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Mon fils, maintenu au sol et tabassé au collège par une bande de 10 ou 15 jeunes : comment j'ai découvert qu'une vidéo du délit tournait sur les réseaux sociaux
©Reuters

Bonnes feuilles

Cette pratique cruelle de passage à tabac se nomme le "happy slapping". Un jour de novembre, romain, 11 ans, au sein de son établissement scolaire, est maintenu au sol par une bande d'élèves et roué de coups de pied. La scène sera publiée sur les réseaux sociaux, plongeant l'enfant dans une dépression sévère et sa famille dans l'enfer. Extrait de "Mon fils, victime de happy slapping", de Angèle Martin, publié chez Eyrolles éditions (2/2).

Angèle Martin

Angèle Martin

Angèle Martin est la mère de Romain. 

Son témoignage relate son long combat pour identifier les auteurs de l'agression, interdire la diffusion de la vidéo et mettre des mots sur la violence du traumatisme.

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Un samedi, en fin d’après-midi, je ne sais pourquoi ce jour-là en particulier, deux semaines après le dépôt de plainte, Romain et moi sommes dans la cuisine, tartine pour l’un, bol de thé pour l’autre. C’est là qu’il se met à parler, comme il ne l’avait plus fait depuis longtemps. Pour la première fois, il décrit la bagarre avec quelques détails : « Ils étaient quinze, m’ont plaqué au sol, sur le ventre, m’ont tenu les bras et les jambes, je ne sais pas combien me tenaient, je n’ai pas pu voir, juste Florian Madec qui me tenait le bras droit et ensuite, cinq ou six coups de pied, les autres étaient autour et regardaient. Il y en a un qui a essayé de me défendre. Après ils sont partis, Kylian a quitté le banc et il est parti avec eux, en regardant son téléphone. » Ces quelques phrases représentaient pour lui un véritable discours. Aucune larme dans ses yeux, aucun cri, mais un soulagement évident se lisait sur son visage : le soulagement de s’être enfin exprimé. Je lui demande pourquoi il a attendu si longtemps pour nous donner ces informations : « C’est comme s’ils m’avaient fait boire un sirop et que la mémoire me revienne peu à peu ».

Le soir, je raconte à Thierry ce que Romain m’a dit, il est écoeuré. Comment imaginer son enfant violenté sans raison, juste « pour rire » ? « Boire un sirop » ? C’est une image, bien sûr, nous pensons que c’est sa façon à lui de nous dire qu’il aurait voulu oublier, mais sans y parvenir. Nous n’arrivons pas à imaginer ce qu’il a dû endurer,l’intensité de l’humiliation qu’il a dû subir pour parler comme cela, ce soir.

Atterrés, nous envoyons le lendemain un mail à l’ensemble des responsables de l’établissement (Monsieur Leguell, chef d’établissement, Monsieur Girard, directeur des études, Madame Morel, CPE, ainsi qu’au directeur adjoint) pour les informer de la violence de la bagarre, de ce que Romain venait de nous apprendre, attendant évidemment une réaction :

Madame, Messieurs,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier, pour vos interventions, la vitesse avec laquelle vous avez abordé le problème de la bagarre. Vous m’avez écoutée et soutenue depuis le début avec attention et disponibilité ce qui m’est très précieux. Romain nous a dit qu’il avait à nouveau rendez-vous jeudi avec Monsieur Girard pour en parler. Tous mes remerciements à vous.

De notre côté, nous avons de nouvelles informations (peut-être le saviezvous, pas nous) concernant la fameuse bagarre. Romain n’a rien dit pendant toutes ces semaines, nous comprenons maintenant que tout cela est trop dur pour lui. Nous sommes, mon mari et moi-même, atterrés de ce que nous venons d’apprendre.

Ils ne sont pas trois à l’avoir renversé, mais bien dix ou quinze, comme me l’avaient également dit des élèves qui ont vu la vidéo sur Facebook.

La violence a été « longue » : cinq minutes selon certains élèves, deux pour d’autres, longue pour Romain. Quel que soit le temps exact, ce n’est pas l’affaire de dix ou quinze secondes.

Une fois au sol, il a eu les pieds et les mains bloqués par deux ou trois élèves, et, dans cette position, a été roué de coups de pied. L’un de vous peut-il imaginer ce que cela représente comme humiliation pour lui ?? D’où son silence, d’où ses cauchemars toutes les nuits depuis plusieurs semaines.

Où sommes-nous ? Une histoire aussi violente dans la cour de Jules Verne ?

Qui surveillait la cour ce soir-là ? Qu’a vu ce surveillant ? Qu’a-t-il entendu ? Fait ?

Ce délit, car il s’agit bien là d ’un délit, nécessite un acte de réparation. Il est ESSENTIEL que réparation soit faite. Pour tout le monde. Aucune punition ne pourra remplacer cet acte éducatif indispensable. Cette démarche de réparation aidera les auteurs à réfléchir à leurs actes, et Romain à surmonter sa douleur.?

Cette vidéo de violence organisée a été diffusée sur un réseau social, ce qui est un facteur aggravant en prolongeant la violence par un voyeurisme inadmissible : la diffusion de ces images violentes DOIT interpeller les élèves, leurs parents, leurs enseignants et provoquer le débat.

Au-delà du fait que tout délit réclame réparation, je peux vous dire, très simplement, que Romain et nous avons besoin de cela. Lui car il va mal, je vous l’ai dit, les cauchemars en témoignent. De notre côté, si la mère et le père souffrent terriblement à l’idée de la reconstitution de la scène et devant la douleur de Romain, l’enseignante que je suis ne PEUT plus faire cours à ces élèves qui ont participé à cet acte violent. Vous l’avez sans doute remarqué, ces semaines ont été extrêmement éprouvantes pour moi. Il faut que des excuses soient faites, par tous les participants.

Nous sommes à disposition quand vous voulez, quand vous pourrez, quand ils pourront.

Je vous remercie beaucoup pour tout, de la gentillesse témoignée, même lorsque j’ai annoncé mon abandon pour l’Espagne. Le sourire que Romain m’a fait lorsque je le lui ai annoncé est sans équivoque et me conforte dans cette difficile décision.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce mail est resté sans réponse. Sans réaction aucune. Nous étions seuls, toujours seuls, isolés derrière le mur du silence.

Extrait de "Mon fils, victime de happy slapping", de Angèle Martin, publié chez Eyrolles éditions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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