Nouvelle donne énergétique : et si les pays du Nord étaient les rois du pétrole (et du gaz) de demain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La mise en valeur du pétrole issu des roches de schiste connaît une rapide progression.
La mise en valeur du pétrole issu des roches de schiste connaît une rapide progression.
©Reuters

Retournement

L'annonce de réserves américaines de gaz de schiste trois fois supérieures aux prévisions précédentes pourrait bien changer la situation géopolitique et l'équilibre commercial du monde. Reste à savoir ce qu'il en est des réserves des autres grandes puissances mondiales.

De nouvelles informations publiées ce mardi par l'administration Obama révèlent que les réserves américaines de gaz de schiste seraient visiblement trois fois plus importantes que prévu. Une nouvelle donne qui amène à reconsidérer le surprenant potentiel énergétique du gaz de schiste à travers le monde. Cette révolution énergétique ne va t-elle pas amener en parallèle une véritable révolution géopolitique ?

François Lafargue : Il faut rester très prudent devant ce type d’annonce. D’abord, l’histoire contemporaine nous incite à la prudence, je rappelle que voici vingt ans, l’Asie centrale et la Mer Caspienne étaient qualifiées, comme étant un « nouveau moyen orient ». En fait, leurs réserves prouvées actuelles de pétrole représentent à peine 3 % des réserves mondiales…Les industriels de l’énergie présentent très souvent aux pouvoirs publics des études très flatteuses, attendons de voir avant de se prononcer quant à l’étendue réelle de ce potentiel. Maintenant il est incontestable, comme le souligne le dernier rapport de la CIA consacré au monde en 2030, qu’une révolution énergétique se dessine peut être devant nous.

Stéphan Silvestre : Les réserves d’hydrocarbures non-conventionnels, dont le gaz de schiste, sont encore en cours d’évaluation et nul doute qu’elles continueront d’être réévaluées de nombreuses fois. Le gaz de schiste présente trois intérêts majeurs : une baisse du prix du gaz naturel (et de l’électricité qui est fabriquée avec), un support à l’activité industrielle des pays qui l’exploitent et surtout un moyen d’augmenter leur indépendance énergétique. C’est ce dernier atout qui constitue le principal attrait de cette ressource, comme on l’a vu pour les États-Unis, la Pologne et bientôt la Chine. La nouvelle donne géopolitique qui en découle résulte aussi d’un second facteur : le marché du gaz naturel, jusqu’alors très régionalisé, est en train de se mondialiser grâce aux techniques de liquéfaction du gaz qui permettent son transport sur de longues distances. La contrainte des gazoducs, qui lient fortement les clients à leurs fournisseurs, est en train de se relaxer et des pays comme l’Australie, l’Argentine, voire l’Afrique du Sud vont ainsi faire leur entrée sur le marché, au détriment des anciennes puissances dominantes, le Golfe persique et la Russie.

Beaucoup évoquent le fait que les USA ne seront plus contraints de pratiquer une politique extérieure aussi importante grâce à ce nouvel apport énergétique. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?

François Lafargue : Depuis juillet 2011, les États-Unis sont devenus exportateurs de produits pétroliers, une situation qui ne s’était pas constatée depuis 1949 et qui annonce de profonds changements. La mise en valeur du pétrole issu des roches de schiste connaît une rapide progression, particulièrement au Texas, dans l’Oklahoma et dans le Dakota du Nord, grâce à l’amélioration des techniques d’extraction. Cette nouvelle production explique la diminution d’un tiers des importations nettes de pétrole (c’est-à-dire le volume des importations moins celui des exportations) entre janvier 2008 et janvier 2013. Si cette évolution se confirme, l’Amérique pourrait être en mesure de réduire drastiquement sa dépendance à l’égard de l’étranger au cours de la prochaine décennie, et de ce fait assurer son indépendance énergétique. Les données publiées par l’Agence pour l’information sur l’énergie (EIA) sont plutôt encourageantes, la production américaine pourrait dépasser celles de l’Arabie saoudite et de la Russie dès la fin de cette décennie. Les États-Unis devraient néanmoins continuer de porter à la région du Moyen-Orient un intérêt soutenu, puisqu’elle assure 1/5e des importations en pétrole de l’Union européenne. Par leur présence militaire dans le golfe arabo-persique, les États-Unis garantissent la liberté de circulation maritime et de facto contrôlent l’approvisionnement pétrolier des pays asiatiques et plus particulièrement de la Chine.

Stéphan Silvestre : La politique internationale des États-Unis n’est pas dictée par leurs seuls besoins énergétiques. Bien sûr, la diminution de leur dépendance au pétrole arabe, qui ne représente plus que moins de 15% des importations et 8% de la consommation américaines, est de nature à remettre en question le poids qu’ils accordent à leur présence diplomatique et militaire dans le Moyen-Orient. C’est ce qui explique le récent allègement de la flotte américaine dans le Golfe persique. Quant au gaz naturel, seuls 14% de la consommation étaient importés en 2011, essentiellement du Canada. Toutefois, l’éventuelle indépendance énergétique totale des USA dépendra aussi de leur capacité à diminuer leur consommation. Mais même si elle intervenait, elle ne provoquerait pas un retour à l’isolationnisme. Les intérêts commerciaux américains dans le monde ne se cantonnent pas à l’énergie, sans parler des considérations sécuritaires qui sont toujours d’actualité.

Qu'en est-il au niveau européen, notamment en Russie ?

François Lafargue : La Russie fournit aujourd’hui de l’ordre du tiers du gaz et du pétrole importé par l’Union européenne. Rappelons également que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Russie (et lui achète près de 60 % de ses exportations de gaz). La Russie redoute non seulement l’arrivée sur le marché européen du GNL en provenance des États-Unis, mais également le développement des gisements de gaz de schiste en Algérie et en Pologne dont les réserves sont jugées prometteuses. Les exportations américaines de gaz naturel liquéfie (GNL) ne pourraient que contrarier la Russie, dont les prix du gaz restent particulièrement élevés, à cause des droits de transit à verser au Belarus et à l’Ukraine et de son indexation sur le cours du pétrole. La Chine qui faisait figure de client potentiel pour Gazprom, préfère s’approvisionner en Asie centrale, particulièrement au Turkménistan et met en valeur ses propres réserves de gaz de schiste. Vladimir Poutine a été lucide en affirmant en avril 2012, devant la Douma que le gaz de schiste constituait un « grave défi » pour le pays. La baisse des cours des hydrocarbures risque de ruiner les efforts de reconstruction de la Russie, entrepris depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000. Ces évolutions pourraient amener la Russie à envisager une coopération énergétique plus étroite avec le Japon et la Corée du Sud.

Stephan Silvestre : Actuellement, les approvisionnements de gaz naturel ne sont toujours pas mutualisés au niveau européen. Des discussions sont en cours, mais les freins nationaux l’emportent encore. La Russie représente encore 34% des importations communautaires, mais ce chiffre frisait les 50% au début des années 2000. Cependant, il existe de fortes disparités nationales : les pays de l’est de l’Europe sont encore dépendants à 80% ou plus du gaz russe, tandis que les pays du nord-ouest s’approvisionnent en grande partie en Norvège et aux Pays-Bas et que ceux du sud-ouest privilégient l’Afrique du Nord. Dans tous les cas, les taux de dépendance au gaz sont proches de 100%, sauf pour les pays producteurs (Royaume-Uni, Pays-Bas et Danemark). Le gaz de schiste, très présent en Europe (Pologne, France, Royaume-Uni, Allemagne, Hongrie, Bulgarie…), constitue donc une excellente opportunité d’émancipation vis-à-vis des pays fournisseurs, particulièrement de la Russie. Même si leur exploitation ne permettra pas à tous les pays de l’UE une indépendance totale, elle les dotera d’un pouvoir de négociation appréciable pour modérer les prix abusifs des fournisseurs.

Autre intérêt : la baisse des émissions de CO2 que l’UE s’est infligée. Le gaz de schiste, venant en substitution au charbon pour la production d’électricité, permettra de réduire les émissions communautaires. C’est d’ailleurs d’ores et déjà le cas, puisque la Commission européenne vient d’annoncer que les émissions avaient fortement chuté en 2009, en grande partie à cause du ralentissement économique, mais aussi grâce à l’utilisation du gaz naturel.

La Chine, qui mise pour l'instant principalement sur le charbon, peut-elle aussi se convertir à cette révolution ? Comment et dans combien de temps ?

François Lafargue : La Chine s’est engagée dans la mise en valeur de ses réserves de gaz de schiste (estimées autour de 25 000 milliards de m3, soit un niveau comparable à celles des États-Unis). L’absence de débats publics sur le sujet facilite cette démarche, même si de nombreux doutes subsistent sur la capacité technique des entreprises chinoises à mener à bien de tels projets industriels. L’obstacle principal que rencontre la Chine dans l’exploitation du gaz de schiste est la faiblesse des ressources en eaux disponibles. Les principaux gisements potentiels comme le bassin du Tarim ou l’Ordos sont situés dans des régions déjà confrontées à de fréquentes sécheresses.

Stéphan Silvestre : La Chine est très préoccupée par son indépendance énergétique. À ce titre, elle est très intéressée par l’exploitation de ses ressources en gaz de schiste, dont les réserves sont potentiellement les deuxièmes mondiales. Malheureusement pour elle, plusieurs obstacles majeurs, mais pas incontournables, se dressent. Tout d’abord, l’éloignement. Les réserves sont situées essentiellement dans le nord et dans l’extrême ouest du pays, à des milliers de kilomètres des zones de consommation, et d’immenses réseaux de gazoducs vont être nécessaires, ce qui va représenter d’énormes investissements. Ensuite, elles se situent en grandes profondeurs, ce qui signifie des techniques de forages complexes que les Chinois ne maîtrisent pas encore, sans parler des problèmes d’acheminement d’eau. Tout cela conduit à des coûts unitaires élevés, qui rendent cette source d’énergie encore peu compétitive face au charbon. Mais, d’ici deux ou trois décennies, les Chinois finiront par exploiter ces ressources.

De manière plus générale, qui sont aujourd'hui les mieux placés pour mener la danse dans ce nouveau contexte ?

Stéphan Silvestre : L’enjeu du gaz de schiste est avant tout technologique. Les mieux placés sont ceux qui maîtrisent les techniques complexes de forage et de fissuration des roches, c’est-à-dire les firmes américaines. Mais ce ne sont pas les seules. De nombreuses sociétés occidentales ont développé des savoir-faire très spécifiques (équipements de prospection et de forage, gels de substitution à l’eau, équipement de retraitement des eaux, etc.) indispensables à l’exploitation du gaz de schiste. Certaines sont même françaises, comme Veolia Eau. D’un point de vue géopolitique, les Américains aimeraient pénétrer le marché européen au détriment de la Russie. Mais celle-ci n’est pas disposée à se laisser faire et use de toutes les cordes pour conserver sa position sur ce marché juteux. Enfin, les Australiens devraient aussi tirer les marrons du feu, grâce au savoir-faire qu’ils ont développé en matière de liquéfaction et transport de gaz et à la forte demande japonaise.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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