Plus dure sera la chute
Mamadou Gassama : ces petits risques auxquels s’exposent ceux qui se sont lancés dans la sur-récupération politique de son héroïsme
Reçu à l'Elysée, Mamoudou Gassama, le jeune Malien sans papier qui est venu en aide à un enfant suspendu dans le vide, va être naturalisé. Emmanuel Macron dit prendre une "décision exceptionnelle" pour cet "acte exceptionnel". Un affichage politique qui soulève certaines questions.
Francis Balle
Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.
Christian Bidégaray
Le geste héroïque de Mamoudou Gassama, a été très médiatisé et il a été reçu dès le lendemain matin par Emmanuel Macron à l'Elysée. Quels sont les risques de cet affichage et de cette récupération politique ?
Christian Bidégaray : Il est évident que le courage et les qualités de grimpeur de ce jeune homme qui de surcroît a sauvé un enfant, ne pouvaient qu’attirer l’admiration et la sympathie des Français et notamment de tous ceux qui ont des enfants, émus par ce sauvetage héroïque.
En régularisant la situation de ce migrant sans papier et en envisageant son intégration dans le corps des pompiers, l’exécutif montre sa générosité et récompense un exemple d’altruisme et d’humanité, Ce geste généreux de la part de « Jupiter » ne peut que toucher les citoyens émus par le sort tragique des migrants. Peut-être permettra-t-il « en même temps » de faire remonter une cote de popularité aujourd’hui en baisse.
Pour autant, il faut bien voir que cette mesure est exceptionnelle et traite d’un cas exceptionnel. Je pense que les pouvoirs publics vont vite insister sur cet aspect du dossier Gassama et montrer que cette générosité n’implique en rien un changement de la politique du gouvernement en matière de faits migratoires.
Francis Balle : Ne cédons pas trop vite à la tentation de voir partout de la récupération politique. Il y a néanmoins un faisceau d'indices qui donnent à penser que la réaction de la maire de Paris, saluant à juste titre l'acte héroïque du Malien, et estimant que le Ministre de l'Intérieur serait bien avisé de faire accélérer la procédure en faveur de ce réfugié, n'est pas dépourvue d'arrières pensées, sur fond de bataille pour la mairie de Paris, tandis que la gestion des migrants par la ville est contestée et que, de surcroît, les postures de la mairie sur le sujet des migrants sont elles aussi critiquées, de tous les côtés.
En tant que migrant non demandeur d'asile, Mamoudou Gassama sera exceptionnellement naturalisé pour son acte de bravoure. Ce n'est pas le cas des réfugiés économiques de pays comme le Mali. Quelle interprétation peut-on faire de cette "décision exceptionnelle" ? Le message peut-il être perçu comme ambigu vis à vis des demandeurs d'asile ?
Christian Bidégaray : La naturalisation exceptionnelle de Mamoudou Gassama ne saurait être transposée au cas des migrants économiques. D’autant que selon les estimations de l’ONU, 250 millions de personnes, seront, d’ici 2050, forcées de s’exiler à cause des bouleversements du climat. Si l’on ajoute à cela les difficultés considérables que soulève la question de la naturalisation (qu’il suffise d’invoquer ici le cas de Mayotte ou de la Guyane), il est clair qu’il faudra un jour ou l’autre que le gouvernement précise et durcisse sa position. Mais il est clair que la question ne peut être résolue au seul niveau français. Elle suppose une solution européenne. Or la question des flux migratoires sera l’un des enjeux déterminants en 2019 comme elle la déjà été en 2014 où avec 24 % des voix le Front National a été le premier des partis français !
La semaine dernière les Nations unies ont fait part de leurs préoccupations et de leurs critiques sur la façon dont la France enfreint le respect des droits de l'homme, notamment dans son traitement des migrants. Cette médiatisation a-t-elle pour but de redorer notre image ?
Francis Balle : Qui a noté les préoccupations et les critiques des Nations Unis, mis à part des personnes très averties ou bien ceux qui se retranchent derrière les NU pour mener une bataille politique ? Sur ce sujet, l'opinion est divisée, partagée, et je ne vois guère de raison pour que cette médiatisation redore l'image de la France auprès de ceux qui considèrent que, sur ce terrain, notre pays a cessé d'être une terre d'élection, un modèle pour les droits de l'homme !
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