Natacha Polony : "Ceux qui nous accusent de pratiquer un journalisme idéologisé sont les premiers à faire de l’idéologie"<!-- --> | Atlantico.fr
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Natacha Polony a lancé le "Comité George Orwel".
Natacha Polony a lancé le "Comité George Orwel".
©REUTERS/Eric Gaillard

Comité Orwell

Le 29 mai dernier, Natacha Polony lançait un collectif de journalistes pour la défense de la souveraineté populaire et des idées alternatives dans les médias, le Comité Orwell. Faisant le constat d'une ostracisation de la pensée et d'une perte de confiance des Français à l'égard des journalistes, ce comité veut agir de l'intérieur.

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Atlantico : Vous avez lancé la semaine dernière, et avec un certain succès, le Comité George Orwell, collectif de journalistes visant à encourager le pluralisme dans les médias. Sur quel constat repose cette création ?

Natacha Polony : Nous sommes différents journalistes de multiples générations officiant dans des journaux variés. On trouve par exemple Jean-Michel Quatrepoint, Emmanuel Lévy de Marianne, Franck Dedieu… Des gens très différents. Nous nous sommes réunis autour de cette idée qu’il y a un problème dans notre profession. Ce problème est apparu de manière magistrale au moment du référendum constitutionnel il y a 10 ans. 90 voire 95% des éditorialistes, patrons de presse, des journaux faisaient ouvertement campagne pour le « oui », ne reflétant absolument pas l’opinion des Français. Et même pire que cela, ils faisaient campagne pour le « oui » - on a le droit d’avoir des convictions ce qui n’est pas un problème – mais ils faisaient campagne en ostracisant ceux qui pensaient différemment, en diabolisant ceux qui estimaient que ce traité constitutionnel ne reflétait pas leur conception de l’Europe, pour certains, enterrait le projet d’une Europe politique, fédérale, pour d’autres consacrait l’Europe ultra libérale… Ces gens-là n’avaient pas le droit de cité. On expliquait alors qu’ils étaient, au choix, xénophobe, frileux etc.
Depuis, cette espèce de réflexe d’une conception du débat public en terme de bien et de mal, quasiment en terme religieux, n’a pas disparu, voire s’est amplifiée.

A chaque enquête d’opinion, le métier de journaliste est l’une des professions les plus décrédibilisées. Il faut essayer de comprendre pourquoi.

Il y a une pratique journalistique en France relevant de la guerre de religion. Au lieu de mettre en scène le débat, au lieu de faire entendre toutes les idées, on a tendance à ne mettre en valeur qu’une opinion. Et surtout, on a l’impression que les journalistes pensent tous la même chose, avec un fonctionnement par réflexe qui est dangereux pour le rôle démocratique des médias.

Vous insistez sur les fondamentaux du journalisme et l’importance des faits. Les médias aujourd’hui auraient-ils oublié le journalisme au profit de l’éditorialisme ?

Soyons clairs, nous ne sommes pas contre l’éditorialisme. Nous sommes pour un mariage intelligent du journalisme d’information et celui d’opinion.
Aujourd’hui nous avons beaucoup, dans la presse française, des journalistes qui se réclament du journalisme d’information pure sans comprendre que chacun a sa subjectivité et donc qu’ils ne sont pas plus objectifs que ceux qui ne pensent pas comme eux. A côté de cela, nous avons des journalistes d’opinion qui ont totalement perdu pied avec les faits, la réalité de ce que vivent les Français. Il faut réconcilier les deux. Je crois  à la noblesse du journalisme d’opinion. Mais pour cela les journalistes doivent retourner voir le pays tel qu’il est. Les journalistes doivent admettre leur subjectivité afin de développer l’idée du pluralisme. Je rêve d’un pays où chacun pourrait trouver des journaux correspondant à sa vision, sa pensée, qui pourrait accepter d’être bousculé par une pensée différente.

« Acceptation du débat et du pluralisme » sont les maitres mots du Comité Orwell. Les membres de ce collectif penseront-ils vraiment contre eux-mêmes ou est-ce, comme certains de vos détracteurs le laissent entendre, du journalisme idéologisé et engagé ?

Ceux qui nous accusent de pratiquer un journalisme idéologisé sont les premiers à faire de l’idéologie ! Arrêtons ce petit jeu qui consiste à dire « moi je suis objectif, je suis neutre et l’autre est un sale idéologue. » L’idéologue est toujours l’autre, c’est une aberration ! Comment voulez-vous débattre dans de bonnes conditions ? On est dans le monothéisme. A partir du moment où l’on considère que l’on détient la vérité révélée, l’autre en face est un hérétique.
C’est la base de ce qu’on apprend en école de journalisme, les faits bruts n’existent pas. Le choix des mots lorsqu’on raconte un fait implique une vision du monde. Le rôle du journaliste est donc de préserver au maximum sa neutralité, tout en ayant l’humilité de penser que non, il ne détient pas la vérité pure. Un peu d’humilité que diable ! On est dans l’époque du « fact-checking », c’est-à-dire la vérification des faits etc. Cela me fait souvent penser à la phrase de Churchill : « Je ne crois qu’aux statistiques que j’ai moi même trafiquées. »
Les chiffres, les faits sont un des éléments du débat. La mémoire, l’histoire, la connaissance des mouvements d’idées font aussi parti du débat.
J’aimerais que la vie médiatique française soit la possibilité de débattre sereinement avec chacun ancré en lui l’idée qu’il ne détient pas la vérité.

Doit-on voir ce comité comme l’héritier de la Fondation du 2-mars, anciennement Fondation Marc Bloch, qui prônait des valeurs républicaines telles que la laïcité, la démocratie ou encore l’intervention sociale de l’Etat ?

Le lien que l’on peut trouver c’est que la Fondation Marc Bloch avait pour objectif de sortir du clivage gauche-droite qui était justement la traduction politique de ce monothéisme dont je parlais.
Dans cette Fondation, il y avait cette idée que ce n’est pas parce que l’autre est dans le camp d’en face qu’il pense mal. Bien entendu nous sommes les héritiers de cela. Et vous trouverez parmi les journalistes présents dans le Comité Orwell des gens qui ont cette volonté de penser les idées et la politique différemment.
Mais avant tout nous sommes une association de journalistes, le point de vue est un peu différent. Nous n’avons pas pour but d’être le bras armé d’une idéologie contre les autres !

Quelles actions va mener ce collectif, comment agir concrètement ? 

Nous allons commencer par essayer d’intervenir dans chaque débat d’idées où il nous semblera que l’on retombe dans ce travers de l’ostracisation. Nous allons faire entendre une autre manière de traiter les faits et l’actualité. Il s’agit ensuite de mettre en avant des penseurs qui d’après nous ne sont pas assez entendus sur certains sujets, sur certaines réflexions autour de lois par exemple, de causes sociales…  Nous souhaitons médiatiser des points de vus paraissant trop peu écoutés. Il faut introduire du pluralisme partout et à travers nos médias différents.
C’est un mouvement évolutif, nous espérons fédérer autour de nous pour redonner confiance aux gens dans la profession journalistique, il faut restaurer le lien entre les gens et la démocratie.

Retrouvez le Comité Orwell sur son site

Propos recueillis par Rachel Binhas

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