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Au niveau mondial, il y a trois types de marchés du gaz qui fonctionnent selon des règles différentes : le marché américain, européen et asiatique.
Au niveau mondial, il y a trois types de marchés du gaz qui fonctionnent selon des règles différentes : le marché américain, européen et asiatique.
©Reuters

Bonnes feuilles

Thomas Porcher propose une étude inédite sur les conséquences d'une ouverture législative de l'exploitation du gaz de schiste en France, en s'appuyant sur l'expérience américaine. Extrait de "Le mirage du gaz de schiste" (1/2).

Thomas Porcher

Thomas Porcher

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à PSB (Paris School of Buisness) et chargé de cours à l'université Paris-Descartes.

Son dernier livre est Introduction inquiète à la Macron-économie (Les Petits matins, octobre 2016) co-écrit avec Frédéric Farah. 

Il est également l'auteur de TAFTA : l'accord du plus fort (Max Milo Editions, octobre 2014) ; Le mirage du gaz de schiste (Max Milo Editions, mai 2013).

Il a coordonné l’ouvrage collectif Regards sur un XXI siècle en mouvement (Ellipses, aout 2012) préfacé par Jacques Attali.

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Beaucoup d’industriels et de cabinets de conseil le promettent, si on exploite les gaz de schiste, la facture de gaz des ménages français baissera. En se basant sur le cas des Etats-Unis et sur les prévisions du cabinet de conseil américain IHS , qui montrent comment l’exploitation du gaz non-conventionnel pourrait faire économiser 926 dollars par an à chaque foyer américain, certains avancent l’argument de la baisse de la facture énergétique pour les ménages français. Un argument majeur pour rouvrir le débat sur l’exploitation des gaz de schiste surtout lorsqu’un sondage CSA pour le compte du médiateur national de l’énergie nous révèle que 80% des français se disent préoccupés par les factures d’énergie.

Mais encore une fois, les défenseurs des gaz de schiste font volontairement trop de simplifications en appliquant stricto sensu l’expérience américaine à la France sans tenir compte des disparités entre pays tant au niveau du fonctionnement des marchés du gaz que sur les différences juridiques et institutionnelles propres à chaque pays.

Au niveau mondial, il y a trois types de marchés du gaz qui fonctionnent selon des règles différentes : le marché américain, européen et asiatique. Nous nous concentrerons sur les différences entre le marché du gaz américain et européen qui sont essentielles pour comprendre pourquoi la facture des français ne pourra pas baisser. Le marché américain du gaz est un marché spot (c’est-à-dire au comptant) dont le prix dépend des évolutions de l’offre et de la demande sur le court terme. C'est un marché flexible où le prix peut être affecté par des fluctuations rapides et parfois importantes. Grâce à « l’incroyable » croissance des forages de gaz de schiste aux Etats-Unis, l’offre de gaz a fortement augmenté sur le marché, à un moment où la demande baissait avec la crise ; il en a résulté une baisse immédiate des prix spot du gaz, jusqu’au niveau de 3 dollars par million de BTU contre 8 dollars en 2010.

D’ailleurs, lorsque l’on compare les courbes d’évolution des prix du gaz en Europe et aux Etats-Unis, on remarque qu’elles étaient quasiment identiques jusqu’en 2010. Ensuite, le prix du gaz baisse pour les Etats-Unis (grâce à la production des gaz de schiste) et augmente légèrement pour l’Europe avec un écart de prix autour de 7 $. C’est d’ailleurs l’argument favori de la plupart des économistes pro-gaz de schiste. Les mêmes qui ont l’habitude de scruter les indices synthétiques des marchés financiers sans connaître véritablement les valeurs des entreprises cotées, scrutent aujourd’hui les courbes des prix du gaz américain sans se demander si ce prix est valable au regard de l’évolution des coûts réels supportés par les entreprises exploitantes. Car si le prix de marché n’est pas tenable cela signifie qu’il y a une bulle, c’est à dire une déconnexion des prix avec la réalité, suivie inévitablement d’un réajustement brutal - l’explosion de la bulle - dont tout le monde connaît les conséquences désastreuses sur l’économie.

D’ailleurs, il y a déjà un débat sur le maintien d’un prix durablement bas du gaz aux Etats-Unis. Ben Dell du Bernstein Research à New York estime que pour couvrir le coût total de la recherche, du développement et de l’exploitation de puits de gaz de schiste, il faut un prix du gaz entre 7,50 et 8 $ par million de BTU , c'est-à-dire un prix presque équivalent au prix européen ! A ce propos, plusieurs Directeurs de compagnie gazière comme Aubrey McClendon de Chesapeake Energy Corp jugent le prix actuel insoutenable , évoquant déjà une bulle sur les prix. Car même si la croissance des forages de schiste est impressionnante aux Etats-Unis - voire inconsciente -, elle ne peut pas durablement maintenir le prix plus bas que le coût d'extraction, faute de quoi l’exploitation de gaz de schiste, n’étant plus rentable, sera abandonnée, ce qui finira par compresser l'offre et faire augmenter le prix à nouveau (c’est l’explosion de la bulle). Il est à parier que c’est le scénario des prix du gaz américain et qu’ils finiront pas retrouver le chemin des prix européens.

[1] IHS Global Insight (2011), “The Economic and Employment Contributions of Natural Gas in the United States,” December.

[2] British Thermal Units (BTU) est l’unité de mesure de la valeur du gaz déterminé par son potentiel énergétique mesuré en BTU.

[3] Voir l’article de J. Dizard (2010), « The true cost of shale gas production », Financial Times, 7 Mars.

[4] Voir l’article de R. Bell et O. Rusetsky (2012), « Gaz de schiste : faut-il remercie Hollande ? », La tribune, 23 octobre.

Extrait de "Le mirage du gaz de schiste", Thomas Porcher, (Editions Max Milo). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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