Montée de la Seine : comment la mairie de Paris se prépare à LA grande inondation<!-- --> | Atlantico.fr
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Une grande crue de la Seine se produit chaque siècle.
Une grande crue de la Seine se produit chaque siècle.
©Reuters

Beaucoup d'eau

Une grande crue de la Seine se produit chaque siècle. La dernière remonte à 1910 (8,62m). Comment la ville de Paris et la région Ile-de-France s'y préparent-elles ?

Magali  Reghezza

Magali Reghezza

Magali Reghezza, enseignante-chercheuse en géographie à l’École nationale supérieure, est spécialiste de l'aménagement des espaces urbains à risques. et a co-dirigé l'ouvrage Résiliences urbaines : les villes face aux catastrophes, aux éditions Le Manuscrit.

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Atlantico : Chaque crue de la Seine ressuscite le spectre de celle de 1910 (8,62m). Qu’en est-il de la nouvelle montée centennale prévue par les spécialistes ? Faut-il s’y attendre dans les années qui viennent (au moins pour cette décennie), et a-t-on une idée de son importance ?

Magali Reghezza : Pour la décennie à venir on sait seulement que l’on a une chance sur cent de voir une crue analogue à celle de 1910. Il peut en arriver deux ou trois consécutivement, et puis plus rien pendant 50 ou 100 ans. On est capable de calculer des temps de retour moyens, mais pas la date exacte. En moyenne, le niveau d’eau dépasse les sept mètres deux à trois fois par siècle (sachant qu’il est en temps normal à 2,50 m).

Si les eaux devaient atteindre le même niveau qu’en 1910, les autorités seraient-elles prêtes à faire face ? Quel dispositif a été mis en place ?

La Préfecture de police d’Île de France est responsable de la "zone de défense", qui comprend les huit départements de la région, et qui est placée directement sous l’autorité du gouvernement. La catastrophe concernant toute la région et ses millions d’habitants, on remonterait directement au niveau d’un plan ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile), porté par le Préfet de Paris.

La mission de l’Etat et de ses services est d’abord de protéger les populations et de permettre le retour à la normale le plus vite possible. Tous les acteurs franciliens (gestionnaires de réseau, acteurs économiques, etc.) sont sommés de mettre en place leurs propres plans de secours : RATP, ERDF, les Hôpitaux de Paris, les musées nationaux… La RATP, par exemple, est très en avance car elle se prépare depuis la fin des années 1990. D’autres, pour différentes raisons, sont très en retard. Globalement tout le monde se prépare depuis le début des années 2000.

Pourquoi ne pas s’y être pris plus tôt ?

Comme la Seine n’a plus connu de crue majeure entre 1955 et 1980, le risque a été oublié. La construction de barrages-réservoirs a laissé penser qu’on était à l’abri. Suite à la crue de 1980, les pouvoirs publics se sont rendu compte qu’il fallait se préparer. Une dizaine d’années a été nécessaire pour procéder au calcul des risques et des dommages. C’est aux environs de l’an 2000 que, sous l’impulsion de la secrétaire de la zone de défense Michèle Merli, la question a été prise à bras le corps. A l’époque, deux personnes étaient en charge du dossier. Maintenant elles sont environ 25 à la Préfecture à gérer tous les risques au sein de la zone de défense (terrorisme, neige, inondations…).

En 1910, les réseaux souterrains (métro, RER, canalisations, électricité) n’avaient pas les ramifications d’aujourd’hui : quelles démarches ont été effectuées pour les protéger ?

Pour protéger, on utilise des éléments amovibles (parpaings…). L’activité économique serait quasiment paralysée pendant le temps de la crue, en particulier hors de la zone inondée. La Défense, par exemple, ne pourrait plus fonctionner. Des plans de déplacement de l’activité ont donc été prévus, ce que gèrent très bien les entreprises privées.

Après la protection, il faut procéder à la remise en service des réseaux. La crue durera à peu près sept semaines, le temps que l’eau monte et descende. Les perturbations de la vie quotidienne seront donc majeures : coupures de courant, d’eau, problèmes de liquidités bancaires… Le coût pour la société sera colossal : le tourisme et l’hôtellerie ne pourront pas travailler, des contrats ne pourront être assurés… Même si l’infrastructure de production n’est pas touchée, beaucoup d’entreprises ne pourront plus assurer leurs services. La RATP devra fermer son réseau pour le protéger. Le coût est énorme pour cette entreprise, mais également pour toutes celles qui en dépendent.

D’autres grandes villes comme Tokyo ou la Nouvelle Orléans ont-elles pu servir d’exemples ?

Des fonctionnaires de la Préfecture de police sont partis à New York juste après l’ouragan Sandy pour effectuer un retour d’expérience. Ils se sont par exemple rendu compte que la RATP est beaucoup plus en avance que le métro new-yorkais ; en revanche on est en retard au niveau de la communication via SMS et Twitter. Ils se sont également intéressés à Prague dans les années 2000, et communiquent beaucoup avec les Pays-Bas et Londres.

Les banques communiquent également beaucoup avec leurs homologues japonais, car ces derniers sont obligés de mettre en place un certain nombre de procédures de sécurité en cas de séisme, qui peuvent être réutilisées en cas d’inondations en France.

Un système de bassins de récupération est-il une option envisageable ?

D’une crue, on ne voit que l’eau qui déborde. Le problème principal réside dans les sous-sols et les nappes phréatiques. Sous Paris, c’est une ville de sept étages qui est construite, et c’est justement cette dernière qui pose problème. On ne peut plus construire dans les sous-sols.

Il faut trouver des solutions pour compenser ce que la technique ne peut plus empêcher. Avec les barrages, on gagne 70 cm d’eau, ce qui implique une économie de 5 milliards d’euros de dommages. Mais c’est insuffisant. Il faut trouver des solutions sociales, organisationnelles, comportementales au niveau des populations et des entreprises pour essayer de faire face.

La capacité de Paris à faire face jouera son destin sur la scène internationale : si la ville résiste bien, le bénéfice à moyen et à long terme  est certain. Elle continuera d’attirer des investisseurs. Autrement ces derniers se réorienteront vers d’autres villes.

Sur ce même sujet, la Direction de la Propreté et de l'Eau de la ville de Paris a également accepté de nous répondre. Voici son message : 

"La crue historique de 1910 a statistiquement, chaque année, une chance sur cent de se reproduire. Autrement dit, par exemple, deux crues de ce type pourraient statistiquement se produire la même année et, ensuite, ne plus se reproduire pendant plusieurs siècles.

Au-delà, les recherches à l'horizon 2050 sur la traduction hydrologique à l'échelle du bassin de la Seine des prévisions sur le changement climatique ne tablent pas, actuellement, sur un changement d'ampleur de ces crues extrêmes. Des décalages saisonniers pourraient cependant s'avérer dans le temps.

Tous les acteurs du bassin se préparent pour prévenir une crue de type 1910, en général avec une marge supplémentaire d'au minimum 15%. Cela consiste à réduire la vulnérabilité des installations et des biens par des mesures limitant les impacts d'une inondation (adaptation des bâtiments, répartition des activités et des biens …). Au-delà, des mesures de protections sont mises en œuvre localement (dispositifs d'étanchéité fixes ou amovibles, rehausses de quais et de berges, fermeture de réseaux …) et à l'échelle du bassin de la Seine (champs d'expansion des crues, lacs-réservoirs …). Enfin, des procédures de gestion de crise sont prévues, avec la coordination de l'Etat. Les services municipaux de Paris mettent en œuvre de tels plans d'action.

Chaque événement Français ou mondial est l'occasion de retours d'expérience et de dynamisation des plans d'action. Le site web du CEPRI peut être utilement consulté."

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