Mais qui sauvera désormais les finances publiques françaises ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un Conseil des ministres.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un Conseil des ministres.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Homme providentiel ?

Même si la réforme des retraites entre finalement en vigueur, elle ne réglera rien à la question de nos déficits publics massifs. Mais qui aura le capital politique suffisant pour s’y attaquer après qu’Emmanuel Macron en aura flambé autant sur une réforme sans véritable intérêt budgétaire ?

William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Atlantico : Alors que les finances publiques sont en déficit majeur, la réforme des retraites ne résoudra définitivement pas le problème. Qui -et comment- saura(it) définir une nouvelle offre idéologique et avec quel packaging/quelle stratégie politique pour attirer une majorité alors que le pays est d'humeur quasi révolutionnaire et que les discours anti riches/ anti élites/ anti capitalistes flambent et qu’Emmanuel Macron ne cesse de jeter de l'huile sur le feu ?

William Thay : Il faut différencier notre perspective à court terme de l’évolution de la situation du pays à moyen/long terme. Actuellement, nous assistons à une forte poussée des partis dits extrêmes qui tiennent un discours éloigné de l’orthodoxie budgétaire et de la rigueur des comptes publics. Ainsi, nous voyons que la coalition de la NUPES menée principalement par la France Insoumise tient un discours anti-riche, qui oblige ses alliés à aller en ce sens. La patronne d’EELV Marine Tondelier souhaite une « France sans milliardaire », et le Parti socialiste a exprimé son opposition à la réforme des retraites alors qu’il avait initié l’allongement de la durée de cotisation avec la réforme Touraine. De plus, le Rassemblement national mené par Marine Le Pen tient un discours davantage keynésien qu’encourageant la politique de l’offre, en souhaitant notamment la retraite à 60 ans avec un taux de cotisation de 42 ans pour ceux qui ont travaillé à 17 ans. Enfin, il faut ajouter que le parti présidentiel qui devait incarner un discours réformiste, a utilisé presque tout son capital politique sur la réforme des retraites et ne pourra vraisemblablement pas faire davantage. Il reste la question de LR qui pourrait prétendre à le faire mais son image s’est entachée par les divisions sur le débat portant sur la réforme des retraites. Ainsi, des aventures personnelles comme celle d’Aurélien Pradié ont cassé l’image réformatrice des Républicains sur une réforme portée de longue date par ce mouvement à chaque campagne présidentielle et qui pouvait notamment se vanter d’avoir mené sans trop d’encombres le dernier relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans sous la présidence de Nicolas Sarkozy. 

Ainsi, les perspectives ne sont pas glorieuses à court terme, notamment avec la situation pré-insurrectionnelle que nous rencontrons actuellement. Pourtant, ce n’est pas forcément ce qui va passer lors du prochain rendez-vous électoral, sauf en cas de décision précipitée d’Emmanuel Macron (dissolution ou démission). En effet, le contexte économique et social mondial est marqué par une inflation forte, une éventuelle crise bancaire et une possible remontée des taux d’intérêt. La première problématique appelle notamment à effectuer une politique de l’offre, puisque ce n’est uniquement en produisant davantage et en mettant davantage de produit en circulation que l’on arrivera à limiter l’inflation. L’enseignement de l’expérience mitterrandienne montre que la logique keynésienne ne parvient pas à répondre durablement à l’inflation puisqu’elle encourage la demande, ce qui accroit la consommation donc accélère le déséquilibre entre la demande et l’offre ce qui conduit à l’inflation. De plus, si le pays continue sa désindustrialisation et ne produit pas assez, la politique de la demande aggrave notre déficit commercial pour enrichir les producteurs allemands et chinois. La seconde problématique est différente et nous verrons les enseignements qui ont été tirés de la crise financière de 2008, ainsi l’Union bancaire, le système Bale III, et les différents mécanismes devront montrer leur solidité dans les semaines à venir sur notamment les « banques systémiques » pour éviter une crise financière de grande ampleur au moment où les finances publiques des États ont été gravement touchés par la crise sanitaire et les effets des confinements. La troisième problématique vient en lien avec les deux précédentes puisqu’il apparait vraisemblable que nous assistions à la fin de la parenthèse survenue après la crise financière de 2008. Nous avions ainsi une rupture avec les cycles économiques précédents qui étaient marqué par une période de croissance associée à une baisse des taux, une crise économique ou l’explosion d’une bulle associée à une remontée des taux, puis une baisse des taux pour encourager la reprise économique, etc. Dans ces mêmes cycles, la baisse des taux encourageait la consommation et la reprise d’activité conduisant à une inflation, à laquelle la remontée des taux devait contenir ce qui ralentissait l’activité économique, auquel on répondait par une baisse des taux. Dans la période entre 2008 et 2020, nous avions une baisse prolongée des taux d’intérêts qui parfois étaient réellement en négatifs, pour certains États, sans pour autant conduire à une inflation forte entre 2010 et 2020. Cette parenthèse s’est refermée avec la crise sanitaire qui a conduit à un choc de production provoquant un déséquilibre entre l’offre et la demande, appelant à une réponse des banques centrales. Cette remontée des taux va avoir une conséquence sur nos finances publiques et nos marges de manœuvres. Ainsi, dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 : en fonction de la montée des taux, nous pouvons avoir un renchérissement du cout de la dette de 30 à 60 milliards d’euros par an (scénario central et scénario haut). Selon Bercy, des taux plus élevés de 1 point entraîneraient une hausse supplémentaire de 17 milliards de la charge d'intérêt (soit presque l’équivalent du budget du ministère de l’Écologie). 

Ces différents éléments pourraient nous ramener dans un scénario semblable à ce que nous avons connu pendant la crise financière de 2008 tournant définitivement l’ère de l’argent magique et du « quoiqu’il en coute ». Cela conduirait et provoquerait de nouveau un clivage entre les partisans d’une politique réformiste pour répondre aux maux de la France et ceux qui préfèrent « raser gratis ». Toutefois à la différence de la campagne présidentielle de 2012, cela n’opposerait pas la gauche contre la droite, mais les partis de Gouvernement contre les partis protestataires, avec vraisemblablement un qualifié de chacun de ces camps. Dans cette hypothèse, le parti présidentiel, une éventuelle offre politique sociale-démocrate et les Républicains devront se démarquer pour incarner cette offre politique. 

Comment Reagan et Thatcher ont-ils fait pour redresser les finances publiques ? Peut-on s’en inspirer ?

Margaret Thatcher et Ronald Reagan sont arrivés au pouvoir dans un contexte économique particulier marqué par une forte inflation, l’échec des recettes keynésiennes après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, le début de la mondialisation. Ils ont ainsi provoqué ce que l’on appelle la première révolution conservatrice en s’appuyant sur une politique de l’offre sous l’inspiration de Milton Friedmann. 

Ainsi Margaret Thatcher récupère un pays marqué par une forte inflation (environ 15% par an), qui a sollicité une aide du FMI et qui est l’homme malade de l’Europe. Elle met en place les recettes appelés « néo-libérales » reposant notamment sur : une réduction du poids de l’État (baisse des dépenses publiques et privatisation), libéralisation du marché du travail, spécialisation de l’économie britannique vers le secteur tertiaire et notamment bancaire donc transfert de la production vers les pays émergent, une politique monétaire pour réduire l’inflation via la remontée des taux et lutte contre le poids des syndicats. Cela a conduit ainsi à une période de croissance au Royaume-Uni engendrant davantage de recettes fiscales malgré la baisse des taux d’imposition vérifiant la Courbe de Laffer d’autant que dans le même temps, les dépenses de l’État ont diminué. Ces baisses reposent ainsi sur un poids de l’État moins important (la part de l’emploi public a évolué 10% à 5% dans le PIB). Ces augmentations de recettes et ces baisses de dépenses ont pu redresser la situation des finances publiques au Royaume-Uni sous l’ère de Margaret Thatcher. 

Du côté de Ronald Reagan, la situation est à la fois semblable même si elle possède des différences. La situation économique des États-Unis était moins catastrophique que celle du Royaume-Uni, même si le pays était marqué par les deux chocs pétroliers, la forte inflation et l’échec des recettes keynésiennes pour y faire face. L’ancien président des États-Unis a en conséquence lancé une politique appelée « Reaganomics » qui est le plus grand bouleversement de politique économique depuis le New Deal de Roosevelt. Celle-ci repose sur 4 piliers : la baisse des dépenses du Gouvernement fédéral, la réduction des impôts et des taxes portant sur le capital et le travail, la réduction des normes, et la réduction de l’inflation par une maitrise de la politique monétaire. Cela a conduit à une baisse de l’inflation de 10% en 1980 à 4% en 1988, une baisse du taux de chômage à 5% en 1988 (qui était monté à 12% en 1982), une croissance annuelle de 3,5%, mais une augmentation de la dette de 26% du PIB au début de sa présidence à 41%. Toutefois, ce dernier point doit être pris avec plus de nuance que pour nos cas en Europe pour deux raisons principales : les dépenses militaires américaines et la puissance du dollar. Une grande partie des dépenses budgétaires fédérales concernaient le budget militaire dans notamment un contexte de guerre froide où Ronald Reagan voulait notamment imposer une course militaire à l’URSS pour la mettre à mal sur le plan économique. Sur le dollar, l’impact de l’endettement des États-Unis est moins important pour les Américains que pour nous, car ils possèdent la monnaie internationale de référence qui permet notamment implicitement de pouvoir s’endetter assez facilement. 

En conséquence, nous avons plusieurs points de parallèle qui peuvent être intéressant, avec notamment la politique pour réduire l’inflation qui repose au moins sur deux piliers : une politique de l’offre pour soutenir la production (baisse des normes, des taxes, et libéralisation du marché du travail) ainsi qu’une politique monétaire restrictive pour réduire la masse monétaire. Cela nécessite toutefois sur le dernier point de réduire notre déficit public et notre endettement sous peine d’entrer dans une crise des dettes souveraines comme l’a connu la zone euro après la crise financière de 2008. 

Comment le général De Gaulle a-t-il réussi à imposer le plan Pinay Rueff ?

Lorsque le Général de Gaulle reprend le pouvoir en 1958, le pays est marqué par la crise avec l’Algérie, une crise institutionnelle avec l’instabilité de la IVème République, et un pays marqué par une forte inflation (aux alentours de 15%), une balance des paiements déséquilibrée, et un déficit budgétaire important non comblé depuis 1931. Pour répondre à cette situation et surtout réaliser son objectif de redresser la compétitivité française et se donner les armes de remettre la France dans le concert des nations afin de faire entrer le pays dans l’ère gaullienne, le Général de Gaulle commande un plan à Jacques Rueff. Ce dernier remet un plan qui possède trois objectifs : stabiliser le budget (politique budgétaire), consolider la monnaie (politique monétaire) et préparer l’ouverture commerciale de la France (politique économique et commerciale). Ce plan s’appuie sur 4 mesures phares : une dévaluation du Franc de 17,5% couplée à une limitation de 4% des hausses de salaire, l’introduction des nouveaux francs, la réduction de l’inflation par l’équilibrage des balances de paiements. 

Ce plan a pu être facilité par le contexte politique marqué par un Gouvernement d’Union nationale même si le plan devait cependant être accepté par les différents partis au pouvoir. Nous avions d’un côté un clivage au sein des gaulliste entre les partisans d’une politique plus sociale et d’autres plus libéraux. À cela, il faut ajouter les réticences d’Antoine Pinay, chef du CNIP, et du MRP (démocrates-chrétiens), ainsi que l’hostilité de la SFIO (ancêtre du Parti socialiste) qui ont à tour de rôle menacé de démissionner et de rompre le Gouvernement d’Union nationale. Il a fallu la menace de la démission du Général de Gaulle et le retour du spectre de la crise d’Algérie, ainsi que le plein pouvoir pour faire passer ce plan par ordonnances.

Faut-il regarder du côté des social-démocraties nordiques ?

Si les modèles sociaux-démocrates nordiques peuvent apporter des enseignements en termes d’efficacité de politiques publiques, ou d’idées à importer, je serai plus prudent sur leur faisabilité en France en matière économique et sociale. Tout d’abord, le projet de transformation porté par Emmanuel Macron qui reposait initialement dessus sous l’impulsion de Pisany-Ferry s’est heurté à la crise des Gilets jaunes en 2018. Finalement le contexte que l’on rencontre actuellement n’est-il pas que la poursuite des mouvements sociaux que nous avons connue en 2018, 2019 et début 2020 à la fois avec les Gilets jaunes que sur la première réforme des retraites ? Que nous n’avons connu qu’une parenthèse avec la crise sanitaire et les confinements ? Ensuite, certaines aspirations sont similaires en matière de justice sociale avec une part prépondérante des dépenses sociales et de poids de l’État dans l’économie mais nos modèles politiques restent différents. En effet, ils sont davantage portés sur la co-construction entre le patronat et les syndicats, ce qui n’est pas notre culture politique davantage fondée sur le rapport de force. Enfin, si ce modèle est possible chez eux, parce que les syndicats sont représentatifs et ont un poids important dans la société pour accompagner des transformations, je ne suis pas sûr que les syndicats puissent porter un projet de réforme. Ils ont davantage un rôle de catalyseur de la contestation dans notre pays, au regard du faible taux de syndicalisation.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

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