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Manifestations contre la loi El Khomri : pourquoi les jeunes se laissent aller à être des cons (manipulés comme les autres)
©Reuters

Le bal des débutants

Ce mercredi 15 mars, les organisations étudiantes et jeunesse, menées en premier chef par l'Unef et le MJS (Mouvement des Jeunes socialistes), ont appelé à une nouvelle journée de mobilisation contre le projet de loi El-Khomri. Alors que les syndicats sont, eux, rentrés dans une logique de négociation comme à leur habitude, "les jeunes" campent sur leur position de rejet intégral, révélant leur incapacité à comprendre réellement ce qui est en jeu.

Olivier Galland

Olivier Galland

Olivier Galland est sociologue et directeur de recherche au CNRS. Il est spécialiste des questions sur la jeunesse.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Les syndicaux étudiants (Unef en tête) et le Mouvement des Jeunes socialistes (MJS) ont appelé à manifester ce mercredi contre le projet de loi El-khomri. Pourquoi des jeunes manifestent-ils (encore) alors qu'ils ne sont spécifiquement concernés par cette réforme ? Dans quelle mesure cela révèle-t-il leur incompréhension des enjeux du projet, alors que celui-ci est conçu, sur le papier du moins, de manière à rendre le marché du travail plus stable (généralisation du CDI, coup d'arrêt au recours systématique aux CDD renouvelés, etc.) ? 

Olivier GallandIl faut distinguer les "jeunes" et les syndicats ou organisations censés les représenter. Mais en ce qui concerne les jeunes qui manifestent, certains le font sans doute par conviction politique (le rejet de la politique supposée "libérale" du gouvernement), d'autres ont peut-être le sentiment d'avoir été trompés par les promesses du candidat Hollande à la Présidentielle de 2012; d'autres encore peuvent être inquiets de leur avenir. Sur ce dernier point, on ne peut pas leur donner entièrement tort car la situation des jeunes en France n'est pas particulièrement brillante et ne s'est pas améliorée ces dernières années.

Eric Verhaeghe : Il me semble que les raisons du mouvement sont doubles. D'une part, la jeunesse française vit encore une forme de romantisme bolchevique. Lutter contre la réforme du marché du travail participe d'une forme d'appartenance ou d'adhésion à un mythe quasi-éternel : celui de l'émancipation des classes laborieuses laminées par un capitalisme sans scrupule. Descendre dans la rue contre le projet El-Khomri, c'est lutter pour l'émancipation des classes populaires et préparer la grande internationale. Au-delà du mythe marxiste, la jeunesse fait probablement l'objet d'une opération de manipulation complexe à cerner mais assez évidente. Dans toutes les universités, l'UNEF a pu s'exprimer sans limite et appeler à la grève sur des motifs qui sont loin d'être éclaircis. La personnalité de William Martinet fait ici débat. Pourquoi fait-il preuve d'un tel acharnement à combattre un projet de loi qui concerne aussi peu les jeunes ? Cet engouement unilatéral est de plus en plus suspect. 

Les syndicats étudiants représentent quasi exclusivement des jeunes engagés dans des filières générales, et leur représentativité est par ailleurs très faible. Quelle légitimité ont-ils pour revendiquer le retrait du projet de loi El-Khomri au nom de la jeunesse dans son ensemble ? Qu'en est-il des autres jeunes que ces mouvements ne représentent pas ? 

Olivier GallandEffectivement, ces syndicats sont très peu représentatifs. Le taux de participation aux élections universitaires tourne autour de 8/9% et les étudiants ne doivent représenter qu'environ 40% des jeunes. Il y a donc toute une partie de la jeunesse, la moins diplômée et la plus défavorisée, qui n'est pas partie prenante de ce mouvement. 

Eric Verhaeghe : Rappelons ici que la représentativité de l'UNEF est extrêmement contestable, pour une première raison très simple: les élections dans les universités mobilisent moins de 10% du corps électoral, et même régulièrement moins de 5%. L'emprise de l'UNEF sur les étudiants a donc du mal à se traduire dans les chiffres. Il est vrai que le monde politique peine à revenir à ces réalités et marque surtout sa frayeur vis-à-vis des mouvements de foule qui pourraient paralyser la rue. C'est l'angoisse de François Hollande: pas de "mouvement social", c'est-à-dire de convergence entre les salariés qui protestent contre la loi El-Khomri, et les jeunes qui, à des degrés divers pourraient se sentir prêts à intervenir dans le conflit. Il faut circonvenir les étudiants. Quelle est l'ampleur du mouvement jeunes ? Personne ne la connaît clairement. On peut se féliciter du nombre grandissant de jeunes qui refusent le diktat d'un seul syndicat et appellent à la construction d'un rapport de force qui leur soit propre, indépendamment des partis politiques. Or on sait les liens de connivence entre le PS et l'UNEF, largement dirigée, vous avez raison, par des jeunes "aristocrates" nés avec une petite cuillère d'argent dans la bouche, et qui aspirent pour la plupart à faire une carrière politique au PS. 

Réforme du bac, CPE, CIP, projet Devaquet (1986), etc. On ne compte plus les projets de loi dont "les jeunes" (des générations successives) ont demandé le retrait, qu'ils ont finalement obtenu. D'où vient ce réflexe de rejet en bloc propre à la jeunesse ? En quoi cela traduit-il une certaine forme de "bêtise", que l'on pourrait mettre sur le compte de l'inexpérience politique, sachant que les syndicats de salariés, eux, misent davantage sur une logique de négociation et de compromis afin d'obtenir ce qu'ils peuvent ? 

Olivier Galland : Il y a plusieurs ingrédients. Tout d'abord des motivations souvent politiques des leaders étudiants. Ces leaders font presque toujours carrière dans la politique après avoir animé des mouvements de ce type. Et pour entamer une carrière au PS, il vaut mieux y entrer par la gauche du parti et par la réussite d'un mouvement protestataire. Ensuite, les jeunes lycéens et étudiants sont attachés - et c'est un trait culturel de notre pays - aux symboles de l'égalité, même lorsque ces symboles ne correspondent plus à une égalité réelle. On tient, par exemple, au baccalauréat parce qu'il manifeste cette égalité, même si l'on sait parfaitement que ce qui comptera dans la suite de la carrière scolaire, ce n'est pas le bac en tant que tel, mais le bulletin scolaire et le lycée où on a fait ses études, ingrédients parfaitement inégalitaires. Par ailleurs, s'opposer aux réformes, lorsqu'on se destine aux études supérieures, n'est finalement pas très coûteux car dans notre pays, en moyenne, les étudiants ne s'en sortent pas si mal (pour trouver un emploi). Ceux qui pâtissent vraiment de l'absence de réformes ne sont pas ceux qui protestent, ce sont les jeunes peu ou pas diplômés, qu'on n'entend pas et qui ne sont représentés par personne. 

Eric VerhaegheLà encore, il me semble qu'il y a deux visions du même fait. La première, qui est la vôtre, part d'un postulat d'honnêteté ou de bonne foi des jeunes, qui bloqueraient tout changement en France par "naïveté". Un postulat plus marxiste, ou plus orthodoxe, cherchera forcément des raisons objectives et nécessaires à ce blocage. Dans un système éducatif dominé par la reproduction sociale, l'élite étudiante qui organise le mouvement capte à son profit les idéaux de solidarité et les utilise comme des instruments pour tordre la réalité en sa faveur. Au nom du bien du peuple, je bloque toute évolution du système. Que celle-ci permette de réduire les inégalités et je la combats farouchement,  car l'évolution du système constitue une menace pour les avantages acquis par ma caste. La question qui se pose est de savoir aujourd'hui de quelle imposture l'égalité est le prête-nom. D'une certaine façon, la réaction à la réforme exprime bien, quoi qu'ils en disent, l'extrême conservatisme de jeunes qui trouvent un intérêt objectif au maintien de la réalité. 

Un certain nombre de cadres du PS (Manuel Valls, Jean-Christophe Cambadélis, Bruno Le Roux) se sont offusqués de la position du Mouvement des Jeunes socialistes (MJS) qui appelait à manifester contre le projet de loi El-Khomri avec l'Unef ce mercredi. Y aurait-il également un ressort générationnel dans ces manifestations ? Comment interpréter cette opposition entre les jeunes et les "vieux" du PS ? 

Olivier Galland : Je crois qu'au PS, il est de tradition que les jeunes soient plus à gauche que les "vieux". Beaucoup de cadres actuels (y compris le Premier secrétaire) ont commencé leur carrière dans le Parti sur sa gauche. Ils s'assagissent ensuite en vieillissant et en se "notabilisant". C'est assez classique. Evidemment, ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est que les jeunes ou proches du PS manifestent ....contre le PS. Mais il est vrai qu'il y a eu une mue idéologique, si ce n'est du Parti, du moins du gouvernement, sans que cette mue soit vraiment assumée. Il n'est pas très étonnant que certains, et surtout les jeunes, aient un sentiment de trahison.

Eric Verhaeghe Je l'interprète un peu différemment. Je pense qu'il existe une sorte de fuite en avant mal maîtrisée par William Martinet, qui mène une véritable opération en opportunité politique contre un projet de loi qui ne mérite pas tant de haine. On sent qu'une partie d'échec se joue entre la gauche réformiste et la bouillonnante UNEF qui ressemble à une pouponnière. Il me semble que Benoît Hamon en particulier est fréquemment "sur ces dossiers" et ne se montrent pas totalement tendre avec Emmanuel Macron ni Manuel Valls à qui il doit son éviction précoce du gouvernement. De mon point de vue, l'écart n'est pas idéologique mais personnel et de connivence. Le mouvement étudiant qui a commencé à prendre forme participe largement de cette logique très personnelle où les "foules" jeunes semblent manipulées pour appuyer un mouvement de blocage qui sert directement le clan qui la soutient. Quel est la part de l'intérêt général dans ce mouvement ? La question reste entière.

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