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Nice : ces déséquilibrés qui passent à travers les mailles du système psy français
©REUTERS/Eric Gaillard

Diagonale du fou

Le cas du tueur de Nice, dont on sait désormais quelques uns des troubles comportementaux, relevait du domaine de la psychiatrie. Comme beaucoup de Français (et d'autres) qu'il faudrait, dans l'idéal, pouvoir suivre... mais qui heureusement ne commettront (probablement) pas d'horreurs comparables.

Michel Bénézech

Michel Bénézech

Michel Bénézech est psychiatre, légiste et criminologue. Il est chargé du service médico-psychologique régional des prisons, à Bordeaux.

Il a co-écrit avec Christiane de Beaurepaire et Christian Kottler, en 2007, Les dangerosités : De la criminologie à la psychopathologie, entre justice et psychiatrie (John Libbey Eurotext).

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Atlantico : Le 14 juillet à Nice, Mohamed Bouhlel a fait plusieurs dizaines de morts en fonçant sur la foule avec son camion. Dans quelle mesure Mohamed Bouhlel relève-t-il du domaine de la psychiatrie ? Quel est l'état du suivi psychiatrique des personnes souffrant de troubles graves en France ? Ce drame signifie-il que des individus aux troubles psychiatriques potentiellement dangereux peuvent frapper des innocents n'importe où et n'importe quand ?

Michel Bénézech : D'après ce que l'on sait, Mohamed Bouhlel relève certainement du domaine de la psychiatrie mais pas uniquement. En effet, on ne peut pas réduire le fanatisme à un trouble psychiatrique. La majorité des terroristes n'ont pas de troubles mentaux notables et la population des terroristes dans son ensemble n'a pas plus de troubles mentaux que la population en général. Autrement dit, être terroriste, ce n'est pas forcément être fou. En revanche, en ce qui concerne Mohamed Bouhlel, il semble qu'il ait souffert d'un trouble sévère de la personnalité avec des traits de personnalité borderline, paranoïaque, narcissique. Il s'agit d'une personnalité complexe avec sans doute des éléments violents et dépressifs. On peut penser que sur cette fragilité psychiatrique, certains éléments déclencheurs (des ennuis, des conflits) aient pu favoriser une radicalisation rapide car passer du statut de pauvre bougre à celui de terroriste internationalement connu (même mort) est pour ce genre de personnalités quelque chose de fascinant. Cela peut expliquer ce meurtre de masse qui est aussi un meurtre suicide.

Des gens qui ont des troubles sévères de la personnalité, il y en a des millions. Mohamed Bouhlel a des antécédents de délinquance. Mais on ne peut pas considérer tous les délinquants comme des malades mentaux. Par ailleurs, la grande majorité des malades mentaux ne présentent pas de dangerosité particulière. S'il avait commis des actes très violents avant ce drame épouvantable de Nice, il aurait pu être expertisé sur le plan psychiatrique à la demande d'un juge d'instruction ou d'un officier de police judiciaire.Mais il n'a pas commis des actes très violents qui justifiaient une expertise psychiatrique. En effet, sa dernière condamnation était due à une altercation sans conséquences graves pour la victime. On ne peut pas soumettre toutes les personnes qui souffrent de troubles graves de la personnalité à des expertises pour savoir si elles sont dangereuses sur le plan criminologique.

Il y a relativement peu d'individus dangereux. Néanmoins, il est vrai que les personnes souffrant d'un trouble psychotique (les schizophrènes, les paranoïaques ou ceux qui souffrent de troubles bipolaires, certains états dépressifs) peuvent commettre des actes graves : 10% des homicides sont commis par des malades mentaux qui souffrent de troubles mentaux sévères. Il y a indiscutablement des relations entre la pathologie mentale grave et la violence, en particulier la violence criminelle.

Comment mieux détecter et traiter ce genre d'individus ? Une hospitalisation longue vous semble-t-elle appropriée ?

Pour ce genre d'individus, en dehors de complications psychiatriques sévères (dépression grave, dissociation mentale, délires de persécution, délire mystique, délire mégalomaniaque), les hospitalisations longues ne se justifient pas.

Le pourcentage d'individus ayant des personnalités pathologiques est non négligeable. Rien que la personnalité borderline, représente, suivant les études, les pays et les ethnies, entre 0,5 et 5% de la population. Ces personnalités-là courent les rues.

Il y a donc une part qui nous échappe mais les gens qui ont des troubles de la personnalité et commettent des atrocités restent des cas exceptionnels.

La solution n'est pas psychiatrique, c'est le renseignement. Le psychiatre ne peut intervenir que si les gens viennent le voir, soit volontairement en consultation privée, soit par obligation parce qu'ils sont mis sous un régime où ils perdent la liberté de sortir de l'hôpital sans autorisation des autorités (médicales ou préfectorales). Il ne peut pas y avoir de psychiatre derrière chaque personne en France. Il est donc normal qu'une part nous échappe. En revanche, pour les gens qui font l'objet d'un suivi psychiatrique, la qualité des évaluations pourrait être améliorée. Mais ce n'était pas le cas de Mohamed Bouhlel.  

Finalement ces actes isolés, œuvres de déséquilibrés, sont-ils, par leur nature même, incontrôlables ?

Oui, bien sûr. Encore une fois le problème est celui du renseignement au sens policier du terme plus que de la psychiatrie. Lorsque des gens, qu'ils soient déséquilibrés mentaux ou pas, expriment des idées terroristes qui paraissent sérieuses, préparent des attentats, se procurent des moyens de les effectuer (achat d'armes, préparation d'explosifs, location d'une voiture ou d'un camion dans un but de terrorisme), les renseignements peuvent aider les pouvoirs publics chargés de la sécurité à prendre des mesures. Mais encore faut-il que les autorités soient au courant de ces comportements : si le futur terroriste cache ses intentions à tout le monde, l'information ne peut évidemment pas arriver aux autorités et dans ce cas c'est difficilement parable. 

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