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Mon fils, maintenu au sol et tabassé au collège par une bande de 10 ou 15 jeunes qui postent la vidéo sur les réseaux sociaux : la terrible indifférence des parents d'élèves face à ce nouveau phénomène, le "happy slapping"
©Reuters

Bonnes feuilles

Cette pratique cruelle de passage à tabac se nomme le "Happy slapping". Un jour de novembre, romain, 11 ans, au sein de son établissement scolaire, est maintenu au sol par une bande d'élèves et roué de coups de pied. La scène sera publiée sur les réseaux sociaux, plongeant l'enfant dans une dépression sévère et sa famille dans l'enfer. Extrait de "Mon fils, victime de happy slapping", de Angèle Martin, publié chez Eyrolles éditions (1/2).

Angèle Martin

Angèle Martin

Angèle Martin est la mère de Romain. 

Son témoignage relate son long combat pour identifier les auteurs de l'agression, interdire la diffusion de la vidéo et mettre des mots sur la violence du traumatisme.

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Début novembre, c’est la rentrée, tout le monde repart, en apparence le coeur léger : Thierry en déplacement et chacun de nous vers son école. Les activités reprennent, la vie s’écoule plutôt paisiblement. Un mercredi matin, 10 heures, le téléphone sonne : c’est Sylvie, une collègue d’histoire-géographie. Elle n’a pas l’habitude de m’appeler, mais elle est pleine de surprise, donc je ne m’étonne guère. Elle a l’air plutôt affolée et commence à évoquer une sombre histoire de vidéo. En plein milieu d’un cours d’éducation civique (ah, quel beau et noble nom…) sur le droit à l’image1, droit que chacun a sur la diffusion de son image, et sur les risques encourus pour ceux qui diffusent n’importe quoi sans l’autorisation des personnes prises en photo, par exemple sur les réseaux sociaux, des commentaires ont commencé à fuser de plusieurs élèves : « C’est comme la vidéo de Romain… » ; « Ouais, vous savez, Romain… » ; « Il se fait tabasser… » ; « Elle tourne en ce moment sur Facebook ». Sylvie me dit qu’elle a aussitôt posé des questions, qu’elle a essayé de savoir de quoi il retournait vraiment. Mais les élèves se sont fermés comme des huîtres, à une rapidité impressionnante : personne n’avait rien vu, personne n’avait rien dit. Ils s’étaient rendu compte qu’ils en avaient trop dit, mais il était trop tard. Elle n’avait pas pu en savoir plus, la sonnerie avait délivré tout le monde d’un climat tendu. Comme c’était la récréation, elle en profitait pour me téléphoner, savoir si je savais déjà et me mettre au courant le cas échéant.

Je tombe des nues, bien sûr. Pour moi, cette histoire de bagarre était réglée et enterrée. D’un seul coup, tout s’écroule. Qu’a subi exactement Romain ? De quel film s’agit-il ? Que voit-on ? Qui ? Pourquoi ?

Une nouvelle ère commence alors pour moi et commencera pour Romain dès son retour ce midi. Je téléphone aussitôt à Monsieur Leguell, le chef d’établissement. Je suis au bord des larmes, entre fureur et tristesse. Il est compréhensif, très gentil, disponible et m’assure qu’il va se renseigner. Quelques minutes plus tard, je reçois un appel de Monsieur Girard, le directeur des études qui s’était occupé de gérer le problème de la bagarre : suite du calvaire. Il est visiblement très vexé que j’aie pu téléphoner au chef d’établissement et non à lui. Son ton est agressif, il m’incendie au téléphone : « Vous mettez ma compétence en doute, de quel droit vous téléphonez à Monsieur Leguell, je devais être le premier informé, etc. ». Je dois être en train de rêver, ce n’est pas possible ! Le problème de fond ne paraît absolument pas l’interpeller, seul son statut personnel et la considération qui semble lui revenir lui importent. Il n’a pas l’air de comprendre la gravité des faits. Des coups, certes nous le savions déjà, mais, élément nouveau, l’usage illicite d’un téléphone dans un établissement scolaire pour filmer ce passage à tabac et la mise en ligne de la vidéo sur les réseaux sociaux. Je ne peux rien dire car il enchaîne les phrases à une vitesse impressionnante. Je prends ma seconde claque de la matinée et raccroche, cette fois, complètement effondrée.

Je ne le savais pas encore, mais c’était le début d’une longue descente aux enfers.

Romain rentre du collège deux heures plus tard. Je lui demande aussitôt s’il a entendu parler de cette vidéo dans la cour, ou par des copains. Rien. Il est atterré, ne comprend pas qui a pu filmer. Il ne reparle pas de la bagarre : une lourde tristesse s’abat visiblement sur lui. C’est un enfant comme les autres, il n’est pas parfait, mais il est plutôt gentil et rêveur. L’idée que l’on puisse le regarder se faire tabasser et en rire le dépasse complètement du haut de ses 11 ans ; je le comprends aisément. Je téléphone alors à Thierry pour lui raconter. Aussitôt, grâce à des collègues plus jeunes que lui, il se connecte sur Facebook, cherche sur les comptes d’élèves dont je lui donne les noms. Ils ne trouvent rien. J’ai de nombreuses amies dans le village qui ont des enfants dans ce collège, dont Marie qui a un fils en 4e et à laquelle je téléphone aussitôt : peut-être a-t-il vu la vidéo ou entendu des discussions à ce sujet ? Rien non plus. Elle me crée un compte Facebook. C’est une première dans la famille car nous sommes contre tous ces réseaux, persuadés qu’ils sont propices à beaucoup trop de débordements en tous genres. Aucun de nos enfants n’a de compte Facebook, pas même Marine, qui a 16 ans et ne s’en plaint pas. Elle a bien compris qu’il y a d’autres moyens de communication plus efficaces et authentiques. Nous surveillons de près l’accès aux jeux vidéo (les types de jeux utilisés, le temps passé à jouer…), ainsi que d’éventuelles connexions sur Internet. En d’autres circonstances, cela me ferait rire : nous, si attentifs aux écrans, victimes de Facebook !

Extrait de "Mon fils, victime de happy slapping", de Angèle Martin, publié chez Eyrolles éditions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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