Non, l’échec de l’insertion et de l’intégration ne s’est pas joué à l’école <!-- --> | Atlantico.fr
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Des lycées consultent leurs résultats à l'examen du baccalauréat.
Des lycées consultent leurs résultats à l'examen du baccalauréat.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Bonnes feuilles

Malika Sorel-Sutter publie « Les dindons de la farce » aux éditions Albin Michel. Comme beaucoup de Français, Malika Sorel-Sutter est choquée par ce qu'il faut bien appeler la désagrégation des valeurs qui ont fait la France. Le déni du réel des uns a fini par doper le sectarisme des autres. Dans ce contexte, les Français éprouvent le pénible sentiment d'être les dindons de la farce. Et ils en ont assez. Extrait 2/2.

Malika Sorel-Sutter

Malika Sorel-Sutter est Ancien membre du Haut Conseil à l’intégration. Auteur de Décomposition française (Fayard, 2015) qui a reçu le prix « Honneur et Patrie » de la Société des Membres de la Légion d’Honneur

 

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Dans l'édition 2018 de l'évaluation PISA, la France se « distingue » comme l'un des trois pays où les plus grandes préoccupations des élèves sont liées aux problèmes de discipline en classe. L'indiscipline y bat des records, et la relation entre élèves et professeurs y est dégradée. Plus de deux élèves sur cinq déclarent que le temps d'apprentissage se trouve réduit du fait du bruit. Dans les classements internationaux, voilà déjà quinze ans que la proportion d'élèves qui tirent le classement de la France vers le bas est de plus en plus forte et que, dans le même temps, les meilleurs élèves sont de moins en moins bons pour ce qui concerne les mathématiques. Dans l'édition 2019 de TIMSS (Trends In International Mathematics and Science Study), la France est tout simplement classée dernière des pays de l'Union européenne. Et lorsqu'on intègre les pays tiers, elle se retrouve derrière l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan ! Bien sûr, d'autres raisons existent, qui expliquent ces piteux résultats, mais rien ne peut pallier l'absence d'un climat propice aux apprentissages.

Comme je l'avais exprimé lors de mon audition par la mission parlementaire sur le code de la nationalité, « l'échec de l'insertion et de l'intégration est imputable à des raisons exogènes à l'école. Et c'est justement parce que nous ne l'avons pas perçu que nous sommes dans certaines difficultés ». En France, plutôt que de réfléchir avec sérieux, les dirigeants politiques, de droite comme de gauche, ont persisté et persistent encore à vouloir « déghettoïser », selon leur terminologie. « Le but avoué est d'accroître la mixité sociale, dans le but non avoué de “déghettoïser” les quartiers sensibles… donc de répandre les braises à travers le territoire. Étrange que cette nouvelle méthode d'extinction des feux. Gageons qu'elle amplifiera à terme les problèmes sur le territoire national, puisqu'elle n'a été préalablement accompagnée d'aucun traitement de la source des difficultés. » Nous y sommes et chaque citoyen peut désormais observer les résultats de ces politiques superficielles.

En Algérie, aussi bien au collège qu'au lycée, nous étions près de quarante par classe. L'écrasante majorité des élèves était issue de familles plutôt modestes entassées dans des logements exigus. Les parents, pour la plupart, n'avaient pas suivi de longues études. Les établissements scolaires étaient dotés du strict minimum. L'hiver, il nous arrivait même d'avoir froid en classe. Si l'on suit le raisonnement matérialiste qui prévaut dans les sociétés occidentales, raisonnement sorti des brillants cerveaux formés dans les non moins brillants cursus de l'enseignement supérieur, la plupart d'entre nous étions donc voués à demeurer incultes et flirter avec la délinquance. Pour l'éviter et tenter de nous placer sur le chemin de la réussite, il eût donc fallu tous nous séparer et nous disperser, comme on le fait en France selon la recette bien rodée d'éclatement de la carte scolaire…

Or nous n'avons jamais été outrageants, et encore moins violents. Inimaginable ! Dès que l'enseignant ouvrait la bouche, sa parole était recueillie dans un silence quasi religieux. Chahuter en classe en sa présence ne nous aurait pas effleuré l'esprit ; arriver en classe sans avoir travaillé ses devoirs était impensable.

Des années plus tard, j'ai retrouvé ici en France, et plus précisément en région parisienne, un couple d'enseignants de mon collège en Algérie. Ils étaient alors à quelques petites années de la retraite. Ils auraient souhaité de tout cœur terminer leur carrière en Algérie, mais l'Algérie avait décidé de stopper la coopération technique des enseignants français. Peu de temps après avoir regagné la France, ils décidèrent de cesser l'enseignement : « Ici, ce sont des sauvages. Enseigner n'est pas possible », me dirent-ils, regrettant avec beaucoup de nostalgie la qualité de l'ambiance dans laquelle ils s'étaient toute leur vie appliqués à transmettre les savoirs à leurs élèves en Algérie. Ethniquement, ils avaient, pour beaucoup des élèves de leurs nouvelles classes de banlieue parisienne, affaire au même public mais les comportements n'avaient aucun point commun. Là-bas, c'était le respect de l'enseignant et des savoirs qui prévalait, aussi bien chez les élèves que chez leurs parents. En France, là où ils avaient été affectés, rien à voir. C'est dire à quel point la société d'accueil et avec elle le monde politique ont joué un rôle dans la dégradation des conditions de l'éducation en France. Ils ne peuvent être exemptés de toute responsabilité.

Cette prise de conscience collective est la première étape de l'indispensable restauration de l'école. Malheureusement, nous n'en prenons pas le chemin puisque la plupart des élites politiques, de droite comme de gauche, persistent à désigner la faiblesse de la « mixité sociale » ou du niveau socio-économique comme cause des maux de l'immigration-intégration. De même, ils persistent à s'égarer, et à égarer la France, en entonnant en chœur le refrain de la déghettoïsation : « C'est d'ailleurs un ancien ministre social-démocrate, Henrik Sass Larsen, né dans l'un de ces quartiers, Høje-Taastrup, dans la banlieue de Copenhague, qui a posé avec force le diagnostic, l'absence de mixité sociale, et énoncé le remède en affirmant : “Soit nous parviendrons à mélanger la population, soit nous raserons !” » Au mieux, un faux diagnostic joue le rôle de placebo. Au pire, il aggrave l'état du malade et c'est malheureusement ce qui est arrivé à la France et à tant d'autres pays d'accueil !

Les dirigeants politiques et la haute administration évoquent également la maîtrise de la langue française qui constituerait, selon eux, un remède aux maux qui hantent notre société et ce, alors même que l'immigration est en grande partie issue de l'ancien Empire colonial français, donc de la sphère de la francophonie, et que les descendants des immigrés qui naissent et grandissent sur le sol français y sont scolarisés jusqu'à l'âge de seize ans, et pratiquent donc la langue française ! Pourquoi se gêner puisque tant de citoyens semblent prêts à croire à toutes ces balivernes quotidiennement déversées sur eux ?

Est-il nécessaire de rappeler ici que la majeure partie des populations de l'immigration sont issues des classes défavorisées de pays où le niveau de vie moyen demeure très bas et que c'est leur arrivée en France, ou ailleurs en Occident, qui leur permet un bond socio-économique que la plupart n'auraient jamais pu atteindre en restant dans leur pays d'origine ?

Ni la maîtrise de la langue française ni le niveau social ne constituent la moindre solution politique pour empêcher qu'une part des jeunes issus de l'immigration ne placent les lois religieuses avant les lois de la République. Cela ne suffit pas non plus à lutter contre la radicalisation : « Le défi de l'intégration est d'ordre culturel et non économique. D'après les chiffres de l'Uclat (Unité de coordination de la lutte anti-terroriste), 67 % des jeunes candidats au djihad sont issus des classes moyennes, 17 % sont même issus de catégories socioprofessionnelles supérieures. Comment continuer à penser que c'est une question de moyens et qu'il faut donner davantage ! Ce discours est un piège pour les enfants de l'immigration. Il nourrit leur ressentiment contre la société d'accueil. »

©Albin Michel 2022

A lire aussi : Intégration : qu’est-ce qu’être Français ?

Extrait du livre de Malika Sorel-Sutter, « Les dindons de la farce », publié aux éditions Albin Michel

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