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Non, l’accord du 12 juillet avec la Grèce n’est pas un diktat même s’il ne résout rien
©Reuters

Désolé chère Marianne

L’accord du 12 juillet entre la Grèce et ses créanciers n’est pas un "diktat", comme le titrait Marianne, mais bien une triple erreur. Erreur de penser que l’on peut réformer un pays contre sa propre volonté, exprimée clairement par le peuple dans un référendum, erreur de penser qu’une dette de 170% peut être résorbée par le miracle de la discipline budgétaire, erreur de penser qu’un pays ne peut rester pleinement européen en sortant de l’eurozone.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Les Européens ont assisté, durant tout le week-end dernier, à une négociation d’une rare intensité et d’une rare violence. Pour la première fois dans l’histoire de l’union monétaire, les ministres des Finances de la zone euro ont proposé ouvertement aux chefs d’Etat et de gouvernement la sortie d’un Etat membre comme une option possible. Cette explicitation du caractère réversible de l’appartenance à l’euro est potentiellement très grave, car elle met fin à la prétendue irréversibilité de l’union monétaire. Comme l’ont souligné plusieurs commentateurs, elle transforme l’euro en un régime de taux de change fixe potentiellement révisable, ce qui affecte la nature même du projet de l’euro.

Cela dit, l’accord final scellé lundi matin préserve l’appartenance de la Grèce à la zone euro, confirmant l’attachement politique des Etats membres à l’intégrité de la zone euro. La « provocation » du ministre Schaüble pourrait donc être oubliée. La dette grecque ne sera pas partiellement annulée, mais elle pourra être rééchelonnée au fil de la mise en œuvre du nouveau programme de réformes économiques qui va être négocié avec les Grecs. La logique des anciens programmes reste inchangée : de nouvelles mesures d’austérité drastiques permettront de dégager des excédents primaires suffisants pour rétablir la solvabilité du pays. La relance d’un programme de privatisation de 50 milliards d’euro permettra d’accélérer le désendettement et de garantir les nouveaux prêts consentis par les créanciers (probablement de l’ordre de 82 à 86 milliards d’euros pour la période 2015-2018).

D’un certain point de vue, les nouvelles conditions mises par les créanciers à la poursuite de leur assistance financière à la Grèce peuvent paraître légitimes. Si l’on considère que l’échec des précédents programmes repose exclusivement sur la Grèce qui n’a pas su mettre en œuvre les réformes structurelles suffisantes pour relancer l’économie, il est logique de la part des créanciers de demander des garanties fortes supplémentaires et de réaffirmer l’impossibilité de toute réduction de la dette. Cette lecture de la crise, portée par le Parlement allemand, fait le pari que la reprise de l’économie grecque sera forte et suffira à repayer la dette entièrement dès lors que les réformes nécessaires seront enfin appliquées, en matière de fiscalité, de marché du travail, de dérégulation des marchés, de privatisation, de lutte contre la corruption, de dépolitisation de l’administration… Pour réussir, l’accord de lundi va jusqu’à prévoir une mise sous tutelle complète des autorités du pays : retour des équipes d’experts de la « Troika » à Athènes, droit de veto des « institutions » sur toute nouvelle loi, abandon des lois adoptées depuis janvier par le gouvernement Syriza sans l’accord des créanciers, « aide technique » de la Commission européenne signifiant de facto l’implication des autorités européennes dans la gestion des affaires publiques grecques… Si la modernisation de la Grèce est la seule condition vraiment nécessaire à son maintien dans l’euro et au remboursement des prêts des créanciers, alors pourquoi ne pas forcer la cadence, au prix d’une suspension temporaire de la souveraineté du peuple grec ?

Malheureusement, cette lecture n’est pas la bonne et ne peut réussir.

Il n’a suffi que de quelques heures pour qu’une analyse bien différente émerge des résultats prévisibles de l’accord du 12 juillet et rejoigne les analyses que nous avions nous mêmes formulés dès le mois de mars [1]. Elles restent parfaitement valables aujourd’hui.

1/ L’austérité à perpétuité rend impossible toute vraie reprise de la croissance et tout désendettement. La nouvelle cure d’austérité acceptée par A. Tsipras condamne la Grèce à retomber rapidement en récession, alors que la reprise timide de la fin 2014 s’est inversée avec l’enlisement des négociations depuis février. A court terme, l’ajustement budgétaire à mettre en œuvre d’ici la fin de l’année devra porter sur au moins 3% du PIB pour espérer atteindre l’objectif d’excédent primaire de 1% fixé par les institutions. A long-terme, l’objectif d’un excédent primaire durablement maintenu à 3,5% du PIB à partir de 2018 condamne la Grèce à maintenir durablement une austérité budgétaire qui rendra impossible toute reprise vraiment forte de la croissance. Le plan d’investissement de 35 milliards d’euros proposé par J.C. Juncker mettra du temps à se concrétiser et les réformes structurelles promises, on le sait, n’ont d’effets significatifs sur la croissance que dans le long-terme. Sans forte reprise, la dette grecque restera non viable et la question de sa restructuration se reposera forcément.

2/ La mise sous tutelle complète de la Grèce par des autorités européennes contrôlée par l’Allemagne n’est une méthode ni légitime ni efficace pour forcer le train de la modernisation. Qu’au XXIe siècle, en Europe, la prise de contrôle par des instances techniciennes étrangères d’un pays entier soit considéré comme un instrument légitime laisse pantois. Au 19e, la France et la Grande-Bretagne avaient utilisé de telles méthodes en désignant des Commissions de contrôle en Grèce (déjà) ou en Egypte chargée de prendre le contrôle des budgets publics afin d’assurer le remboursement prioritaires des créanciers. Elles n’hésitaient pas non plus à prendre directement le contrôle d’actifs publics (par exemple : le transfert à la Grande Bretagne des actions de l’Etat égyptien dans le canal de Suez à la fin du XIXe siècle au titre du remboursement des créances anglaises), mais on parle de l’époque coloniale, et la tutelle ne portait pas sur l’ensemble des administrations… Nos ancêtres avaient au moins l’humilité d’admettre qu’on ne modernise pas toute une société à marche forcée…

3/ La dette grecque ne sera jamais remboursée. Le FMI a clairement exposé les éléments du problème dans son rapport du 2 juillet (publiée à la demande des Etats-Unis). Compte tenu du potentiel de croissance grec à long-terme, le retour de la Grèce sur les marchés n’est pas réalisable sans une restructuration de la dette publique impliquant, au moins, une annulation des prêts bilatéraux consentis par les Européens en 2010 (53 milliards d’euros). A défaut, la Grèce ne retournera pas sur les marchés et les Européens devront refinancer à perpétuité une bonne part de leurs créances. Est-ce là l’Europe que nous souhaitons ? Comment concevoir la mise sous tutelle d’un Etat membre à perpétuité ?

L’accord du 12 juillet est donc un mauvais accord, conclu pour de mauvaises raisons. A. Tsipras a refusé de considérer les propositions alternatives de son ex-ministre des finances Y. Varoufakis (défaut, nationalisation de la Banque de Grèce, monnaie parallèle) destinées à rééquilibrer la négociation. Il a eu peur d’un « saut dans le vide » que son équipe n’avait, visiblement, jamais sérieusement préparé. L’Allemagne et ses alliés du « nord » souhaitaient fondamentalement la sortie de la Grèce de la zone euro et ont donc proposé, comme seule alternative, une « paix carthaginoise » qu’aucun gouvernement libre de ses mouvements n’aurait dû accepter. Sans « Plan B » crédible et prêt à l’usage, ces termes totalement déraisonnables ont été acceptés par les Grecs. Ils satisferont les parlements du « nord » et assurent, pour quelques mois, la poursuite de « l’aide » européenne. Néanmoins, ils sont porteurs de très grands dangers car ils renforceront les populistes du « sud », voire le parti nazi grec, dernier parti d’opposition…

L’accord du 12 juillet mène donc l’Europe et la Grèce au désastre. Il viole frontalement les principes de liberté, de responsabilité, de solidarité et de démocratie qui sont au fondement du modèle européen. La mise sous tutelle d’un Etat européen n’est pas acceptable. L’austérité aggravée ne peut être défendue d’aucune façon par un raisonnement économique. Cet accord n’apporte en rien une réponse soutenable et durable à la crise.

L’entrée de la Grèce dans la zone euro était une erreur. Les deux premiers programmes d’aide ont échoué. La sortie de crise impliquera nécessairement, pour les créanciers, de prendre leurs pertes, et pour la Grèce de reprendre en main son destin, en toute responsabilité.

Un tel scénario est difficilement concevable dans une Grèce qui resterait dans l’euro.

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