Mais pourquoi l’Ukraine a-t-elle autant raté sa sortie de l’URSS ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'exprime lors d'une conférence de presse à Kiev, le 20 mai 2021.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'exprime lors d'une conférence de presse à Kiev, le 20 mai 2021.
©SERGEI SUPINSKY / AFP

Marasme économique et politique

L'Ukraine a particulièrement souffert de la chute de l'URSS en 1991. Qu'est-ce qui explique les difficultés économiques structurelles de l'Ukraine ?

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Dans quelle mesure l'Ukraine a-t-elle particulièrement souffert de la chute de l'URSS en 1991 ?

Michael Lambert : L'Ukraine a été et est reste un pays troublé par la période soviétique en raison des divergences d'opinion sur ce sujet. Pour les Ukrainiens de l'Ouest, plus proches de la Pologne et de l'Europe centrale, la période soviétique est une véritable tragédie nationale, avec l'Holodomor (la famine de 1932-1933) qui a tué des millions de personnes, la perte de la souveraineté nationale, ainsi que l'accent mis sur la culture russe au détriment des identités régionales. 

Pour les Ukrainiens de l'Est ( en particulier le Donbass et la Crimée) et de certaines régions comme la Transnistrie (partie rattachée à la Moldavie par Staline), l'URSS est une période moins douloureuse dans la mesure où elle est celle de la modernisation des infrastructures et des campagnes, de la construction de logements et d'industries de pointe. Qui plus est, le facteur culturel est moins important à l'Est du pays dans la mesure où les habitants sont russophones et se sentent plus proches de la Russie, ce qui explique pourquoi un rattachement ne leur déplairait pas.

Si la chute de l'URSS a été chaotique pour de nombreux Ukrainiens, elle l'a également été pour de nombreux Russes, et le fait de tracer une frontière entre l'Ukraine et la Russie qui inclut les parties orientales, dont la Crimée en Ukraine, a été mal perçu par de nombreux citoyens. Pour résumer, nous assistons depuis 2014 à une remise en cause des frontières tracées à la hâte en 1991, avec un retour de la Crimée et des territoires russophones en Russie, ce qui ne convient naturellement pas aux souverainistes ukrainiens qui considèrent et ont désormais une légitimité légale sur ces territoires.

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L'Ukraine n'est pas le seul pays qui a des démêlés avec les frontières arbitraires issues de la chute de l'URSS, la région de Narva en Estonie, la Transnistrie en Moldavie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud en Géorgie, le Haut-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ou encore la Tchétchénie, sont autant de territoires qui sont l'épicentre des tensions entre ces pays, le monde occidental et le Kremlin.

Comment l'Ukraine se retrouve-t-elle en tête du classement des pays qui ont affiché le plus grand nombre d'années de croissance négative après avoir le plus souffert de la récession dans le monde, entre le Soudan et la Moldavie ? Qu'est-ce qui explique les difficultés économiques structurelles de l'Ukraine ?  

Sur le plan économique, l'Ukraine est dépourvue des moyens nécessaires pour moderniser ses industries, dont beaucoup datent de l'ère soviétique, et reste donc peu compétitive face aux industries russes et occidentales, et encore moins face à celles de la Chine.

A cela s'ajoute la corruption endémique qui paralyse tout projet d'envergure, ainsi que le départ des cerveaux et des jeunes vers l'Occident (surtout les femmes, pour les emplois techniques) et la Russie (surtout les hommes, pour les emplois plus manuels).

Contrairement à d'autres pays comme l'Estonie et la République tchèque, qui ont pu bénéficier respectivement des investissements finlandais et allemands/Autrichiens en raison de leur proximité géographique, l'Ukraine n'a pas été en mesure d'attirer autant d'investissements internationaux, ce qui a entraîné son déclassement économique.

L'Ukraine dispose d'un formidable potentiel dans les domaines de l'agriculture, de l'aéronautique et de la mécanique, mais tous les problèmes mentionnés précédemment entravent son rétablissement macroéconomique. 

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La faiblesse de l'État central ukrainien a-t-elle favorisé l'émergence d'oligarques ? Dans quelle mesure nuit-elle à la santé démocratique et économique du pays ?  

Pas nécessairement, un État central fort, par exemple en Russie ou en Biélorussie, n'est pas un facteur qui limite la prolifération des oligarques, ce sont plutôt les opportunités économiques dans un monde post-soviétique qui font que certains individus s'adaptent rapidement au modèle capitaliste et en comprennent les règles, et d'autres qui n'en saisissent pas les ficelles.

Les oligarques ne sont pas un problème pour l'économie ukrainienne, mais les secteurs sur lesquels ils se concentrent - médias, hydrocarbures, chocolat (dont l'ancien président ukrainien Petro Porochenko) - ne sont pas des secteurs d'avenir pour le pays. Ce qu'il faudrait, ce sont des oligarques qui investissent dans des secteurs prometteurs comme les technologies blockchain, l'industrie aéronautique, les FinTech et l'informatique, où le pays se montrerait compétitif.

Un GINI (mesure statistique pour rendre compte de la répartition d'une variable (salaire, revenu, richesse) élevée dans une population) est toujours problématique pour un système démocratique, ce qui est le cas de l'Ukraine contemporaine. 

Quelles ont été les principales erreurs du pays ? Quelle est la responsabilité des politiques ukrainiennes de ces dernières décennies dans la situation actuelle et passée de l'Ukraine ?

Les frontières entre la Russie et l'Ukraine, par exemple l'inclusion de la Crimée dans l'Ukraine, sur le plan militaire ne pas conserver une force de frappe nucléaire (ce qui aurait pu se produire à l'époque), et un manque de vision économique à long terme, sont les trois principales erreurs.

La faiblesse économique du pays pousse les Ukrainiens de l'Est à se tourner vers la Russie, qui leur offre plus d'opportunités économiques, ce qui conduit ultimement à l'émergence du séparatisme.

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Contrairement à l'Ukraine, un pays comme l'Estonie ne souffre pas de séparatisme car Tallinn propose des opportunités économiques aux russophones, notamment dans le secteur informatique, de la robotique et de la FinTech. L'Estonie est à ce titre un exemple de bonne gestion économique, même pour de nombreux pays occidentaux.

Dans son histoire, l'actuel territoire ukrainien a été séparé entre une zone d'influence russe et une zone d'influence d'Europe centrale. Depuis 2014, et l'annexion de la Crimée, dans quelle mesure l'instabilité a-t-elle augmenté ?

Cette instabilité a toujours été présente, mais la crise en Crimée à partir de 2014 a eu une influence sur les Ukrainiens pro-russes qui jugent qu'il serait plus pertinent pour eux de rejoindre également la Russie pour bénéficier des avantages économiques et sociaux, d'autant plus qu'ils ne parlent pas ukrainien et sont perçus comme des citoyens de seconde zone par Kiev.

En 2022, la question est de savoir si le Kremlin est prêt à poursuivre l'intégration partielle de l'Ukraine, par exemple en reconnaissant le Donbass comme un territoire russe à l'instar de ce qui a été fait en Crimée, ou une intégration plus poussée de l'ensemble de l'Ukraine dans l'Union économique eurasiatique (ce que Kiev refuse, préférant un rapprochement avec l'Union européenne). 
Un conflit armé constitue également une possibilité pour rattacher l'ensemble du pays, mais il ne se produira que si l'Ukraine poursuit son rapprochement avec l'OTAN.

Il faut également comprendre que l'intégration de l'Ukraine au sein de la Russie ou à l'Union économique eurasiatique permettrait de résoudre la question de la Transnistrie, un territoire pro-russe qui attend beaucoup du Kremlin depuis la chute de l'URSS. 

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