – et imposé justement par les normes, par la Constitution, par les libertés garanties par les textes de l’État de droit, le tout relu, traduit, interprété par des juges devenus les tout-puissants gardiens du temple – c’est l’impossibilité de créer ainsi du lien. Non seulement de nouvelles solidarités n’apparaissent pas, mais c’est tout le lien social préexistant, toute une solidarité – avec sa conséquence qu’est le consentement à l’impôt – qui disparaissent peu à peu. Le seul jeu est dès lors de faire pression, par l’usage abusif des libertés octroyées, pour obtenir, comme individu, des droits à tout et à n’importe quoi, menaçant si besoin est l’équilibre de la société qui avait permis à ces mêmes libertés de naître. Une sorte de « prise au tas » où le plus rapide à se présenter comme victime gagne le gros lot.

La révolte identitaire en cours, qu’Emmanuel Macron baptise successivement dans ses discours « conservatisme », nationalisme » ou « populisme », vient de cette permanente pression juridique exercée sur des groupes pour qu’ils renoncent à perdurer dans leur être. Mais les peuples n’entendent pas être tués à coups de normes abstraites, et il n’est pas impossible, et notre Président devrait y attentif, que les Allemands, qui n’ont peut-être guère bougé jusqu’ici que parce que le nouveau système ne menaçait pas leur primauté, notamment économique, ne deviennent devant les récentes évolutions, comme ces satanés Français, de moins en moins obéissants.

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